Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

racisme (suite)

À l’extérieur, les contacts entre ces nouvelles colonies et les métropoles s’établissent, comme par le passé, en termes d’inégalité humaine et économique. Afin de sauvegarder ses propres industries, l’Europe se refuse à tenter une ébauche d’industrialisation dans ces territoires d’outre-mer. La colonie doit constituer une source d’approvisionnement de matières premières destinées à l’Occident et un marché pour les produits manufacturés fabriqués par les métropoles. À l’intérieur, cette situation exige, comme pour les anciennes colonies, le maintien de la même hiérarchie humaine entre Occidentaux et indigènes. La discrimination et le racisme continuent à être appliqués, non sans nuances et ambiguïtés. La France, qui se présente comme le pays des droits de l’homme, proclame officiellement, outre-mer, l’égalité des hommes. Mais, en réalité, les différences de traitements appliqués soit par les pouvoirs publics, soit par les colons démentent cette affirmation. Il est vrai que certains colonisés, notamment les Antillais et les habitants des quatre communes du Sénégal, bénéficient d’un traitement préférentiel dans l’Empire colonial. Il est vrai que le décret Crémieux du 24 octobre 1870 assimile les Juifs d’Algérie* aux citoyens français, mais, ailleurs, la discrimination coloniale est rigoureusement appliquée. L’institution du double collège en Algérie, le travail forcé en Afrique noire, l’appropriation des meilleures terres par le colon témoignent de l’instauration d’un ordre officiel discriminatoire. À l’intérieur de cet Empire colonial français, la traite a, certes, été supprimée depuis 1848, mais l’on assistera vers 1890-1910 à de discrets transferts des populations indiennes des Comptoirs français des Indes vers les Antilles, éprouvées par des problèmes de main-d’œuvre. En bref, le comportement pratique raciste dément constamment la proclamation officielle égalitaire. Sur place, les colons, numériquement très minoritaires, maintiennent une société hiérarchisée, appuyée sur l’armée coloniale et fondée sur le principe d’une discrimination entre le Blanc et l’indigène.

En contrepoint, la Grande-Bretagne refusera toujours aux Indes ou en Afrique l’idée d’une quelconque assimilation. L’accès des clubs anglais sera toujours interdit aux « natives ». On ne fera jamais miroiter à ceux-ci, contrairement aux principes officiels français, l’espoir d’une accession à la citoyenneté métropolitaine.

À cette contradiction s’ajouteront quelques équivoques. Lorsque l’Europe luttera pour sa survie contre le racisme nazi, elle n’hésitera pas à faire appel à des troupes indigènes, c’est-à-dire à des colonisés victimes du racisme colonial. Pour le compte de l’Occident, les tabors marocains, les spahis, les tirailleurs sénégalais défendront à Monte Cassino et sur les bords du Rhin une conception de l’homme qui leur était refusée dans leur propre pays.

Les retentissements de la Seconde Guerre mondiale aboutissent à l’effondrement des empires coloniaux. Les anciennes colonies conquièrent ou obtiennent pacifiquement leur indépendance politique. Mais leur dépendance économique, maintenue par l’Occident, entraîne, entre autres conséquences, et pour la première fois de l’histoire, une émigration des populations d’outre-mer vers l’Occident. L’installation en Europe des travailleurs immigrés originaires des anciennes colonies est le dernier avatar de ce clivage économique et humain entre le monde blanc et celui des colonisés. C’est le domaine où s’exerce actuellement le racisme occidental (v. colonialisme).


Les travailleurs immigrés

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’Européen n’a pratiquement aucun contact avec l’indigène colonisé. Le racisme européen se limite alors à l’antisémitisme. L’aire géographique du racisme s’étend soit aux anciennes colonies de populations blanches devenues indépendantes, soit aux colonies.

Or, après l’effort de reconstruction des années consécutives à la Seconde Guerre mondiale, l’économie des pays industrialisés de l’Europe occidentale connaît une forte expansion vers 1950-1960. Les États industrialisés offrent des emplois pour des travaux pénibles, mal rémunérés, qui ne trouvent pas de candidats sur les marchés nationaux. Dans un premier temps, ils font appel aux populations d’États européens non industrialisés. Ultérieurement, un effort d’industrialisation consenti par certains de ces pays tarit cette source d’émigration. Or, en même temps que l’économie occidentale exige cette main-d’œuvre, qu’elle ne trouve plus en Europe, certaines colonies récemment promues à l’indépendance politique ne parviennent pas à maîtriser une économie qui dépend de l’Occident, notamment en ce qui concerne les prix des produits tropicaux. Sur place, outre-mer, ces États sont dans l’incapacité de fournir du travail à leurs nationaux et sont confrontés, par ailleurs, à de difficiles problèmes démographiques.

De cette série de conjonctures date l’émigration, en Grande-Bretagne, d’Antillais de la Jamaïque, de Pakistanais, d’Indiens. De cette même période date l’accroissement, en France, des immigrés nord-africains, africains et antillais.

L’Europe industrialisée, qui, à quelques exceptions près, coïncide avec l’Europe des métropoles coloniales, héberge aujourd’hui dans ses propres villes un sous-prolétariat d’hommes de couleur descendants des colonisés d’autrefois.

L’accueil qui leur a été réservé depuis ces quinze dernières années est-il ou non raciste ? Deux exemples peuvent être retenus.

En Grande-Bretagne, un leader conservateur, Enoch Powell, a mené une véritable campagne contre les émigrants de couleur, Indiens, Pakistanais, Antillais, d’autant plus vulnérables qu’ils sont facilement identifiables. La politique d’immigration limite très strictement l’accès du territoire de la Grande-Bretagne aux immigrants de couleur. Par ailleurs, les difficultés économiques du pays, les perspectives de chômage pesant sur les ouvriers anglais créent une atmosphère de tension entre la communauté anglaise et celle des immigrés. Ceux-ci, par ailleurs, sont suspectés de désorganiser le marché de l’emploi par l’acceptation de bas salaires et de profiter indûment d’avantages sociaux.