Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pétain (Philippe) (suite)

Cette rigueur (Précis le sec l’ont surnommé ses élèves) et cette indépendance d’esprit lui aliènent les faveurs ministérielles. En dépit de son brillant commandement du 33e régiment d’infanterie où il accueille en 1912 le sous-lieutenant Charles de Gaulle*, il semble bien que celui de la 4e brigade d’infanterie qui lui est donné par intérim à cinquante-huit ans au début de 1914 soit le dernier de sa carrière.


Du colonel de 1914 au généralissime de 1917-18

Quelques mois plus tard, la guerre va bouleverser le cours de cette carrière : en moins d’un an, le colonel Pétain passera du rang de commandant d’une brigade de quelque 6 000 fantassins à celui d’une armée d’une quinzaine de divisions ! Alors que tant de ses camarades, dépassés par la réalité brutale de la guerre, sont congédiés par Joffre*, Pétain s’affirme au feu par son calme, son énergie et la maîtrise de son commandement. Après son premier engagement le 15 août 1914 sur la Meuse au nord de Houx (là où vingt-six ans plus tard perceront les blindés de Rommel), Franchet d’Esperey*, son chef au 1er corps, lui fait donner ses étoiles et le charge d’une division, avec laquelle il enlève Montceaux-lès-Provins pendant la bataille de la Marne*. Quelques semaines plus tard, Pétain prend la tête du 33e corps en Artois, dans le secteur de Notre-Dame-de-Lorette, où la lutte est particulièrement dure pendant l’hiver 1914-15. Le succès qu’il y obtient le 9 mai 1915 conduit Joffre à lui confier le commandement de la IIe armée en Champagne, où il s’affirmera encore dans la préparation et la conduite de la grande offensive du 25 septembre suivant.

Placés en réserve en vue de la bataille de la Somme, la IIe armée et son chef sont au repos quand éclate le 21 février 1916 l’offensive allemande sur Verdun*. Cinq jours après, grâce à la clairvoyance de Castelnau*, envoyé sur place par Joffre, Pétain, qui installe à Souilly son quartier général, prend dans une ambiance dramatique la direction des opérations sur les deux rives de la Meuse. Réorganisant aussitôt le commandement et, par la Voie sacrée, le ravitaillement des troupes de Verdun, il parvient en quelques semaines à briser l’assaut des forces du Kronprinz, et, après l’échec de l’attaque du 9 avril, peut lancer son fameux ordre du jour « Courage, on les aura ». L’équilibre des forces étant rétabli, Joffre élargit le commandement de Pétain à celui du groupe d’armées du Centre, qui coiffe la IIe armée, donnée à Nivelle*.

Les adversaires les plus déterminés du futur chef de l’État français sanctionneront le jugement de l’histoire qui fait de lui le vainqueur de Verdun. Il semble, toutefois, qu’au cours de cette longue guerre le plus beau titre acquis par Pétain soit celui de restaurateur de l’armée dans la crise terrible qui l’affecte en avril 1917 au lendemain de l’échec de l’offensive Nivelle sur le Chemin des Dames. Alors que tout semble compromis et que l’armée est menacée de décomposition, le 15 mai, la nomination par Painlevé de Pétain comme commandant en chef, apparaît aux politiques autant qu’aux militaires comme un havre de grâce. Face aux problèmes de la guerre, il réagit avec son réalisme foncier en décidant d’attendre les Américains. Face à la crise morale, il résiste à ceux qui veulent maintenir une autorité inhumaine. « Je maintiendrai avec fermeté la répression des faits d’indiscipline grave, écrit-il le 16 juin 1917, mais sans oublier qu’il s’agit de soldats qui sont avec nous depuis trois ans dans les tranchées et qui sont nos soldats. » En deux mois, le généralissime a visité près de 90 divisions et à la fin de l’année, après que 412 sentences de mort eurent été prononcées (55 exécutées), il a remis sur pied l’armée française. « Soyez patients et obstinés, écrit-il à ses troupes le 30 décembre 1917, si le plus pressé réclame la paix, c’est le plus persévérant qui en fixe les conditions. »

Après les événements de mars 1918, où Ludendorff est bien près d’enlever la décision, l’heure de Foch* peut venir : Pétain a reconstitué l’instrument qui lui permettra d’agir, et, par la claire conception qu’il a de la bataille défensive en profondeur, le généralissime français brisera les ultimes offensives allemandes du 27 mai et du 15 juillet 1918.


1919-1934

Au lendemain d’une victoire dont il demeure avec Foch le principal artisan, Pétain jouit d’un prestige tel que le gouvernement le maintient pendant plus de dix ans dans ses fonctions de commandant en chef désigné des armées françaises.

Pour beaucoup, son nom reste associé autant à sa qualité de chef victorieux qu’à sa capacité de dominer et d’apaiser les crises. Aussi, quand, en 1925, la révolte d’Abd el-Krim* dans le Rif met en péril l’édifice français en Afrique du Nord, Painlevé demande à Pétain de prendre en main la situation au Maroc*. Pétain se récuse d’abord en raison de son inexpérience des questions africaines, puis finit par accepter (ce qui amène la démission et le départ du maréchal Lyautey*) ; durant plus de deux mois, il assure personnellement la direction des opérations, qui aboutissent l’année suivante à la reddition d’Abd el-Krim.

Durant ces années d’après guerre, le maréchal Pétain, installé au fameux « 4 bis » du boulevard des Invalides, coiffe directement l’état-major de l’armée, dont les chefs successifs, les généraux Buat et Debeney, ont été ses collaborateurs immédiats en 1917-18.

C’est dire que, jusqu’au remplacement du maréchal par Weygand* en 1931, l’« école Pétain », auréolée, mais aussi figée par la victoire, domine de façon très exclusive tout le système militaire français. C’est au cabinet de Pétain, où le capitaine de Gaulle compte de 1925 à 1927 parmi ses collaborateurs, que s’élaborent les grandes décisions concernant le haut commandement et la défense nationale (ligne Maginot, etc.)

Après avoir remis au général Weygand ses pouvoirs sur une armée qui, dans son orientation comme dans ses structures, n’a guère évolué depuis 1918, Pétain, en dépit de ses soixante-quinze ans, conserve encore par sa fonction d’inspecteur de la défense aérienne du territoire un droit de regard non seulement sur l’aviation, mais aussi sur l’organisation de la défense. Il demeure en effet membre, avec voix délibérative, du Haut Comité de coordination de la défense nationale, créé par le gouvernement Herriot en 1932.