Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pétain (Philippe) (suite)

La carrière politique


Les débuts

Le 9 février 1934, une page se tourne et un nouveau chapitre commence dans la vie de Philippe Pétain. Désireux de bénéficier de l’immense prestige du maréchal auprès des anciens combattants qui ont participé à la journée du 6 février, Doumergue lui confie le ministère de la Guerre dans son gouvernement d’Union nationale. Encore une fois ministre d’État dans l’éphémère cabinet Bouisson (1er-4 juin 1935), Pétain est envoyé en 1939 comme ambassadeur auprès du gouvernement espagnol à Burgos par Daladier, qui espère que le vainqueur de Verdun aidera à établir des relations avec Franco. Pétain ne pourra mener à son terme cette mission, puisque, le 18 mai 1940, alors que le front français de la Meuse vient d’être percé par les Panzerdivisionen allemandes, il est appelé à Paris par Paul Reynaud*, qui le nomme ministre d’État et vice-président du Conseil. En dépit du remplacement de Gamelin* par Weygand (le 19), la France paraît rapidement condamnée à la défaite. Aussi Pétain appuie-t-il de toute son autorité la demande d’armistice présentée par Weygand lors des deux conseils des ministres des 12 et 13 juin 1940. (« Le devoir du gouvernement, déclare-t-il, est, quoi qu’il arrive, de rester dans le pays. »)

Refusant de cesser le combat, qu’il aurait voulu poursuivre depuis l’Afrique du Nord, Reynaud démissionne au soir du 16 juin à Bordeaux, où, appelé par le président Lebrun à la demande et à l’instigation de Camille Chautemps et de Pierre Laval, Pétain constitue aussitôt un nouveau ministère.


Le chef de l’État français

Le 17 juin, ayant lancé à la radio son appel « Je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur », il adresse une demande d’armistice aux Allemands. Le 22 juin à Rethondes et le 24 à Rome, les deux conventions franco-allemande et franco-italienne sont signées. En quelques jours, la guerre semble donc liquidée. En moins d’un mois, dans une France en total désarroi et à la recherche d’un chef qui soit en même temps un protecteur, le régime est escamoté grâce à l’intervention décisive de Laval, qui convainc l’Assemblée nationale, réunie à Vichy le 1er juillet, d’accorder le 10, par 569 voix contre 80 et 17 abstentions, « le pouvoir constituant au gouvernement de la République sous l’autorité et la signature du maréchal Pétain ». Les trois actes constitutionnels du 11 juillet font de Pétain le chef de l’État, investi des pouvoirs exécutif et législatif, l’assentiment préalable du Parlement n’étant, désormais, requis qu’en cas de déclaration de guerre, mais non en matière budgétaire et fiscale. Par un quatrième acte du 12 juillet (promulgué au Journal officiel du 23 juillet), Pétain se donne même le droit de désigner son successeur : Pierre Laval.

La défaite n’explique pas tout. La stature historique du maréchal en impose à l’ennemi et lui rallie les foules ; son républicanisme confirmé et exempt de cléricalisme, son hostilité à toute aventure lui assurent la confiance de certains membres de la gauche ; son passé militaire, son sens de la discipline lui rallient les droites, que ce soient les extrémistes tels que Gustave Hervé (auteur, en 1935, de la brochure C’est Pétain qu’il nous faut) ou les modérés, qui, par la plume de Wladimir d’Ormesson, avaient « conjuré dès 1936 les Français [...] de se grouper autour du seul homme capable de rassembler les forces saines de la nation, le maréchal Pétain ». On comprend pourquoi seuls 80 parlementaires sur 666 lui ont refusé les pleins pouvoirs.


La Révolution nationale

Ralliant à la fois des hommes politiques et des chefs syndicalistes, des écrivains et des clercs, qui, avec le cardinal Gerlier, affirment que « Pétain, c’est la France et la France, c’est Pétain », la personne du maréchal devient rapidement l’objet d’un culte, habilement organisé par son entourage, diffusé par des écrivains comme René Benjamin et Henri Pourrat, et entretenu dans la zone non occupée par les fréquents voyages du maréchal.

La transformation des institutions et des mentalités s’exprime par la révolution nationale, que doit mettre en place un État hiérarchique et autoritaire exaltant les vertus salvatrices du travail, de la terre, de l’artisanat et condamnant à la fois le capitalisme et le « bolchevisme ». Le régime nouveau, qui adopte la devise « travail, famille, patrie », met l’accent sur la personnalité du chef, condamne la démocratie parlementaire, qu’il déclare disqualifiée par la défaite, et rejette les Juifs hors de la communauté nationale. Toute une série de réformes sont édictées : suppression des élections, remplacement des conseils généraux par des commissions administratives nommées, désignation par le chef de l’État des membres d’un Conseil national, fermeture des écoles normales d’instituteurs, création des Chantiers de jeunesse, des Compagnons de France et de multiples écoles de cadres (dont la plus célèbre est celle d’Uriage), suppression des centrales syndicales, promulgation d’une charte du travail qui écarte les salariés de la gestion de l’économie, regroupement des ruraux dans une corporation paysanne, création, enfin, d’une Légion des combattants qui doit défendre l’œuvre du maréchal.

De nombreux élus et fonctionnaires sont destitués, les Juifs font l’objet de discriminations humiliantes (promulgation de statut des Juifs [oct. 1940] et création d’un Commissariat général aux questions juives [1941]), les sociétés secrètes sont dissoutes, les chefs jugés responsables de la défaite traduits devant la Cour suprême de justice de Riom, instituée par l’acte constitutionnel no 5 du 30 juillet 1940. Le procès de ces derniers s’ouvrira le 19 février 1942, mais sera suspendu dès avril du fait de l’intervention des Allemands. Enfin, près de 40 000 Juifs étrangers et des milliers de républicains espagnols réfugiés en France sont internés et seront déportés par les Allemands après l’occupation de la zone sud à la fin de 1942.