Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

Pays-Bas (royaume des) (suite)

En 1887, la Constitution est modifiée : l’élargissement du cens double le corps électoral. En même temps, la question scolaire rejette les catholiques vers les calvinistes antirévolutionnaires, comme eux hostiles à la politique de neutralité confessionnelle prônée par les libéraux. Si bien qu’une première coalition catholiques-calvinistes antirévolutionnaires est au pouvoir de 1888 à 1891, Aeneas MacKay (1838-1909) étant le leader des calvinistes et Hermannus Schaepman (1844-1903) celui des catholiques.

Sur le plan économique, le règne de Guillaume III est caractérisé par l’instauration en 1862 du libre-échange, sur le modèle anglais ; les assèchements se poursuivent, la modernisation de l’agriculture est activée, au profit surtout de l’élevage ; l’industrie se diversifie (textile, métallurgie, industrie électrique). Cependant, l’exiguïté du territoire rend les Néerlandais tributaires des grandes puissances. Il est vrai que l’empire colonial, l’Indonésie pour l’essentiel, permet aux Pays-Bas de se hausser au niveau des pays modernes. Après les tristes expériences du temps de la Compagnie hollandaise (v. Empire colonial néerlandais), l’Indonésie bénéficie de l’ouverture du canal de Suez : aux épices s’ajoutent les ressources en pétrole, tabac, caoutchouc, sucre.

Dans le même temps, Rotterdam, où de nombreuses compagnies de navigation ont fixé leur siège, bénéficie de l’ouverture de la navigation rhénane et du développement de la Ruhr. Les Pays-Bas jouent de nouveau leur rôle de pays de transit, qui donne à leur réseau de fleuves et de canaux et à leurs ports une activité sans cesse grandissante. La Royal Dutch (Koninklijke Nederlandsche Petroleum Maatschappij), par exemple, illustre par sa puissance le développement économique du pays.

Comme partout, cette prospérité a comme envers la paupérisation du prolétariat industriel et agricole. Une législation sociale — relative d’abord au travail des enfants — est mise en place à partir de 1874, sous l’influence surtout des libéraux, et notamment de Nicolas Gerard Pierson (1839-1909), de 1897 à 1901. En même temps, le syndicalisme prend forme (fondation de l’Association des travailleurs hollandais en 1871 ; du syndicat — calviniste — des paysans en 1876) et un socialisme de combat s’instaure en 1881 avec l’Union sociale-démocrate (Sociaal-Democratische Bond), présidée par l’ex-pasteur Ferdinand Domela Nieuwenhuis (1846-1919), qui, influencé par Marx, mais anarchiste de fait, connaît la prison. De son côté, un prêtre catholique, Alphonse Ariëns (1860-1928), constitue des groupes d’action sociale, inspirés par l’encyclique Rerum novarum (1891).


Le règne de Wilhelmine jusqu’en 1919

Guillaume III meurt le 23 novembre 1890. Il est remplacé par sa fille Wilhelmine, qui n’a que dix ans et qui, jusqu’à son couronnement, le 6 septembre 1898, règne sous la régence de sa mère, Emma de Waldeck-Pyrmont (1858-1934). Wilhelmine — qui allait s’attacher, par ses qualités exceptionnelles, le cœur de ses sujets et enraciner d’autant la royauté aux Pays-Bas — épouse en 1901 Henri de Mecklembourg-Schwerin, dont elle n’aura qu’une fille, Juliana, née en 1909.

La jeune reine est à la tête d’un pays en pleine mutation. Cependant, jusqu’en 1913, la vie politique est régulièrement rythmée tous les quatre ans par les élections législatives. L’homme qui domine la première partie du règne est le théologien Abraham Kuyper (1837-1920), fondateur du parti calviniste antirévolutionnaire. En 1901, Kuyper est porté au pouvoir par une coalition des partis religieux : il y reste quatre ans. Ce protestant rigide doublé d’un socialiste d’action — que la droite protestante a abandonné en 1897 — est affronté à de durs conflits alimentés par la conjoncture et favorisés par un courant socialiste révolutionnaire, républicain et anticlérical dont l’âme est Pieter Jelles Troelstra (1860-1930), fondateur en 1894 du parti social-démocrate (Sociaal-Democratische Arbeiders Partij). En 1903, Kuyper brise une grève générale des cheminots.

Le problème du suffrage universel domine aussi toute cette période. En proposant en 1894 une nouvelle extension du corps électoral, le ministre libéral J. P. R. Tak Van Poortvliet (1839-1904) avait eu en vue de remédier à l’excessif morcellement des partis. En 1896, l’abaissement du cens fait passer à 700 000 le nombre des électeurs. Mais les partis progressistes et surtout les socialistes militent pour le suffrage universel.

L’opposition socialiste, en battant les libéraux en 1905, oblige la reine à former un ministère extra-parlementaire présidé par Theodoor De Meester (1851-1919), qui doit démissionner dès 1907. La coalition chrétienne revient alors au pouvoir avec Theodorus Heemskerk (1852-1932) : elle met en place une législation sociale.

Les élections de 1913 jettent de nouveau la confusion dans la vie politique ; si bien qu’un nouveau cabinet extra-parlementaire, présidé par le libéral P. W. A. Cort Van der Linden (1846-1935), s’installe à l’exécutif. La démocratie hollandaise trouve alors son assiette, en 1917, avec l’instauration du suffrage universel pour les hommes et l’adoption du principe de l’égalité absolue entre enseignement d’État et enseignement privé.

Mais voici que l’approche de la Première Guerre mondiale pose le problème crucial de la neutralité hollandaise, maintenue intacte depuis 1815. Siège de la Cour internationale de La Haye, les Pays-Bas tiennent à cette neutralité, nécessitée surtout par des motifs économiques. Cependant, le pays étant stratégiquement très vulnérable, le service militaire obligatoire est instauré en 1898 et la côte est fortifiée à partir de 1911.

Décidément neutre entre 1914 et 1918, replié sur lui-même, exposé aux luttes entre Britanniques et Allemands et à leurs conséquences économiques (blocus), le pays a beaucoup à souffrir, notamment sur le plan des restrictions alimentaires. Mais la traditionnelle générosité hollandaise ne se manifeste pas moins, tant par l’accueil fait aux réfugiés des pays belligérants que par la part considérable prise dans le ravitaillement des régions envahies (nord de la France notamment).