Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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philosophie (suite)

Les premières tentatives de philosophie chrétienne sont celles de Clément* d’Alexandrie (v. 150 - entre 211 et 216) et d’Origène* (v. 185 - v. 254). L’un et l’autre cherchent surtout à se démarquer des philosophes païens, en insistant sur le rôle du Christ et l’importance de la Révélation. L’identification du Christ au médiateur divin est aussi un thème constant chez saint Denys l’Aréopagite et surtout saint Augustin* (354-430) : la philosophie grecque n’est qu’une intuition de la théologie, qui, seule, permet la connaissance de Dieu. L’augustinisme, impliquant la nécessaire médiation de la prière, de la vie religieuse et de l’Église, dominera, pour une bonne part, toute la pensée médiévale chrétienne.

La rupture entre la théologie chrétienne et la philosophie grecque se fera sans doute au concile de Nicée en 325 : en affirmant la « consubstantialité du Père et du Fils », le christianisme abandonne la théorie néo-platonicienne de la hiérarchie des êtres divins et de leur engendrement réciproque. En 529, le néo-platonisme disparaît avec la fermeture des écoles philosophiques d’Athènes, ordonnée par l’empereur Justinien.


Le Moyen Âge et la Renaissance

Le Moyen Âge* n’est pas cette période d’obscurantisme et de régression intellectuelle dont la tradition se plaît à perpétuer l’image. Certes, il est vrai que la chute de Rome, l’invasion barbare et la destruction des grandes villes coïncident avec la fin de la culture grecque. Mais, plutôt qu’à un anéantissement, c’est à une transformation de la vie intellectuelle qu’on assiste à partir du ve s.

L’organisation féodale de la société, hiérarchisée et morcelée, a besoin d’une autorité souveraine indiscutable qui la garantisse ; elle a besoin d’une idéologie dogmatique qui n’a pas à rendre raison d’elle-même, alors que toutes doivent lui rendre raison. Le pape possède ce pouvoir légitime, qui légitime tous les autres. Or, au ve s., il n’existe pas de philosophie chrétienne : lorsque le christianisme s’impose en Occident, il est loin d’avoir non seulement la rigueur, mais même les préoccupations doctrinales qu’il va acquérir au cours des siècles. En fait, la philosophie du Moyen Âge est une confrontation permanente, sinon courtoise, entre, d’une part, le pouvoir de l’Église et, d’autre part, les hérésies, les anciennes traditions païennes néo-platoniciennes et aristotéliciennes, les « arts libéraux » et les quelques principes épars des premiers apologistes chrétiens.


Les premiers théologiens

On ne peut retracer ici la longue histoire des hérésies, pas plus que la lutte menée par les moines pour conserver l’héritage du passé ou pour répandre les arts libéraux, comme Alcuin, appelé en 781 par Charlemagne pour éduquer les laïcs. Au xie s. s’amorce une renaissance intellectuelle. Les controverses et les discussions philosophiques s’engagent, comme la querelle des universaux ou la controverse sur l’eucharistie (Béranger de Tours). C’est un conflit entre la foi et la raison qui fait naître la réflexion philosophique de saint Anselme* (1033-1109). Montrant comment on passe de la foi à l’intelligence et de l’intelligence à la vision, Anselme tente de justifier le dogme chrétien par l’exercice de la pensée. Il entreprend une démonstration de l’existence de Dieu, tirée de la notion de Dieu telle qu’elle existe dans l’esprit humain (preuve ontologique).

Parallèlement se développent des écoles de philosophie (l’école de Chartres), qui introduisent la médecine arabe et juive ainsi que les mathématiques grecques. Bernard de Chartres, Alain de Lille enseignent le platonisme, sans l’intégrer au dogme chrétien, ainsi que les pensées de Démocrite et de Lucrèce. Abélard* (1079-1142) représente bien cet esprit ouvert et curieux qui caractérise le xie s. Fortement critiqué par les théologiens traditionnels, il réclame un dogme raisonnable, une morale humaine, individuelle, qui exclut le péché originel et la rédemption par le Christ. Son éthique fut condamnée à Sens en 1140. Son œuvre est à replacer dans un vaste mouvement d’émancipation, dont témoignent les révoltes et les hérésies cathares, albigeoises et vaudoises.


La renaissance de l’aristotélisme

Au xiiie s., on commence à traduire les œuvres complètes d’Aristote ainsi que leurs commentaires arabes et juifs (Avicenne*, Averroès*). Contre les Franciscains, qui ne distinguent pas la philosophie de la théologie, les Dominicains (Albert* le Grand et surtout saint Thomas* d’Aquin, 1225-1274) contribuent à la renaissance et à la christianisation d’Aristote. Pour Thomas, la philosophie est possible à condition qu’elle ne porte pas sur ce qui la dépasse : à côté des vérités accessibles à la raison, existent celles qui ne sont révélées que par la foi. Fidèle à la distinction aristotélicienne entre la physique, la métaphysique et la théologie, Thomas admet l’autonomie de la philosophie. L’empirisme d’Aristote apporte une éclatante confirmation du pouvoir de l’intellect quand il recherche les causes et de ses limites quand il prétend les connaître. Ainsi, l’esprit humain peut connaître seulement l’existence des choses et non pas leur nature, ou essence. Les preuves thomistes de l’existence de Dieu reposent sur le principe de causalité et concluent, de l’observation des effets, à la nécessité d’une cause. Le même dualisme entre la raison et la foi, l’existence et l’essence, la cause et la nature se retrouve dans la morale et la politique thomistes : la révélation divine n’exclut pas la lumière naturelle, et la construction de la « cité de Dieu » n’empêche pas celle de la cité humaine, régie par le droit naturel.


L’école d’Oxford

À la même époque se développe un courant de pensée résolument hostile au thomisme et plus attentif à l’étude des sciences mathématiques et expérimentales qu’aux spéculations des théologiens. En fait, alors que les thomistes s’interrogent sur la part qu’il convient de faire à la raison, les savants de l’école d’Oxford poursuivent des travaux d’optique, d’acoustique, d’astronomie et de mathématique, tout en s’intéressant aux techniques des architectes, des ingénieurs, des politiques. Roger Bacon* (v. 1214-1292) illustre bien cet esprit expérimental et positif, qui va s’épanouir au moment de la Renaissance.