Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

philosophie (suite)

En critiquant l’intellectualisme de Platon, Aristote ramène la science dans l’univers sensible ; mais, en même temps, il ferme le champ qu’avait ouvert Platon. Scindée en logique, en métaphysique, en physique, en théologie, la philosophie, plus encyclopédie que théorie, décrit un univers lui-même découpé en blocs rigides irréductibles. On comprend dès lors pourquoi l’œuvre d’Aristote recevra au xiiie s. un accueil favorable chez les théologiens chrétiens.


Les philosophes de l’éthique

La mort d’Alexandre (323 av. J.-C.) ouvre une période de grande instabilité politique. La résistance de la Grèce et surtout celle du Péloponnèse à la colonisation macédonienne (établie par Antipater en 322 av. J.-C.), la conquête romaine (200 av. J.-C.), l’écroulement des empires devant l’impérialisme romain déterminent de profondes transformations dans la pensée. La philosophie des fondateurs, où dominent les préoccupations ontologiques et méthodologiques ainsi que le désir de rationaliser la connaissance et la politique, va subir une longue éclipse. La philosophie s’isole, s’intériorise et s’oriente vers des préoccupation purement éthiques, spirituelles et religieuses ; ainsi s’est-elle donné un objet propre : la recherche du bonheur personnel et de la sagesse dans un monde en déclin.

• Les socratiques. Toutes les écoles philosophiques ont alors en commun l’opposition au rationalisme dans les sciences comme dans la politique, le mépris pour les mathématiques et l’indifférence aux affaires publiques. Toutes affirment l’inutilité d’un discours vrai au profit de pratiques recherchant soit le pouvoir, soit le plaisir ; ces thèmes se retrouvent chez les mégariques, les cyniques (Diogène de Sinope, Antisthène), les cyrénaïques (Aristippe).

• L’ancien stoïcisme. Avec Zénon de Citium (v. 335 - v. 264 av. J.-C.), Cléanthe (v. 331 - v. 232 av. J.-C.) et Chrysippe (v. 281-204 av. J.-C.), ce déplacement des préoccupations s’accentue et se radicalise (v. stoïciens). La pensée stoïcienne repose sur une cosmologie et une physique (l’univers est un vaste organisme animé par Dieu), sur une logique (qui consiste à relier entre eux des faits et non des concepts), sur une morale (qui consiste à vouloir l’ordre naturel des choses). L’accord avec la nature, l’accord avec la raison, l’accord avec la volonté divine sont équivalents, car l’univers est dans le même temps nature, raison, destin. La sagesse est dans l’accord intérieur à la nécessité, dans l’indifférence aux événements et aux accidents « qui ne dépendent pas de nous ». Cependant, à côté de la morale du sage, existe une morale secondaire, faite de conseils pratiques.

• L’épicurisme*. Avec les épicuriens, les préoccupations éthiques sont également au premier plan. La théorie comporte, elle aussi, une logique (canonique) [où les seuls critères de vérité sont la passion et la sensation], une physique (fondée sur la théorie atomistique de Démocrite) et une morale (qui définit le souverain bien bien par l’absence de douleur, forme la plus élevée du plaisir). La sagesse consiste à éviter la souffrance et la crainte, et à rechercher la sécurité dans l’ataraxie.

• Les sceptiques*. À ces philosophes du bonheur, où la sagesse consiste surtout en une difficile appréciation de la nature, les sceptiques du iiie et du iie s. opposent une pensée violemment pessimiste, qui semble avoir été fort répandue à cette époque. La suspension du jugement et l’inaction totale sont les seules conditions de la sagesse. Ariston et Pyrrhon critiquent surtout l’opportunisme des stoïciens, qui prétendent concilier en de délicats dosages l’exigence de sagesse et les règles de conduite.

La fécondité du stoïcisme, de l’épicurisme, du scepticisme se poursuivra bien au-delà de la période hellénique.

Au ier s. av. J.-C., la philosophie stoïcienne s’installe à Rome avec une orientation plus humaniste et plus civique (Panétius, Posidonios, Cicéron). Dans la Rome impériale, le stoïcisme apparaît comme une pensée d’opposition, et les stoïciens passent pour les ennemis de l’Empire. En fait, plus que la critique politique, c’est le redressement moral qu’enseignent Sénèque, Marc-Aurèle et Épictète. Quant à l’épicurisme romain, il s’oriente vers la célébration de la nature avec Philodème et Démétrius Lacon, et vers le matérialisme avec Lucrèce*.


Les philosophies de la transcendance

Les premiers siècles de l’ère chrétienne sont le théâtre de profondes transformations intellectuelles. Une nouvelle image du monde s’impose : celle d’un univers inachevé, indéterminé, imparfait, qui, loin de se réaliser dans son ordre propre, s’accomplit dans un devenir qui lui est transcendant. L’être n’est plus, comme chez Platon, Aristote et les stoïciens, la somme de ce qui est, mais l’essence hypostasiée, rejetée hors de la rationalité, dans la transcendance du divin. Une séparation s’introduit entre le monde et Dieu en même temps qu’une histoire dramatique les relie : la création, la chute, le salut, la résurrection. Les thèmes judéo-chrétiens ne sont pas isolés ; on les retrouve aussi chez les néo-platoniciens et, d’une manière générale, dans toute la philosophie de ce temps.

• Le néo-platonisme. Néo-platoniciens et néo-pythagoriciens ne retiennent du platonisme que la mythologie du sensible et de l’intelligible, de l’un et du multiple, de l’essence et de la matière. Tant chez Philon d’Alexandrie que chez Plotin* (205-270), les idées platoniciennes, désinsérées de leur contexte, ont perdu leur valeur méthodologique. Pour Plotin, le monde est une hiérarchie des modes de réalité, une dégradation de l’Un, qui est le premier principe, jusqu’aux formes multiples de l’existence sensible. Le but de la philosophie est le retour, la purification par la contemplation de l’unique, qui est plus une jouissance qu’une connaissance. Le néo-platonisme (Porphyre, Jamblique, Damaskios) a une grande influence religieuse. Son refus du rationalisme, son mysticisme le rendent fécond à travers les nombreuses sectes païennes, toutes imprégnées de superstition et de magie. Mais, d’autre part, ses préoccupations théologiques en font le cadre spéculatif et doctrinal du christianisme naissant.

• Les premiers apologistes chrétiens. Les premiers apologistes (Justin, Athênagoras), nourris de culture grecque néo-platonicienne, vont contribuer, et cela pour des siècles, à la transformation de la philosophie en théologie, fait marquant des cinq premiers siècles.