Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pays-Bas (royaume des) (suite)

L’union belgo-hollandaise se heurte à de multiples antagonismes, exaspérés par la politique parfois maladroite de la maison d’Orange. La vieille rivalité de Rotterdam et d’Anvers se réveille ; la Belgique, plus peuplée, se sent frustrée par les anciennes Provinces-Unies, dont Guillaume Ier s’efforce de reconstruire l’économie. Les décrets linguistiques de 1819 et 1823, en favorisant le néerlandais, hérissent les francophones du Sud et aussi les Flamands, gens de condition modeste qui se sentent brimés par le capitalisme néerlandais : catholiques fervents, ils supportent mal les interventions antiromaines d’un roi calviniste et quelque peu joséphiste. D’autre part, le régime autocratique des Oranges favorise le rapprochement entre les libéraux belges, influencés par les idées révolutionnaires françaises, et les catholiques belges, dont l’intelligentsia est fortement marquée par le libéralisme lamennaisien. Bref, un sentiment national belge se constitue, dont l’unité du royaume constitué en 1815 va faire les frais (v. Belgique).

Le 25 août 1830, Bruxelles s’insurge ; le 27 septembre, les troupes néerlandaises évacuent toute la Belgique sauf Anvers ; le 4 octobre, l’indépendance belge est proclamée ; le 3 novembre, le congrès national belge est élu, qui, le 9 juillet 1831, vote les Dix-Huit Articles, qui sont la base de négociations avec la Hollande au sujet des territoires contestés ; le 21 juillet 1831, Léopold Ier* de Saxe-Cobourg prête serment à la Constitution du jeune royaume belge.


La fin du règne de Guillaume Ier (1830-1840)

Mais Guillaume Ier refuse d’entériner ces événements : le 2 août 1831, il fait envahir la Belgique, qui doit recourir aux troupes françaises ; celles-ci libèrent le pays, mais ne s’empareront d’Anvers qu’en décembre 1832. Ce n’est qu’en 1838 que le roi des Pays-Bas s’inclinera. Le traité de Londres de 1839 laisse une partie du Limbourg aux Néerlandais, mais les Belges gardent une partie du Luxembourg.

Évidemment, la prolongation de la lutte contre les Belges révoltés a gravement obéré la situation économique et financière du royaume des Pays-Bas, réduit pratiquement aux limites des anciennes Provinces-Unies.

Guillaume Ier voit se former contre son régime contre-révolutionnaire un parti libéral dont les leaders sont Van Hogendorp et le juriste Johan Rudolf Thorbecke (1798-1872). Les libéraux obtiennent en 1840 une révision de la Constitution : la responsabilité ministérielle est instaurée ; le contrôle royal sur les finances est réduit. Mais les conservateurs trouvent un renfort dans le Réveil calviniste, dont le leader, Guillaume Groen Van Prinsterer (1801-1876), exalte la contre-révolution.

D’autre part, le sentiment national néerlandais, fouetté par la sécession humiliante de 1830, se développe. Un véritable renouveau religieux et littéraire accompagne la fondation, en 1837, par Everhardus Potgieter (1808-1875), de la revue De Gids (« le Guide »).

Guillaume Ier, devenu très impopulaire pour avoir projeté d’épouser, en secondes noces, une catholique belge, la comtesse d’Oultremont, et incapable de supporter une diminution de son autorité, abdique le 7 octobre 1840 en faveur de son fils, Guillaume II. Ayant épousé la comtesse d’Oultremont, il se retire en Silésie et meurt à Berlin le 12 décembre 1843.


La montée de la démocratie sous Guillaume II (1840-1849) et Guillaume III (1849-1890)

Guillaume II, souverain assez instable et au fond autoritaire, a cependant suffisamment de bon sens pour tenir compte du large courant libéral et réformiste qui transforme l’esprit public. Mais les libéraux, groupés autour de Thorbecke, se heurtent au conservatisme de la seconde Chambre, qui, en 1844, rejette le projet d’une réforme fondamentale de la Constitution. D’ailleurs, les graves troubles sociaux consécutifs à une crise frumentaire qui jette un tiers des Néerlandais dans l’indigence ne favorisent pas une politique de progrès à laquelle le roi n’adhère pas vraiment.

Puis les mouvements révolutionnaires de France et d’Allemagne incitent Guillaume II à constituer en mars 1848 une commission qui, dirigée par Thorbecke, met en forme une nouvelle constitution : celle-ci réaffirme l’inviolabilité de la personne du souverain et la responsabilité des ministres ; elle établit le contrôle du budget par le Parlement et instaure un système d’élection directe — mais censitaire — pour les deux Chambres, les états provinciaux et les conseils municipaux ; la liberté de réunion est accordée. Le roi meurt subitement le 17 mars 1849 ; lui succède son fils aîné, Guillaume III.

Le nouveau roi, après quelque hésitation, fait de Thorbecke son principal ministre (1849). Le chef libéral consolide la nouvelle constitution et fait voter d’importantes lois organiques qui régularisent le système électoral et assouplissent le système administratif. Cependant, l’« ère Thorbecke » (1849-1853 ; 1862-1866 ; 1871-72) connaît des éclipses favorables aux conservateurs, dont le leader, Floris Adriaan Van Hall (1791-1866), est au pouvoir de 1853 à 1856 et de 1860 à 1861. L’une des difficultés de la vie politique réside dans la question religieuse posée par la reconstitution de la hiérarchie catholique aux Pays-Bas par Pie IX en 1853 : Thorbecke, l’ayant approuvée, doit démissionner devant l’opposition des calvinistes conservateurs.

Mais la traditionnelle tolérance hollandaise permet vite aux catholiques, nombreux (un tiers de la population) et bien encadrés par leur clergé, de s’intégrer à la vie politique du pays, d’abord dans le courant libéral jusqu’en 1864 — date du Syllabus de Pie IX*, qui dresse contre Rome nombre de protestants —, puis comme parti autonome (parti national catholique romain).

Après la mort de Thorbecke (1872), l’éventail politique des Pays-Bas se diversifie et se complique, du fait notamment des scissions entre protestants, entre catholiques aussi, divisés quant à l’altitude à adopter vis-à-vis des autres confessions. Le parti libéral lui-même se scinde, les jeunes libéraux de Samuel Van Houten (1837-1930) et de Joannes Kappeijne Van de Coppello gardant le plus d’influence. L’Union libérale de 1885 ne regroupe en fait qu’une minorité.

Il n’empêche que le roi se conforme parfaitement aux principes du régime parlementaire : au-delà du morcellement des partis, le loyalisme à l’égard de la maison d’Orange constituera désormais l’élément essentiel d’une véritable démocratie aux Pays-Bas.