Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

racisme (suite)

Quoi qu’il en soit, après avoir exterminé des Caraïbes et pourchassé vers l’intérieur les tribus indiennes rebelles au prosélytisme, les colonisateurs européens sont confrontés à des problèmes de main-d’œuvre, indispensable à leur colonie de plantation. Forts de la bulle de 1510, ils tentent de les résoudre par l’instauration de la traite et de l’esclavage. Les capitaines espagnols et portugais, anglais puis français organisent la déportation massive vers l’Amérique de peuples africains (yoroubas, mandingues, bantous).

L’esclave noir, objet de ce trafic, se voit refuser la qualité d’homme et fait l’objet des traitements racistes les plus discriminatoires. Certains États européens officialiseront cette situation fondée sur l’inégalité des races. Une ordonnance de Louis XIV de 1685, préparée par Colbert et plus généralement désignée sous l’expression « le Code noir », considérera l’homme noir comme une marchandise plus ou moins valable suivant son rendement au travail, pouvant faire l’objet de toutes les transactions et susceptible de châtiments corporels raffinés. La plupart des pays européens et chrétiens établiront leurs empires coloniaux en s’appuyant sur cette situation discriminatoire, l’esclavage.

Le racisme anti-noir connaîtra alors son plein épanouissement. Appuyé sur l’État, qui officialise la discrimination, sur l’Église, qui tolère la traite, le colon, soucieux de ses intérêts économiques, réserve à l’esclave, qui n’est pas considéré comme un homme, un traitement fondé sur le rendement et l’humiliation.

L’Église ne proteste pas contre l’esclavage et les traitements inhumains : par contre, dès que l’esclave est baptisé, il est, à ses yeux, revêtu d’une certaine protection et devra être défendu.

Le célèbre pamphlet de Montesquieu sur les Nègres permet de mieux situer les fondements du racisme de l’époque : dissemblance physique, nécessités économiques pour l’Europe d’assurer son approvisionnement en produits exotiques par le travail d’êtres situés à mi-chemin entre l’homme et la bête, imagerie classique du Nègre, bestial, cruel, se complaisant dans la servilité.

La théorie du bon sauvage apporte quelques nuances au sentiment de mépris éprouvé à l’égard des esclaves, mais il faut attendre les encyclopédistes pour que la réflexion globale sur l’homme permette d’envisager timidement une approche nouvelle du comportement à l’égard des hommes de couleur. Il convient toutefois de préciser que, pendant toute cette période, il s’agit pour l’Europe d’un débat d’idées. Elle n’est pas directement confrontée avec ce problème concret du racisme issu de l’esclavage et se contente de réfléchir sur le comportement des lointains colons, le plus souvent approuvés.

Certes, la Révolution abolit l’esclavage (décret du 4 févr. 1794). Mais l’écho de ce débat ne parvient qu’amoindri aux colonies, où la ségrégation se maintient par la volonté des colons. Ceux-ci refusent d’appliquer l’égalité. Après un bref intermède équivoque, les cotonniers et les sucriers finissent par obtenir de Napoléon Ier le rétablissement de l’esclavage, et donc de la discrimination officielle. Sous la Restauration et la monarchie de Juillet, le débat sur cette inégalité reprendra, renforcé par les thèses des abolitionnistes britanniques, notamment de William Wilberforce (1759-1833). L’effort opiniâtre de Victor Schœlcher (1804-1893) aboutira finalement à l’abolition de l’esclavage le 27 avril 1848.

Mais il faut soigneusement distinguer entre cette décision officielle et la ségrégation raciste qui continue à s’imposer dans la société coloniale sans jamais véritablement préoccuper l’Européen. Ce n’est d’ailleurs pas uniquement parce qu’elle refuse le racisme que l’Europe se résout à l’abolition. Bien au contraire : l’action des abolitionnistes Wilberforce et Schœlcher, envisagée sous l’angle humanitaire, reste isolée. La passivité des adversaires européens de l’abolition s’explique beaucoup plus parce que l’Europe — devenue entre-temps productrice de sucre de betterave — s’est libérée de la tutelle alimentaire de la canne à sucre que par l’adhésion populaire d’une égalité entre les hommes. L’Occident a pu alors, à bon compte, abolir l’esclavage. Mais l’idée fondamentale d’une inégalité entre les races subsiste.

Par la suite, outre-mer, les survivants de ce premier Empire colonial et des autres colonies du second Empire colonial savent qu’ils ne peuvent se maintenir et prospérer que par le maintien rigoureux d’une hiérarchie rigide entre ceux qui possèdent (le colon d’origine européenne) et ceux qui produisent (l’indigène). Ce double clivage économique et racial est la pierre angulaire de la construction coloniale. D’où l’imbrication intime entre le racisme et l’esclavage (avant l’abolition), puis avec le colonialisme (après 1848).

Par la suite, la même ambiguïté continuera à influencer la position de l’Occident vis-à-vis du racisme. Mis à part quelques exceptions, notamment celle de Gobineau*, on ne relève pas de philosophie fondamentalement raciste. L’accent est davantage porté sur l’égalité entre les hommes. Toutefois, les deux premiers tiers du xxe s. sont l’une des périodes au cours desquelles la discrimination raciste s’est manifestée avec la plus grande âpreté, soit à travers la récente politique coloniale européenne, soit en ce qui concerne la situation réservée aux travailleurs immigrés séjournant en Occident, ou enfin dans le comportement de certains États américains ou africains de race blanche.

À la fin du xixe s., les États européens réunis à la conférence de Berlin (1885) se partagent l’Afrique. En même temps, en Asie et dans l’Insulinde, la Grande-Bretagne, la France et les Pays-Bas accroissent leurs empires coloniaux ou leurs zones d’influence. Cette situation se maintiendra jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.