Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pays-Bas (suite)

Construction empirique territorialement partagée entre le royaume de France et l’Empire, mais composée des plus riches terres agricoles et viticoles (en Bourgogne surtout) et des contrées les plus industrialisées et les plus ouvertes au commerce de l’Europe du Nord-Ouest, l’État bourguignon devient une incontestable réalité politique dont le souverain, le grand-duc d’Occident apparaît comme l’égal de l’empereur et du roi (de France). C’est alors que la mort de Charles le Téméraire sous les murs de Nancy le 5 janvier 1477 paraît devoir remettre en cause l’œuvre accomplie. Il n’en est rien.


Les Pays-Bas espagnols


Le temps de la prospérité (1477-1555)

Malgré le « Grand Privilège » de juin 1477, qui est imposé par les états généraux à Marie de Bourgogne (1477-1482) à la suite de la révolte de Gand et qui détruit l’œuvre centralisatrice de ses prédécesseurs, malgré l’invasion de l’Artois et du Hainaut par Louis XI, les Pays-Bas sont unis par la commune hostilité des principautés composantes à l’égard de la France et surtout par le mariage de l’héritière du Téméraire avec Maximilien de Habsbourg. Ce dernier gouverne les Pays-Bas de 1477 à 1494 ; il brise l’invasion française à Guinegatte le 7 août 1479 et étouffe les révoltes de Bruges et de Gand en 1484-85, puis le soulèvement général des villes flamandes et brabançonnes hostiles aux lansquenets autrichiens en 1488. Contraignant Gand à capituler en 1492, Maximilien peut donc léguer à son fils Philippe le Beau (1495-1506), puis à sa fille Marguerite d’Autriche (1507-1515) une principauté de Pays-Bas amputée temporairement de l’Artois, cédé à la France par le traité d’Arras du 23 décembre 1482, mais restitué par celui de Senlis le 23 mai 1493.

Acquérant et récupérant la Frise en 1524, la Drenthe et la Groningue en 1536, la Gueldre en 1543 ainsi que l’Overijssel et Utrecht, le fils de Philippe le Beau, Charles Quint, porte de douze à dix-sept le nombre des provinces constituant les Pays-Bas. Il établit à Bruxelles un gouvernement central sous l’autorité d’un gouverneur général, fonction remplie souvent par une femme, sa tante Marguerite d’Autriche de 1518 à 1530, sa sœur Marie de Hongrie de 1531 à 1555. Il institue en outre en 1531 un Conseil d’État, un Conseil des finances et un Conseil privé, dont le premier est constitué de membres à vie, tous choisis au sein de la haute noblesse, de même que les gouverneurs des provinces. Par contre, l’administration est confiée à des magistrats remarquables presque tous d’origine belge et issus de la bourgeoisie nouvelle et cultivée que l’humanisme et la Renaissance ont rendus rationalistes et tolérants et donc ouverts aux réformes favorables à la population, comme en témoignent les édits de 1531 et de 1540, qui laïcisent les services de bienfaisance. Aussi, à l’exception de la révolte de Gand, brisée en 1540 par Charles Quint, l’ordre n’est-il pas troublé.

Les Pays-Bas sont érigés en cercle d’empire, le cercle de Bourgogne, par la transaction d’Augsbourg de 1548 ; ils constituent dès lors un véritable État dont la puissance démographique, évaluée à 3 millions d’habitants en 1557, renforce la puissance économique.

Pratiquant des assolements très complexes incluant le lin et le navet et permettant d’obtenir des rendements très élevés, disposant d’un terroir cultivable accru grâce à la poursuite des opérations de drainage et d’endiguement et grâce à la remise en valeur de nombreuses friches, l’agriculture est l’un des éléments de cette puissance qui se traduit par la prospérité d’une classe paysanne libérée des derniers vestiges du régime féodal à la fin du xve s. et protégée contre les nouvelles dîmes par une mesure d’interdiction datant de 1520. Le second élément de cette puissance économique est l’industrie textile ; celle-ci s’oriente depuis la fin du xve s. vers la fabrication d’étoffes légères et à bon marché, serge, ostades, utilisant comme matière première la laine espagnole, dont l’achat est facilité par l’association des Pays-Bas et de l’Espagne sous l’égide des Habsbourg. De Flandre méridionale cette industrie gagne les pays wallons, le Hainaut et le Limbourg. En même temps se développe une industrie du lin qui substitue à partir des années 1520 des fibres russes aux fibres indigènes, dont la production est désormais insuffisante, tandis que Oudenaarde, Lille, Douai et Tournai succèdent à Arras comme centres de fabrication de la tapisserie. Parallèlement, la métallurgie accroît ses forges dans le pays de Liège où elle s’oriente vers la fabrication des canons et des arquebuses, tandis que les chantiers navals se multiplient en Zélande, que les moulins à papier et les raffineries de sucre prolifèrent sur le bas Escaut.

Soumise au régime de la libre entreprise, de la concurrence et de la division du travail par les marchands d’Amsterdam et surtout par les entrepreneurs d’Anvers, qui éclipse alors définitivement Bruges et dont les méthodes sont nettement capitalistes, cette économie contribue à modifier les structures de la société des Pays-Bas. Elle sécrète en effet un prolétariat industriel particulièrement sensible à la conjoncture, qui se dégrade entre 1520 et 1555 du fait de la multiplication des crises cycliques (1521-22 ; 1531-32 et 1545-46). Mais, surtout, elle contribue à la formation de cette bourgeoisie nouvelle qui se substitue à l’ancien patriciat urbain ruiné et dont sont issus ces fonctionnaires tolérants et éclairés dont on a déjà mentionné le rôle essentiel dans l’administration des dix-sept provinces.

Cet esprit de tolérance et d’ouverture, ces derniers le doivent sans doute à leurs multiples contacts avec les banquiers et les marchands originaires des pays de la Baltique, de l’Allemagne méridionale (Fugger), d’Espagne, du Portugal et d’Italie qui s’établissent à Anvers. Mais ils le doivent encore plus à l’activité intellectuelle et artistique qui anime les Pays-Bas depuis le xiiie s. : béguinages qui ont été alors des refuges contre l’agitation de la vie mondaine ; Frères de la vie commune de Geert Groote (1340-1384), qui ont pénétré au xve s. la société par la voie de l’enseignement ; université de Louvain, dont la fondation en 1425-26 par le duc de Brabant a facilité la formation de juristes ; imprimerie d’Anvers, illustrée par Christophe Plantin (v. 1520-1589) et dont l’essor a été facilité par l’invention des caractères mobiles en bois, dont l’auteur serait le Néerlandais Laurens Coster (v. 1405 - v. 1484) ; enfin, collège trilingue de Louvain, fondé en 1517 et dont Érasme à su faire le foyer de l’humanisme, par le relais duquel les Néerlandais vont rapidement passer à la Réforme. Et cela malgré l’hostilité de l’université de Louvain à Luther, dont plusieurs œuvres sont pourtant traduites en néerlandais dès 1520. Publiant de nombreux édits contre le culte luthérien à partir de 1529, organisant un système répressif analogue à celui de l’Inquisition espagnole, dont le curé de Woerden, Jan de Bakker (1499-1525), est la première victime lorsqu’il monte sur le bûcher en 1525, Charles Quint ne parvient pourtant pas à juguler la diffusion des idées réformées, en particulier dans le nord des Pays-Bas. Celles-ci se répandent en effet sous la triple forme du luthéranisme, du calvinisme à partir de 1543-1545 et plus encore, tout au moins à l’origine, de l’anabaptisme, dont le protagoniste Jean de Leyde (1509-1536) tente de soulever Amsterdam avant de se retirer avec ses adeptes à Münster en 1534. Ainsi, lorsque Philippe II succède en 1555 à son père en tant que prince de Pays-Bas, ceux-ci sont aux bords d’une révolte religieuse à laquelle la haute noblesse, qui se considère comme gardienne de leur indépendance, donne bientôt une coloration nationale.