Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

paysage (peinture de) (suite)

Cela n’est plus aussi vrai à l’époque romantique, dont l’atmosphère est bien traduite par les clairs de lune, les crépuscules et les contre-jours étranges de Caspar David Friedrich (1774-1840). Sans doute faudrait-il accorder une modeste place à une autre production européenne, teintée de rousseauisme, qui fait naïvement écho aux débuts de l’alpinisme. À la suite de Richard Wilson et d’aquarellistes comme John Robert Cozens (1752-1797) ou Thomas Girtin (1775-1802), les paysagistes anglais situent plus haut leurs ambitions. En même temps que le désir de s’identifier à la nature les pousse à une observation météorologique, Constable* et Turner* mènent une recherche technique qui a pour résultat l’exploitation des ressources propres de la matière picturale. En France, on retrouve cette innovation chez les peintres de l’école de Rarbizon*, porte-drapeau de la peinture « sur le motif ». Plus qu’eux encore, Courbet* empâte la toile et l’éclaboussé pour recréer des vagues qu’il croit « vraies » (v. romantisme et réalisme).

L’effort de l’impressionnisme* est inverse : il tend à détruire l’illusion de matière, comme l’illusion de la perspective colorée. Les plans sont confondus, la lumière dissout la forme, et avec elle toute une tradition de la peinture de paysage : la représentation devient l’affaire des photographes, les peintres y gagnent la liberté. La pseudo-objectivité devant l’instant permet de bouleverser le vocabulaire conventionnel des couleurs : un arbre peut paraître rose, au scandale d’un détracteur de Pissaro. Dès lors, le paysage s’avoue comme l’expression sincère d’une personnalité et de ses rapports avec le monde, ce que Van Gogh* ne cesse de répéter dans ses lettres à Théo. Dans sa lignée, l’expressionnisme* se manifeste par la violence des couleurs, la brutalité des aplats. Les ciels incendiés de Munch*, les sinistres tourbières de Nolde* sont les signes de la résistance qu’oppose la nature à l’effort de l’artiste. Autre chef de file, Cézanne* le Méditerranéen découvre l’harmonie entre la sensation et la structure du paysage. Le fauvisme* construit lui aussi, même lorsque Matisse* rend les formes transparentes et que Dufy* sépare la couleur de la ligne. Mais la recherche formelle n’empêche pas que le paysage soit alors, plus que jamais, « état d’âme » : c’est, pour les fauves, la joie de vivre.

L’exploration de l’inconscient trouve un écho dans les paysages surréalistes*, dont le pouvoir de suggestion naît de l’écart entre la minutie et l’invraisemblable, avec plus de rhétorique chez Dali*, plus de densité chez Max Ernst*. Le maître du « paysage intérieur » est sans doute Paul Klee*, qui dépasse toutes les conventions : ses villes prennent racine dans le sous-sol, se réfugient sur les arbres, il colorie le ciel en bandes horizontales qui rappellent les enluminures et exprime par ses titres la couleur affective qu’il entend donner à ses visions. Le paysage serait-il mort avec l’abstraction* ? Il semble plutôt qu’elle en soit le prolongement, en consacrant la totale liberté de l’imagination spatiale (v. paysagisme abstrait). Si le goût de nos contemporains pour le paysage naïf* n’est pas exempt d’une certaine nostalgie, la transposition d’un sentiment de la nature dans la peinture, figurative ou non, est encore au cœur de la création artistique.

E. P.

➙ Nature morte / Portrait.

 A. Lhote, Traité du paysage et de la figure (Floury, 1939 ; nouv. éd., Grasset, 1958). / M. J. Friedländer, Essays über die Landschaftmalerei und andere Bildgattungen (La Haye et Oxford, 1947). / K. M. Clark, Landscape into Art (Londres, 1949, nouv. éd., Boston, 1961 ; trad. fr. l’Art du paysage, Julliard, 1962). / C. Roger-Marx, le Paysage français de Corot à nos jours (Éd. d’histoire et d’art, 1952). / Y. Thiery, le Paysage flamand au xviie siècle (Elsevier, 1953). / S. E. Lee, Chinese Landscape Painting (Cleveland, 1954). / W. Stechow, Dutch Landscape Painting of the 17th Century (Londres, 1966), / M. Valsecchi, Paesaggisti dell’ottocento (Venise, 1970 ; trad. fr. les Paysagistes du xixe siècle, Electra-France, 1971).

paysagisme abstrait

Catégorie de la peinture du xxe s. dont les œuvres, en dépit d’une morphologie non représentative, évoquent le spectacle de la nature.


Dans son effort pour s’arracher aux limites de la figuration traditionnelle, l’abstraction*, lorsqu’elle ne s’en remettait pas au sévère vocabulaire de la géométrie, a eu souvent recours aux formes suggérées par la nature, et cela dès ses origines. C’est que déjà le paysage* constituait un refuge du peintre contre l’obligation esthétique et sociale de figurer les êtres humains, et l’on pourrait examiner de ce point de vue l’activité de Patinir* ou de Claude Lorrain*. Mais, en outre, les lignes et les volumes d’un paysage donné se prêtent infiniment mieux qu’un visage à l’interprétation subjective de l’artiste, surtout dès l’instant où celui-ci n’entend pas à proprement parler faire œuvre de paysagiste.


De la tache au paysage et du paysage à la tache

Vers 1785, Alexander Cozens (v. 1717-1786), père de John Robert Cozens, publiait un traité proposant une nouvelle méthode pour inventer « des compositions originales de paysages » à partir de taches d’encre. Il fallut ensuite plus d’un siècle aux peintres occidentaux pour redécouvrir ce que les Chinois avaient toujours su : que si d’une tache l’on peut faire un paysage imaginaire, inversement on peut traduire un paysage observé en quelques taches. Encore fallut-il que ce soit un peintre tout imprégné de culture orientale, Kandinsky*, qui imposât pareil retournement ! Entre-temps, cependant, le paysage « tachiste » préparait l’avènement de la tache « paysagiste », des sublimes orages de Turner* aux grottes extatiques de Gustave Moreau* ou aux nuages mythiques de Redon*, d’une part, d’autre part du même Turner aux notations fulgurantes de Boudin*, puis aux paroxystiques Nymphéas de Monet*, enfin aux orgies lumineuses de Bonnard*. Si, dans toutes ces œuvres, le passage du paysage à l’abstraction est pressenti, c’est néanmoins chez le seul Kandinsky qu’il s’accomplit entre 1908 et 1911, dans le contexte très précis des Alpes bavaroises autour de Murnau. Rien de plus facile en effet que d’identifier dans les peintures du fondateur du Blaue* Reiter les collines, les montagnes, les arbres et les clochers qu’il emprunte à un paysage familier. Mais que ces formes lui aient servi de point de départ, cela suffit-il à faire de Kandinsky un paysagiste abstrait ?