Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

Piast (suite)

Cet événement réveillait les forces centrifuges au sein d’une aristocratie ombrageuse. Encouragés par l’empereur, les grands s’assurèrent le concours de l’évêque de Cracovie Stanisław (v. 1030-1079), afin de renverser le roi au profit de son frère Ladislas Herman. Boleslas réprima brutalement la révolte. Condamné à mort pour haute trahison, l’évêque fut exécuté (1079). Le « martyre » de celui qui devait devenir saint Stanislas, patron de la Pologne, servit les barons. Boleslas ne put reprendre la situation en main et partit en exil (1079). Il se réfugia en Hongrie avec son fils Mieszko et y périt dans des circonstances obscures, sans doute assassiné (1081). Mais on montra longtemps son tombeau légendaire dans un vieux cloître de la lointaine Carinthie, où il aurait expié sa faute.


L’inextricable problème dynastique : Ladislas Herman (1079-1102) et Boleslas III Bouche-Torse (1102-1138)

Porté au pouvoir dans ces conditions (1079), Ladislas Herman ne fut, pendant vingt-trois ans, que l’instrument docile de l’Empire et de la noblesse polonaise. Il n’était plus question pour lui de prétendre à la dignité royale ; passant du pape à l’empereur, le duc épousa Judith, la sœur d’Henri IV. La Bohême réclama de nouveau le tribut pour la Silésie. Le palatin Sieciech, à qui le prince devait le pouvoir, fut, pendant longtemps le véritable maître du pays et le chef d’une faction combattue par le parti des fils de Ladislas Herman.

En 1097, ce camp imposa le partage du pays entre le vieux duc et ses héritiers. La mort de ce dernier devait être à l’origine d’une longue lutte fratricide (1102-1110).

Tandis que l’Église soutenait l’aîné des enfants de Ladislas Herman, Zbigniew (v. 1070 - v. 1112), la chevalerie, intéressée à la reprise d’une politique d’expansion, appuya Boleslas Bouche-Torse (Bolesław Krzywousty, 1085-1138), réputé pour sa bravoure et qui sut, dès 1102, la mobiliser pour la reconquête de la riche Poméranie, qui s’était émancipée et demeurait réfractaire au christianisme. À la tête de ses partisans rassemblés au nom de l’unité de l’État, aidé par la Hongrie et la Russie, Boleslas réussit à chasser son frère, qui s’enfuit en Allemagne (1107). Il concentra dès lors ses efforts sur la Poméranie, ce qui détermina l’Empire à soutenir Zbigniew et à attaquer la Silésie, que Bouche-Torse défendit avec succès. La victoire qu’il remporta devant Wrocław (1109) lui permit de reprendre ses dures campagnes en Poméranie, de soumettre la région de Gdańsk (1119), puis d’imposer sa suzeraineté au duc de Szczecin (1122). Aussitôt, il organisa la christianisation de ces régions (1124-1128). Pour faire pièce à l’Allemagne et à la Bohême, il se rapprocha du Danemark (1129) et soutint en Hongrie un prétendant qui leur était hostile (1132), ce qui détermina les Tchèques à dévaster par deux fois la Silésie (1132-1334). Harcelé, Boleslas dut accepter l’arbitrage de Lothaire II et reconnaître la suzeraineté de l’empereur sur la Poméranie et l’île de Rügen (1135), recul formel, qui préservait les intérêts baltiques de la Pologne.

La mort de Zbigniew, qu’il avait fait aveugler (1110), renforça sa position intérieure, mais il ne put freiner la montée des grands féodaux, dont la fidélité devint incertaine. Ce n’est donc pas un hasard si sa cour inspira la première chronique polonaise, écrite en 1116-1119 par un bénédictin anonyme (d’origine française ou vénitienne) pour exalter l’État polonais et le rôle dévolu à sa dynastie ducale, tout en immortalisant la geste héroïque de Boleslas III Bouche-Torse.

Au soir d’une vie consacrée à stabiliser l’État, Bouche-Torse reconnut son unité impossible par la manière dont il régla sa succession (1138). Son testament composait avec les forces centrifuges, en partageant le pays en quatre duchés héréditaires au profit de ses fils, dont l’aîné — et toujours par la suite le plus âgé de la dynastie — devait, en vertu du droit de sénioriat ainsi établi, exercer le pouvoir de grand-duc, suzerain de ses frères et de leurs héritiers. Érigée en principat, la terre de Cracovie devenait l’apanage du grand-duc, avec la suzeraineté sur la Poméranie. En réglant ainsi la succession au trône, Bouche-Torse consacrait la dislocation du Royaume.


L’émiettement féodal et les rivalités des ducs Piast (1138-1306)

Loin de prévenir les rivalités dynastiques, le statut établi par Bouche-Torse donna lieu à des contestations sans fin, qui, pendant deux siècles, allaient bouleverser le pays de guerres fratricides et ouvrir la Pologne à l’expansion germanique, tandis que les duchés créés en 1138 continuaient à se morceler à mesure que la dynastie des Piast allait se ramifiant. Dès 1146, les fils de Bouche-Torse bouleversaient l’ordre établi. Boleslas le Crépu chassa son aîné, Ladislas (1138-1146), appelé dès lors Ladislas l’Exilé, et se reconnut le vassal de Frédéric Barberousse pour se maintenir sur le trône (1157). Après sa mort (1173), Mieszko le Vieux, le troisième héritier, fut banni de Cracovie en 1177 au profit de son cadet, Casimir II le Juste, qui établit l’hérédité du titre grand-ducal dans sa maison (1180), ce qui fut naturellement contesté par Mieszko le Vieux, qui reprit par trois fois le trône. Après 1202, les magnats locaux disposèrent à leur gré de Cracovie, et le titre de grand-duc tomba en désuétude.

Pour mettre un terme aux incursions des païens de Prusse, l’imprudent due Conrad de Mazovie († 1247) fit appel en 1226 à l’ordre Teutonique, qu’il établit sur la terre de Chełmno (Kulm), où il fonda Toruń (Thorn). Après avoir conquis une « Nouvelle Germanie » aux dépens des Prussiens décimés, l’ordre devait se révéler le pire ennemi de la Pologne. D’énergiques ducs de Silésie, issus de la branche aînée des Piast, furent un moment tout près de réunifier le pays, malgré la méfiance suscitée par leurs attaches allemandes. Petit-fils, fils et époux de princesses allemandes, Henri Ier le Barbu († 1238), fort de la prospérité de son duché de Wrocław, réunit entre ses mains la moitié de la Grande Pologne, une grande partie de la Silésie et toute la Petite Pologne. Continuateur habile de sa politique, Henri II le Pieux s’assura en outre l’appui du clergé ; mais il périt dans la bataille de Legnica, quand il voulut arrêter l’invasion mongole (1241). Ce fut l’énergique Przemysł II de Grande Pologne qui parvint finalement à restaurer la royauté grâce à l’autorité morale et à l’appui de l’archevêque de Gniezno, qui le couronna roi de Pologne en 1295. Mais il périt dès 1296, assassiné sur l’ordre du margrave de Brandebourg. Disputée entre un Piast de Silésie et le duc de Couïavie Ladislas Łokietek (« le Bref »), sa couronne fut confisquée par le roi de Bohême Venceslas II (1300). Ladislas le Bref employa son exil à chercher des alliés : il sut gagner l’appui moral du pape, l’aide de la Hongrie et l’alliance des princes de Halicz (Ruthénie). Quinze années de lutte acharnée au-dedans comme au-dehors le séparaient encore de la couronne.