Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Palladio (Andrea di Pietro dalla Gondola, dit il) (suite)

Doit-on, de ce fait, considérer Palladio comme un anticlassique et accepter les thèses qui, après avoir cherché les origines de la tendance contemporaine au Siècle des lumières, en viennent à présenter le maître de Vicence comme un caractère inquiet et indépendant, pour en faire le générateur premier de cette révolution artistique ? Ou bien doit-on chercher ailleurs les motifs d’une « présence » qui s’est imposée aux générations les plus diverses ?

Dès l’abord, une remarque s’impose : Palladio n’appartient pas au milieu intellectuel et éclectique des artistes de la Renaissance*, peintres, sculpteurs, architectes à l’occasion. Il est même un des premiers à se spécialiser, et cela après une très longue probation technique (apprenti tailleur de pierre entre treize et seize ans dans sa ville natale, puis fixé à Vicence, où il devait rester praticien jusqu’à trente-deux ans chez un architecte-sculpteur).

C’est comme maître maçon que ce technicien éprouvé est appelé à élever ses premières maisons vicentines et des villas dans les environs : à Lonedo pour un Godi, à Bassano pour le comte Angarano (qui lui demandera un pont sur le Cismon), à Quinto pour les Thiene... Dans ces réalisations des années 1535-1540, on discerne déjà des dispositions appelées à devenir typiques : la « travée palladienne », où l’architrave est interrompue par une archivolte ; la baie en arc de décharge, avant tout une composition aérée, ponctuée d’absides et de portiques. Vers la même époque, peut-être un peu avant, l’humaniste Gian Giorgo Trissino avait chargé Andrea d’aménager sa villa de Cricoli (près de Vicence) pour en faire le siège d’une académie ; et cette rencontre est capitale. Le jeune architecte, patronné par le lettré, va en recevoir le surnom qui l’assimile à la déesse athénienne, mais surtout des conseils pour l’étude de l’Antiquité. Il relèvera les monuments de Vérone, ceux de Split, plus tard ceux de Naples et même ceux de Nîmes et d’Orange. Cinq voyages à Rome, les premiers avec son mentor, lui vaudront de publier en 1554 les Antiquités de Rome (Antichità di Roma). Mais Trissino est décédé en 1550, et c’est pour un autre humaniste, Daniele Barbaro, patriarche d’Aquilée, que Palladio illustre une édition de Vitruve*, publiée en 1556, avec des compositions d’une valeur très personnelle.

Toute sa vie, l’architecte restera imprégné de culture vitruvienne. Ses Quatre Livres d’architecture (I Quattro Libri dell’architettura), publiés en 1570 — il a alors soixante-deux ans —, se réfèrent constamment au vieil auteur, pris pour maître et pour guide, et dans le seul but, dit-il, de le bien expliquer. Aussi Palladio y reste-t-il assez proche de son modèle ; il traite des ordres, des édifices privés, des routes, des ponts et des places, des basiliques et des temples antiques. Il donne, lui aussi, une grande importance aux maisons particulières, mais ajoute ses propres réalisations en regard des demeures antiques restituées. S’il ne poursuit pas ce parallèle dans le domaine religieux, c’est sans doute qu’il cherche encore à parfaire les constructions religieuses alors en cours à Venise. Son insistance pour les temples circulaires anciens s’éclaire quand il déclare que la forme ronde est la plus valable par sa solidité, sa capacité et surtout comme signe de l’unité, de l’infinité divines (il prend pour seul exemple moderne le tempietto de Bramante*). Étranger à l’esprit baroque, Palladio en dénonce par avance l’illogisme et le caractère profane ; parallèlement, il fait l’apologie de la couleur blanche, qui « représente la pureté que nous devons avoir devant les yeux pour y conformer toutes les actions de notre vie ».

Sa renommée auprès de ses contemporains commence en 1545-1549 avec son triomphe sur les plus grands architectes (Sansovino*, Serlio*, Michèle Sammicheli, Jules Romain*, dont, par ailleurs, il subira l’influence) pour l’achèvement du palais della Ragione, la « Basilique » de Vicence. La solution réside dans l’utilisation de la « travée palladienne » pour ôter au vieil édifice sa massivité en l’habillant, sur deux étages, d’un écran de portiques légers.

Les commandes affluent : à Vicence même, en 1550, le palais Chiericati, largement ouvert pour permettre de contempler la campagne ; le palais Iseppo da Porto (v. 1552) ou le palais Thiene (1556), plus fermés, mais couronnés aussi d’une statuaire abondante. L’activité du maître s’étend bientôt à la Vénétie et jusqu’au Frioul (en 1556 le palais Antonini d’Udine, puis les édifices publics de Cividale, de Feltre, de San Daniele...). Les inondations de 1559 le conduiront, au mépris de ses propres inventions de « ponts-galeries », à reconstruire selon des procédés alpins des ponts de bois qui, reproduits dans l’Architecture, influenceront les architectes néo-classiques.

Dans la variété des villas palladiennes (souvent difficiles à dater), on retrouve des dispositions communes : ainsi des galeries réunissant à couvert les dépendances au logis, de façon à former soit une ligne (villa Emo à Fanzolo, 1550), soit un rectangle fermé ou ouvert (villa Poiana à Poiana, v. 1558 ; villa Pisani à Bagnolo et villa Zeno à Cessalto, v. 1566), parfois avec une exèdre (villa Sarego poi Boccoli à Santa Sofia). La galerie peut même s’incurver en hémicycle, comme à la villa Thiene de Cicogna (détruite) ou à celle de Badoer à Fratta Polesine, voire se multiplier en enserrant des espaces distincts (déjà à la villa Thiene de Quinto ou dans un important projet pour Leonardo Mocenigo), qui se retrouveront dans les « grandes machines » académiques. Dans ces compositions visant au gigantisme, la part de l’Antiquité est grande — celle des thermes particulièrement —, mais aussi celle des grandes villas romaines. Le logis lui-même offre des combinaisons variées de plans carrés ou barlongs ; pièces et circulations sont réparties autour d’un espace couvert ou non (rappel de l’atrium) déterminant une symétrie axiale ou centrale. En façade, l’entrée peut se dérober ou présenter la saillie d’un portique en frontispice de temple romain (la loge, dite plus tard « péristyle »). Les volumes tendent finalement à un assemblage prismatique, à une structure quasi cristalline dans les cas les plus élaborés. Le plus célèbre exemple est celui de la Rotonda, proche de Vicence (v. 1565) ; une salle centrale ronde à coupole, cantonnée par quatre appartements symétriques dessinant en plan un carré (distribution comparable à celle de Chambord*, connue de Palladio), ouvre par quatre loges axiales sur un panorama total. Cette demeure isolée, regroupant les services dans son soubassement, avait été conçue pour la retraite d’un prélat, ancien référendaire des papes, Paolo Almerico. La villa Trissino, à Meledo, était sur le même thème, mais présentait vers la rivière l’étagement théâtral de deux terrasses à portiques. Ailleurs, la salle ne dépasse pas les toits et dessine en plan un simple rectangle, un T ou une croix (villas Pisani à Bagnolo, Foscari à Malcontenta, Barbare à Maser). À Maser, pour le patriarche, la masse du logis avance sur le front d’une galerie rectiligne, à la façon de certains temples antiques adossés. À l’arrière, au niveau de l’étage, s’ouvre dans une exèdre un nymphée dont l’eau alimente les cuisines, puis les jardins en contrebas. C’est ici, en 1566, le début d’une évolution caractéristique des dernières œuvres vicentines : aux palais Barbarano et Thiene poi Bonin-Longare, à la Loggia del Capitanio (1571, inachevée), au théâtre Olympique (commencé en 1580, terminé par Vincenzo Scamozzi, qui établira la perspective de la scène), l’ordonnance l’emporte sur le mur ; elle seule détermine le volume.