Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

paysans (suite)

Quelques définitions

agriculteur, personne qui produit des biens alimentaires adaptés à un marché national ou international, avec un outillage moderne, sur une exploitation grande ou moyenne (plus de 60 ha).

paysan, producteur de biens végétaux et animaux, non transformés, selon des méthodes traditionnelles où le travail manuel est important ; sa famille participe aux travaux des champs, et le groupe domestique consomme largement sa propre production. La surface exploitée est petite ou moyenne.

rural, personne qui vit et travaille à la campagne. Il y a des ouvriers ruraux travaillant dans de petites usines campagnardes : ce ne sont pas des paysans.


Mode de vie

La plupart des paysans français vivent sur le lieu de leur travail, la ferme, unité tout à la fois économique, familiale et sociale. Qu’ils soient fermiers ou propriétaires (la différence cesse désormais d’être significative), leur vie de famille est mêlée à leur métier. Ils distinguent mal leur capital d’exploitation et leur propriété personnelle, leurs biens de production et leurs biens de consommation. Un congélateur, une voiture, un grenier sont-ils des outils de travail ou des biens d’équipement ménager ? Ils ne comptent pas leurs heures de travail, et leur année tout entière est une longue besogne, peu intensive l’hiver, fatigante l’été, mais où les heures de loisir sont prises au gré des intéressés. Dans la plupart des campagnes françaises, on a gardé vivace un folklore, peu avoué jusqu’en 1968, renaissant et revendiqué, particulièrement dans les provinces françaises.


Quelques faits d’histoire

On ne peut insister ici sur l’histoire des paysans, qui, racontée en détail, serait l’histoire de France même. Il faut cependant insister sur quelques époques et dates cruciales. De l’époque gallo-romaine au xviiie s., l’agriculture ne connaît que peu de changements et garde l’essentiel de ses traits néolithiques.

Cependant, à la fin du Moyen Âge, a lieu une invention capitale : le collier de trait du cheval, qui accroît la force de travail. On cultive à l’araire, qui gratte la terre sans la retourner. Au xviiie s., on abandonne la jachère bisannuelle et on entreprend de pratiquer la polyculture, avec rotation de cultures sur une longue période (dix ans). Au début du second Empire commence à se développer l’agriculture moderne (apport de capitaux urbains, grande surface, machines à vapeur). Rien ne change profondément jusqu’aux années 1950, qui voit un essor foudroyant de la mécanisation, dominée par le tracteur automobile : 120 000 tracteurs en 1950, 830 000 en 1961, 1 300 000 en 1971 (v. machinisme agricole). On peut dire qu’aujourd’hui 90 p. 100 des fermes ont abandonné le cheval.


Exode rural

Jusqu’en 1830-1840, la population paysanne s’accroît lentement. À partir de 1840 (Normandie, Centre) ou 1914 (Bretagne, Loire, Midi), les campagnes françaises sont l’objet d’un dépeuplement régulier. L’agriculture joue, pour l’industrie, désormais dominante, le rôle de réservoir de main-d’œuvre. Ce mouvement d’exode est à la fois cause et conséquence de phénomènes importants.
— L’exode crée le manque de main-d’œuvre et accélère la mécanisation.
— La concentration des terres se produit au profit principal des moyennes et grandes exploitations, les petites étant les plus touchées par le départ.
— Les parcelles, trop nombreuses, trop petites et trop dispersées, sont remembrées. Corrélativement, certains paysages agraires connaissent un changement profond : l’arasement des haies transforme des régions de bocage traditionnel breton en open-field.
— La mécanisation accrue oblige, pour rentabiliser et rembourser les outils achetés à crédit, à une production plus intense et suivant de plus près les demandes du marché.
— Cette production de masse sur un marché mal organisé crée des crises de surproduction et des fluctuations brutales des prix qui incitent cycliquement les paysans à des pressions, légales ou violentes, sur le gouvernement, dans le but de lui faire adopter une politique protectionniste et des organismes de régulation des marchés et de fixation des prix (Office du blé, 1936).
— Le prolétariat urbain s’accroît.
— Le paysannat marque son désarroi psychologique et moral devant la fuite des hommes et la rapidité de la mécanisation.
— Les valeurs traditionnelles, fondées sur le travail manuel et le rythme saisonnier, s’effritent.


Diversité géographique et économique

Aux yeux d’un observateur qui ne cherche pas de nuances, le paysan français se ressemble partout : il est même devenu un stéréotype littéraire ou un sobriquet moqueur pour le citadin. Mais de grandes différences séparent les régions et les productions :
— la grande région parisienne et les plaines du Nord (production de blé, de betterave et de maïs) sont marquées par une agriculture progressiste, où dominent les problèmes d’agriculteurs-employeurs face à leurs salariés ;
— dans le Massif central, les paysans, traditionnels, pratiquent la polyculture, avec une dominante pour le lait et la viande ;
— en Bretagne et dans le pays de la Loire, les paysans possèdent de très petites exploitations et pratiquent des cultures intensives ainsi que l’élevage du poulet et du porc en artisanat développé ;
— le Sud-Ouest est le pays du blé, du maïs et de la polyculture ;
— dans le Sillon alpin et le Sud-Est dominent l’arboriculture fruitière et la polyculture ;
— le Languedoc vit de la vigne, des fruits et des légumes.

Cette diversité marque des attitudes, des mœurs, des représentations politiques et sociales différentes. Il ne faut pas cependant se fier de trop près à l’analyse des votes : le paysan qui vote à droite dans l’Yonne le fait sans doute pour les mêmes raisons que le vigneron communiste du Roussillon ou le Breton socialiste. La diversité des intérêts nous en apprend plus.


Situations économiques

L’agriculteur gros et moyen est souvent producteur de blé ou de betterave. Cette culture, dont le prix est garanti par l’État, lui procure des revenus réguliers, sans trop de soucis d’excédents ; il est aussi parfois éleveur de bœufs ou de veaux. Son organisation, son crédit lui permettent de vivre à l’aise. Il soutient néanmoins, plus par intérêt que par réelle solidarité, les revendications des petits paysans : demander une hausse du prix de production ou la protection des marchés, c’est vital pour le petit paysan, mais cela procure un surprofit au grand cultivateur.