Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pays-Bas (suite)

Le temps des troubles : la révolte des Pays-Bas et la naissance des Provinces-Unies (1555-1648)

Philippe II frappe les Pays-Bas de trop lourdes contributions pour financer son effort de guerre contre la France (17 millions de ducats entre 1551 et 1558) ou pour entretenir en temps de paix les garnisons espagnoles, dont la présence est mal supportée par les populations locales (un million et demi de ducats par an) ; il blesse ces dernières dans leur sensibilité dynastique en leur refusant sa présence corporelle à partir de 1559 ; il mécontente la haute noblesse en lui imposant comme « gouvernante » sa demi-sœur Marguerite de Parme (1559-1567), et surtout en contraignant cette dernière à prendre pour principal conseiller un Franc-Comtois, Antoine Perrenot de Granvelle (1517-1586), nommé cardinal-évêque de Malines ; il heurte enfin ses sujets en tentant de pratiquer aux Pays-Bas une politique de réforme catholique qui se traduit par la création de 14 évêchés nouveaux, par 36 000 condamnations à des peines diverses de 1559 à 1566 et enfin par une forte émigration, particulièrement dommageable pour l’économie. Prenant la tête de l’opposition, trois membres du Conseil d’État appartenant à la haute noblesse — Lamoral, comte d’Egmont (1522-1568), Philippe de Montmorency, comte de Hornes (v. 1524-1568), et le prince d’Orange, Guillaume de Nassau (1533-1584) — réussissent à obtenir le départ des troupes espagnoles en 1560, celui de Granvelle en 1564. Mais ils ne peuvent freiner la politique de réforme catholique de Philippe II, qui annonce au contraire, par ses lettres d’octobre 1565, le renforcement de l’Inquisition aux Pays-Bas afin d’en assurer l’application.

Plus pour des raisons politiques que religieuses en raison de leur indifférentisme spirituel, les grands seigneurs réagissent, à l’instigation discrète du prince d’Orange, par l’envoi d’une pétition à la gouvernante en avril 1566 et par la conclusion le 14 juillet suivant de l’alliance de Saint-Trond avec les calvinistes. Traités de « gueux » par le comte de Berlaymont, (1510-1578), autre conseiller de Marguerite de Parme, lors de leur entrevue avec cette dernière, les nobles néerlandais relèvent l’insulte et s’en font un titre de gloire. Ils prennent la tête de la révolte, qui se déclenche le 11 août 1566 près d’Armentières parmi les ouvriers du textile, victimes de la famine. Ce soulèvement revêt aussitôt un caractère iconoclaste, marqué par la destruction de trésors d’art inestimables dans les églises et dans les couvents.

Bien que la révolte soit brisée dès novembre 1566 par Marguerite de Parme, Philippe II donne l’ordre d’abolir les privilèges urbains et de recevoir l’armée du duc d’Albe. Gouverneur de 1567 à 1573, celui-ci établit un Conseil des troubles en 1567, rebaptisé « Conseil du sang » après la décapitation le 5 juin 1568 des comtes de Hornes et d’Egmont, l’élimination des Gueux de l’armée et la levée de très lourds impôts.

Cette répression sanglante, inutile et dangereuse, relance la révolte en 1568 : la guerre de Quatre-Vingts Ans est commencée. Elle est marquée en avril 1572 par la prise de Brielle par des calvinistes venus de l’extérieur et qui s’assurent ainsi le contrôle des bouches de la Meuse et du Rhin ; elle se développe d’abord dans les provinces du Nord. De Hollande et de Zélande, elle gagne Utrecht, la Gueldre et la Frise, ses actions étant coordonnées par Guillaume d’Orange et par son frère Louis de Nassau, venus respectivement d’Allemagne et de France. Perdant Zutphen et Haarlem, mais réussissant à sauver en 1573 Alkmaar devant laquelle échoue, par la suite, le nouveau gouverneur des Pays-Bas Luis de Requesens (1573-1576), les révoltés gagnent à leur cause le Brabant, le Hainaut, la Flandre et l’Artois à la suite du sac d’Anvers par la garnison espagnole, qui tue 7 000 personnes en novembre 1576. Ainsi se trouve facilitée la conclusion, le 8, de la pacification de Gand par les États-Généraux, qui, au nom des dix-sept provinces, réclament l’expulsion des troupes espagnoles, que le frère de Philippe II, don Juan, renvoie en effet en vertu de l’édit perpétuel du 12 février 1577.

Mais la maladresse de Guillaume d’Orange, qui fait destituer don Juan au profit nominal de l’archiduc Mathias (1557-1619) par les États-Généraux, les exactions de calvinistes, qui interdisent en particulier l’exercice du culte catholique à Gand, à Ypres, etc., incitent les députés d’Artois, de Hainaut et de Douai à constituer le 6 janvier 1579 l’Union d’Arras, catholique, à laquelle le nouveau gouverneur des Pays-Bas, Alexandre Farnèse (1577-1582), accorde la paix d’Arras en mai 1579 sur la base de la pacification de Gand et de l’interdiction du culte protestant. Par réaction, les sept provinces du Nord — Zélande, Overijssel, Hollande, Gueldre, Frise, Groningue, Utrecht —, plus intransigeantes et plus démocratiques, ainsi que quelques villes du Sud, telles Gand, Anvers et Bruxelles, concluent l’Union d’Utrecht le 23 janvier 1579, qui consacre en fait leur sécession.

La mise à prix de la tête de Guillaume d’Orange, l’Apologie par laquelle ce dernier en appelle à la souveraineté nationale contre Philippe II, le roi félon, déclenchent la guerre civile. Déjà vainqueur à Gembloux en 1578, Alexandre Farnèse (1520-1589) entreprend la reconquête des Pays-Bas méridionaux, qui s’achève en 1585 par le sac d’Anvers, définitivement ruinée au profit d’Amsterdam. L’installation des Jésuites, la création de nouveaux évêchés et de l’université de Douai facilitent la reprise en main des provinces du Sud par l’Église de la Contre-Réforme et donc par l’Espagne, qui en confie le gouvernement à l’archiduc Albert de Habsbourg (1595-1599). Il n’en est pas de même dans le Nord, où, malgré l’assassinat de Guillaume d’Orange en 1584, les forces de Philippe II ne peuvent mener à bien leur tâche, surtout après l’échec de l’Invincible Armada, marqué en 1588 par la destruction de la flotte espagnole.