Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

paysagisme abstrait (suite)

Existe-t-il un paysagisme abstrait ?

Qui dit « paysagiste » désigne la volonté d’aboutir à un paysage. Or, pareille ambition est étrangère à Kandinsky, comme à tous ceux que l’on peut ranger juste après lui sous l’étiquette du paysagisme abstrait : leur ambition serait plutôt d’aboutir à une peinture qui ne soit en rien paysage, même si à l’origine elle est transposition « tachiste » d’un spectacle naturel. Dès lors, « abstraction paysagiste » paraîtrait plus adéquat pour définir pareille démarche. Surtout si l’on observe ces artistes qui, entre 1912 et 1918, ont aussi demandé à la nature de leur fournir une sorte de prétexte à l’abstraction : Delaunay*, Picabia*, Mondrian*, Russolo, Balla (v. futurisme). Chez tous, en effet, non seulement l’intention « abstractisante » est plus importante que la référence au paysage, mais cette dernière référence est en somme accidentelle. Ce qui n’est pas vrai de Kandinsky, véritable héritier du romantisme, ni à ses côtés de Marc et de Macke dans leurs dernières œuvres, ni un peu plus tard, aux États-Unis, de Marsden Hartley, d’Arthur Dove et de Georgia O’Keeffe. À considérer une « abstraction paysagiste », on se doit donc d’y faire la part de ceux pour qui l’aspect paysagiste n’implique aucune attitude philosophique ni sentimentale et la part de ceux pour qui la référence à la nature revêt une importance capitale. Dans la première catégorie, on trouverait par exemple Jacques Villon et Nicolas de Staël*, cherchant à l’occasion leur inspiration dans le paysage, mais sans la moindre adhésion sentimentale à celui-ci.


Les rythmes naturels

Il en va tout autrement avec les artistes de la seconde catégorie, pour lesquels la nature demeure la principale source des émotions, même si leur peinture se refuse à être le complaisant miroir de cette nature. Au contraire, accéder à l’intimité des rythmes profonds qui animent la terre, la mer et le ciel implique le refus des apparences immédiates : ce n’est pas le profil de l’arbre qui compte, mais la sève qui parcourt ses libres ; ce n’est pas l’éventail de la vague qui s’ouvre qu’il s’agit de saisir, mais l’inépuisable énergie marine ; et plus que le dessin précis des nuages importent l’éloquence de l’orage et la charge électrique de l’éclair. En France, où cette tendance paraît plus répandue qu’ailleurs, il semble bien que ce soit à Bissière* qu’il faille remonter pour tenir l’extrémité du fil que le paysage va dérouler à travers l’abstraction d’après la Seconde Guerre mondiale. De Bissière en effet, Bazaine* paraît avoir hérité sa faculté d’intériorisation, Jean Bertholle sa fougue, Jean Le Moal sa ferveur et Alfred Manessier ses préoccupations mystiques. Charles Lapicque, Zoran Music, Vieira* da Silva et Zao* Wou-ki furent au nombre des premiers également à tenter de retenir sur leurs toiles les vibrations naturelles, selon la diversité de leurs tempéraments : Lapicque dans l’euphorie, Music au sein d’une brume d’inquiétude, Vieira da Silva à travers son angoisse, Zao Wou-ki par une plongée dans le mouvement cosmique. De diverses manières, Maurice Estève, Gustave Singier et Raoul Ubac entreprennent de figer la dynamique naturelle. Pierre Tal-Coat tend à se dissoudre dans la suggestion du monde, Jean Degottex dans l’évocation de l’espace, Robert Lapoujade dans la palpitation lumineuse, Pierre Montheillet dans le foisonnement végétal, Mario Prassinos dans la pluralité corpusculaire. Au contraire, Corneille, Philippe Hauchecorne, Paul Revel cherchent à s’enraciner, comme des arbres, dans le monde minéral.


Le nuagisme

Vers 1958, l’appellation de nuagisme fut assez arbitrairement appliquée à plusieurs peintres parisiens en raison d’un allégement de leur matière picturale qui faisait songer à celle, diaphane et floconneuse, des nuages. Au-delà de cette commune suggestion, les différences étaient évidentes : chez Jean Messagier s’imposait la primauté du geste, aboutissant à des paraphes fluides comme ceux que dessinent les vitriers sur les fenêtres des maisons en construction ; René Duvillier, dont la référence constante demeurait la mer, s’abandonnait à la contemplation du jaillissement croisé de vagues d’intensités et de directions différentes ; il y avait chez Frédéric Benrath un égal refus du geste et de la référence naturaliste immédiate au profit d’une tentative pour susciter des paysages fantastiques. Mais ces trois peintres allaient également dans le sens d’un allégement de la composition et de la densité picturale, ce qui aurait pu favoriser la communion avec les forces naturelles dans la mesure où l’on s’éloignait davantage de la matière, mais en réalité encourageait une saisie assez mystique du monde, comparable jusqu’à un certain point à celle de Rothko* ou d’Helen Frankenthaler. Le dernier venu des nuagistes, Piero Graziani, en évoquant irrésistiblement les plafonds peints par Tiepolo, allait d’ailleurs conférer à cette direction mystique une résonance théâtrale inséparable de l’univers baroque et d’ailleurs nullement dissonante par rapport au paysagisme abstrait pris dans son ensemble.

J. P.

➙ Abstraction.

 J. Grenier, Entretien avec dix-sept peintres non figuratifs (Calmann-Lévy, 1963).

paysans

Catégorie sociale constituée par ceux qui, vivant à la campagne, tirent directement leurs revenus de la production agricole.


On n’étudiera ici que les paysans français, qu’on considérera comme appartenant à une catégorie sociale, et on laissera de côté les problèmes agricoles, qui sont traités à d’autres articles (v. agriculture, exploitation agricole, machinisme agricole, etc.).

Il y a un peu plus de 2 500 000 travailleurs de l’agriculture en France. Cela représente environ 13 ou 14 p. 100 des travailleurs actifs français en 1970. On peut considérer que, parmi ces travailleurs de l’agriculture, à peu près 70 p. 100 des producteurs sont des paysans, petits producteurs possédant moins de 20 ha ; 25 p. 100 approximativement sont des paysans moyens, à mi-chemin entre les agriculteurs « modernes » et leurs compagnons petits paysans. Seuls 5 à 6 p. 100 des travailleurs de l’industrie de production alimentaire sont des agriculteurs. Il est vrai qu’ils travaillent environ le tiers de la surface agricole du territoire français. Il y a un million et demi d’exploitations en France.