Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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philosophie (suite)

La critique de l’aristotélisme

Au xive s., l’unité politique religieuse de la chrétienté se corrompt : la guerre de Cent Ans, le schisme de 1378 ruinent le dogme augustinien de la « cité de Dieu ». En même temps, la philosophie se sépare de plus en plus de la théologie.

Duns* Scot (v. 1266-1308) affirme, à la fois contre Augustin et contre Thomas, l’indépendance de la matière, de l’individu, de l’intellect et de la philosophie. Reléguant les objets de foi hors du connaissable, il refuse de s’interroger sur les rapports de l’humain et du divin, et il abandonne simultanément la théorie néo-platonicienne de la hiérarchie des genres de l’être et la distinction aristotélicienne de la matière et de la forme. La suffisance de la matière garantit celle de la philosophie.

La critique de la logique aristotélicienne est au centre du nominalisme, fondé par Guillaume* d’Occam (v. 1300 - v. 1349) ; selon les nominalistes, l’univers ne préexiste pas à l’individuel, qu’il ne ferait que doubler d’une autre existence sans l’expliquer ; la réalité nous est d’abord donnée dans la singularité. D’autre part, les nomalistes nient la conception aristotélicienne de la causalité au profit d’une mécanique où le changement s’explique par un mouvement local. Les travaux de physique de Buridan (v. 1300 - v. 1358) sur le mouvement uniforme et l’inertie, d’Albert de Saxe sur la pesanteur et de Nicole d’Oresme sur la chute en mouvement uniformément accéléré contribuent à la ruine progressive des théories d’Aristote.


La Renaissance

Poursuivant le mouvement amorcé aux siècles précédents, le xve et le xvie s. voient le remplacement des spéculations idéologiques par des préoccupations plus positives. Les progrès scientifiques réalisés dans tous les domaines (Ambroise Paré, Tycho Brahe*, Viète*, Copernic* et Kepler*) contredisent l’image du monde figé dans les formes aristotéliciennes ; mais, en même temps, de profondes transformations sociales et politiques sont à l’œuvre, qui font éclater les cadres et les limites de la chrétienté : développement du commerce, des techniques, de l’urbanisation ; découverte de nouvelles terres ; crises politiques et religieuses de la Réforme*. Il n’est plus possible de penser dans le cadre des vieilles idées, mais les conditions ne sont pas mûres cependant pour une rupture théorique décisive. C’est plutôt dans l’Antiquité que les philosophes cherchent des repères de pensée : l’atomisme de Démocrite, chez Bérigard et Gassendi, marque le triomphe du mécanisme ; le platonisme renaît dans les écoles d’Italies avec Nicolas de Cusa (1401-1464), Campanella* (1568-1639) et surtout Giordano Bruno* (1548-1600), qui tentent d’accommoder l’héliocentrisme de Copernic avec la vision animiste d’un univers identifié à Dieu. Le scepticisme et le stoïcisme imprègnent les morales de la Renaissance*, de Montaigne* à Pierre Charron (1541-1603). Dans tous les domaines, on célèbre la nature et l’on recherche ses enseignements. Ainsi, pour Francis Bacon* (1561-1629), les sciences expérimentales sont-elles les seules qui puissent assurer à l’homme la domination de la nature : l’esprit doit observer la nature et tirer d’elle son savoir par l’expérimentation et l’induction.


La philosophie à l’âge classique

La science de la Renaissance, par ses hypothèses et ses vérifications partielles, a rendu caduc l’aristotélisme. Mais à Galilée* (1564-1642) revient le privilège de créer le champ de la science moderne, en unifiant les mathématiques, la physique mécanique et la cosmologie de Copernic. Avec la théorie galiléenne, la nature cesse d’être une hiérarchie ordonnée d’êtres et d’objets, pour devenir le système des phénomènes soumis à une loi d’ordre universelle. Galilée fonde la rationalité non comme concept, mais comme pratique effective, qui produit non seulement des connaissances nouvelles, mais encore les règles de la scientificité.

Exclure les formes substantielles de la nature pour n’y considérer que les relations quantitatives mesurables, telle est la règle de la nouvelle science, réfléchie dans la nouvelle philosophie. On va voir que la philosophie du xviie s. est marquée par un effort inégal mais constant : penser les significations, les implications et les effets de la révolution galiléenne. La société, ébranlée par les crises et les découvertes, a plus que jamais besoin, dans cette période de réorganisation où triomphent la Contre-Réforme* et l’absolutisme, d’un discours qui, à son tour, organise, partage, délimite et légitime. Tel est le cadre de la renaissance philosophique au xviie s.


Descartes* (1596-1650)

La condamnation de Galilée, en 1633, eut pour Descartes une importance décisive et détermina son projet philosophique : rendre possible l’extension des connaissances scientifiques.

La première exigence de Descartes est d’ordre méthodologique : déterminer les conditions d’un discours vrai. S’inspirant du modèle mathématique, Descartes définit les critères de la certitude par l’évidence, révélée a contrario par l’épreuve du doute, et par la déduction ordonnée du simple au complexe. Les Méditations métaphysiques (1641) sont l’application de la méthode. Soumettant toutes les idées à l’expérience du doute, Descartes découvre dans le doute lui-même une irréductible évidence, celle de l’existence du sujet pensant, plus certaine que celle du monde sensible, du monde intelligible ou de Dieu.

À partir de l’intuition du « Je pense », il déduit la réalité formelle des idées (leur réalité d’idées), puis leur réalité objective (leur rapport à un objet). C’est l’idée de Dieu qui est l’objet de cette déduction, de l’idée à l’objet, de l’idée à l’existence ; Descartes déduit l’existence de Dieu comme propriété nécessaire à son essence, comme le géomètre démontre les propriétés du triangle à partir de sa définition. L’existence d’un Dieu vérace constitue la clé de voûte de la métaphysique cartésienne : elle restaure dans leur véracité propre les facultés de l’esprit, mais aussi l’être réel des choses. L’ordre de la connaissance retrouve l’ordre de l’existence, et l’idéalisme de Descartes d’esprit est la seule réalité) le conduit au réalisme (l’idée est le reflet de la chose). L’analyse méthodique peut alors décomposer, puis recomposer le réel en y découpant les éléments qui le constituent : la pensée, attribut de l’âme, l’étendue, attribut de la matière, et l’union substantielle de la pensée et de l’étendue, de l’âme et du corps, qui est l’homme.