Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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patrons et patronat (suite)

Le « patronat » déborde ainsi singulièrement le seul théâtre de l’entreprise. Il détient un large pouvoir économique et social : le pouvoir de commandement et celui d’organiser la firme à sa guise ; mais il détient aussi dans la cité un pouvoir politique (participation fréquente, directe ou indirecte, aux organes de la fonction législative*, participation aux délibérations des assemblées consulaires, etc.). Certes, le milieu parlementaire (dans lequel le grand patronat s’est assez facilement inséré au temps du suffrage censitaire, puis sous le second Empire) lui est, dès 1880, pied à pied disputé ; mais d’autres canaux lui permettent d’agir sur les pouvoirs publics par des schémas de substitution presque aussi efficaces. Ces canaux lui sont fournis dès lors qu’il accepte de se structurer en se dotant d’une organisation professionnelle.


Le patronat, groupe professionnel organisé


La Confédération générale de la production française (1919)

Le Comité des forges avait été organisé dès 1864 ; il fut suivi, en 1900, de l’Union des industries métallurgiques et minières ; c’était le puissant organe de représentation des intérêts de la sidérurgie. Amorce de « syndicalisation patronale » avant la lettre (la loi française sur les syndicats* n’est votée qu’en 1884), le Comité voulait dialoguer avec les pouvoirs publics, faire connaître les vues des forges relatives à la législation économique, veiller à la politique douanière du gouvernement. Son activité fut considérable. Il faudra, cependant, attendre le lendemain du premier conflit mondial pour voir la naissance d’une véritable « centrale » susceptible de représenter tout le patronat à l’échelon national et interprofessionnel, la Confédération générale de la production française (le mot patronat n’apparaît pas, notons-le), qui, née en 1919, est constituée par les grandes organisations patronales (Comité des houillères, U. I. M. M., etc.).

La syndicalisation patronale répond en 1919 à un objectif que n’avaient pas formulé les membres du Comité des forges de 1864 : la lutte sociale s’étant intensifiée et durcie depuis la fin du xixe s., le combat des partenaires sociaux s’étant radicalisé, il convenait, face à la syndicalisation ouvrière, d’opposer le contre-feu d’une organisation patronale permettant aux chefs d’entreprise de se concerter pour agir efficacement. À la défense des intérêts économiques vont se superposer la défense des intérêts sociaux et la réaction contre certaines attitudes du gouvernement (étatisme naissant et alourdissement des charges sociales). Le syndicalisme ouvrier et les grèves seront les soucis majeurs de la Confédération.


La Confédération générale du patronat français (1936)

La crise des années 1930-1936 rendra de mauvais services à cette articulation patronale : tout préoccupés qu’ils sont par la survie de leurs firmes, les industriels et, à leur tête, la C. G. P. F. laisseront passer la chance de constituer une structure professionnelle réellement efficace et de mettre à l’étude les problèmes sociaux les plus fondamentaux. À la suite de la politique rigoureuse de déflation poursuivie par le gouvernement Laval (1935) dans le cadre de la sauvegarde de la monnaie, le Front* populaire et des grèves sans précédent avec occupation d’usines traumatisent en 1936 le patronat français. Celui-ci va manifester cependant une capacité remarquable d’adaptation. En fait, 1936 est favorable à la prise de conscience patronale.

Participant aux accords Matignon, (patronat, État, salariat), la C. G. P. F., représentée par son président René Duchemin (1875-1963), signe les textes qui vont aboutir notamment à la semaine de 40 heures et aux congés payés. Duchemin laisse la place bientôt à un « patron » inflexible, Claude Joseph Gignoux (1890-1966). Celui-ci va rassembler les forces dispersées ou réticentes du patronat français. « Patrons, soyez des patrons ! », aimera-t-il à répéter, galvanisant la syndicalisation patronale. Sur ces entrefaites, la Confédération générale de la production française s’est intitulée « Confédération générale du patronat français ». Mais le patronat, qui a su supporter dans l’ensemble la secousse de 1936 et à l’égard duquel la portée des conquêtes sociales se trouve, de 1937 à 1939, quelque peu minimisée, voit en 1940 son « syndicat » dissout — à l’instar des syndicats de travailleurs — par le gouvernement de Vichy. Il faudra attendre 1946 pour que renaisse le syndicalisme patronal — le troisième en moins de trente ans —, le C. N. P. F. (au sigle changé, mais où patronat est un vocable qui subsiste et ne se dissimulera plus) remplaçant la Confédération.


Le Conseil national du patronat français (C. N. P. F.) [1946]

« Messieurs, j’ai vu peu d’entre vous à Londres ! » Par ces mots, le général de Gaulle aurait répondu, dit-on, à un groupe de patrons venu l’accueillir lors du retour en France... Le patronat, discrédité par quatre années d’occupation — malgré le courage de plus d’un chef d’entreprise face aux circonstances imposées —, avait, en 1945, une mauvaise image de marque à l’égard de l’opinion et du pouvoir ; cette image il lui fallait à tout prix et très rapidement la restaurer.

Le Conseil national du patronat français s’avérera d’entrée de jeu une structure solidement organisée. Bien charpenté, doté de moyens d’étude des problèmes sociaux adaptés à sa mission d’organe de dialogue, il évitera le reproche de méconnaissance des problèmes du travail dont le patronat avait pu être taxé lorsque les troubles de 1936 éclatèrent : les leçons de l’histoire ont porté. « Association » de la loi de 1901, la centrale patronale de l’avenue Pierre-Ier-de-Serbie est une fédération de fédérations qui se regroupent au sommet. C’est, si l’on veut, un « syndicat de syndicats » : une firme ne fait pas partie directement du C. N. P. F., mais s’y rattache par l’intermédiaire de son syndicat professionnel. Le C. N. P. F. assure auprès des pouvoirs publics, d’une part, et des syndicats de salariés, d’autre part, la « représentation » des entreprises françaises qui lui sont rattachées.