volonté

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin voluntas, trad. du grec boulêsis.

Philosophie Antique

1. De façon générale, forme délibérée et rationnelle de la faculté par laquelle l'homme se détermine à agir. – 2. Chez les stoïciens, forme « raisonnable » de l'impulsion à obtenir quelque chose.

La première apparition du terme voluntas dans le vocabulaire philosophique remonte au poème De la nature, de Lucrèce (mort en 55 av. J.-C.). Peu après, Cicéron utilise le terme pour traduire le grec boulêsis(1).

Ce terme grec lui-même était utilisé dès Platon et Aristote, mais il désigne chez eux le souhait plutôt que la volonté. En effet, chez Aristote, la boulêsis est un désir du bien, désir rationnel dans la mesure où il est opposé à la colère et à l'appétit comme désirs irrationnels(2). En outre, Aristote distingue le souhait de la prohairesis : la boulêsis peut porter sur l'impossible ; par exemple, on peut souhaiter d'être immortel, mais on ne décide pas de l'être, car c'est impossible. En outre, le souhait porte plutôt sur la fin, tandis que la prohairesis porte sur les moyens, ce qu'Aristote illustre d'une série d'exemples : on ne décide pas d'être en bonne santé, mais de marcher ou de rester assis pour être en bonne santé(3). La boulêsis aristotélicienne n'a donc pas grand-chose à voir avec ce que nous concevons comme volonté, dont la forme aristotélicienne serait plutôt la prohairesis, en tant que décision délibérée d'agir. On traduit également souvent par « volontaire » le terme hekousion, qui désigne chez Aristote l'action non contrainte et faite en connaissance de cause : est volontaire « ce dont on a le principe en soi, tout en connaissant les circonstances particulières de l'action »(4).

En revanche, en donnant à la boulêsis le sens d'une impulsion raisonnable à obtenir « quelque chose qui a l'apparence du bien »(5), et non plus celui d'un simple souhait, les stoïciens ont donné à la notion un sens qui a contribué à déterminer notre conception de la volonté. Il s'agit d'une forme raisonnable d'hormê (constantia), qui s'oppose à la forme déraisonnable (passion) de l'impulsion à obtenir un bien, forme déraisonnable qui est le désir(6). Toute impulsion à agir, même délibérée, n'est donc pas volontaire aux yeux des stoïciens, qui soulignent que la volonté est accompagnée de prudence, et qu'elle est l'apanage du sage. La conception stoïcienne de la volonté est donc moralement connotée : ce n'est pas seulement une notion de la psychologie de l'action. Mais, en deçà de cette problématique spécifique aux stoïciens, leur conception du processus allant de l'hormê à l'action est l'une des étapes importantes de la construction de la notion de volonté. En effet, selon les stoïciens, d'abord survient la représentation de la marche comme d'une action convenable, puis l'âme met en mouvement les membres du corps pour réaliser ce qu'elle se représente comme souhaitable. Mais entre la représentation et la mise en mouvement des membres s'intercale l'assentiment, par lequel l'âme approuve ou rejette la représentation qu'elle s'est faite de la marche comme d'une chose qu'il serait bon d'accomplir(7). À cette problématique de l'assentiment, le stoïcisme d'Épictète ajoutera la notion de prohairesis, reprise d'Aristote et quasi absente du stoïcisme originel. Cette indépendance de l'assentiment vis-à-vis de la nécessité et du destin, comme l'impossibilité de contraindre la prohairesis, sont des contributions originales des stoïciens à la conception de l'autonomie de la volonté.

Quand Lucrèce emploie le terme voluntas, nul ne sait quel est le terme grec qu'il pourrait traduire : il est même probable qu'il l'introduit dans le contexte épicurien. La volonté est pour lui le « principe » des mouvements du corps, principe « libre » qui est « arraché aux destins » grâce à l'indéterminisme que la déclinaison introduit dans les mouvements des atomes(8). Il n'y avait là, en tout cas, rien de contraire à la description de l'autonomie de l'homme par rapport à la nécessité chez Épicure lui-même(9). Entre la description que Lucrèce donne du processus volontaire et celle que les stoïciens donnent du processus de l'hormê, il existe des points communs : préexistence de la représentation de l'action bonne, mise en mouvement des membres par l'âme à la suite de cette représentation. Mais la faculté d'assentiment n'apparaît pas chez l'épicurien(10).

À la fin de l'Antiquité, notamment chez saint Augustin, le problème principal de la volonté devient celui du libre arbitre : la question de la volonté prend alors une importance eschatologique, car la question est de savoir si c'est Dieu ou le libre arbitre de l'homme qui est responsable du péché.

Jean-Baptiste Gourimat

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Cicéron, Tusculanes, IV, 12.
  • 2 ↑ Aristote, Rhétorique, I, 10, 1369 a 3-4
  • 3 ↑ Aristote, Éthique à Nicomaque, III, 4 ; Éthique à Eudème, II, 10.
  • 4 ↑ Ibid., III, 3, 1111 a 23-24.
  • 5 ↑ Cicéron, loc. cit.
  • 6 ↑ Diogène Laërce, [??], VII, 116.
  • 7 ↑ Sénèque, Lettres à Lucilius, 113, 18.
  • 8 ↑ Lucrèce, De la nature, II, 251-265.
  • 9 ↑ Épicure, Lettre à Ménécée, 133-135.
  • 10 ↑ Lucrèce, op. cit., IV, 877-906.
  • Voir aussi : Voelke, A.-J., l'Idée de volonté dans le stoïcisme, Paris, 1973.

→ constance, déclinaison, délibération, libre arbitre, prohairesis

Métaphysique, Philosophie Cognitive

L'âge classique reçoit la théorie de la volonté, notamment de la tradition augustinienne, qui la déchiffre dans le registre de l'amour.

Chez Descartes, la volonté est une instance qui, avec l'entendement, constitue le jugement. L'erreur se produit lorsque la volonté excède les limites de l'entendement fini(1). On retrouve d'une certaine façon cette problématique dans la politique de Rousseau, pour qui la volonté générale ne peut errer, mais peut ne pas voir le bien qu'elle veut – alors que le législateur, au contraire, joue le rôle d'un entendement de la Cité(2). Une telle opposition entre entendement et volonté est dépourvue de sens chez Spinoza, pour qui idée et volition s'équivalent, l'entendement n'étant que la somme des idées et la volonté celle des volitions ; distinguer entendement et volonté, c'est alors commettre une double erreur : isoler imaginairement la volition comme si elle pouvait se produire sans causes, et céder à l'illusion des généralités, qui prend les idées ou volitions singulières, seules véritables réalités de la pensée, pour les exemples d'une faculté imaginaire(3).

L'enjeu des discussions sur la volonté et son autonomie par rapport à l'entendement ou à toute autre cause, c'est la conception de la liberté, conçue soit comme libre-arbitre, soit comme absence de contrainte mais non de nécessité.

Pierre-François Moreau

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Descartes, Méditations métaphysiques.
  • 2 ↑ Rousseau, Du contrat social.
  • 3 ↑ Spinoza, Éthique, II.

Psychologie

En psychologie, la volonté est définie négativement : est volontaire ce qui n'est pas réflexe. L'aboulie est le déficit psychopathologique de la volonté.

La volonté a le caractère irréductible d'une intuition corrélative de toute action, voire de toute tentative d'action, dont on est l'auteur. Et comme on peut dire de quelque chose qu'on a fait qu'on ne l'a pas voulu, on suppose en outre qu'il s'agit d'un événement mental distinct de l'action. En même temps, si je lève le bras (action totale) volontairement, chaque segment réel du geste (action se déployant) est lié au précédent par une chaîne d'activations nerveuses. Qu'on soit donc amené logiquement à supposer un tel événement est-il un artefact trompeur de la grammaire de l'agir, ou bien l'intuition de vouloir est-elle, à titre de fait mental, même s'il est mal défini, un ingrédient primitif de l'acte ? Peut-on alors superposer une chaîne de « volitions » concrètes au déploiement, étape par étape, de l'acte ? C'est dans cette direction que s'esquisserait une psychologie de la volonté s'approchant aussi près que possible d'un seuil de positivité.

L'aboulie, accompagnée d'épuisement, voire de dépersonnalisation, suggère au moins que disposer d'une intuition de sa volonté (fut-elle une illusion métaphysique) joue un rôle-clé dans l'équilibre vécu du moi.

Pierre-Henri Castel

Notes bibliographiques

  • O'Shaughnessy, B., The Will, Cambridge U. P., 1980.
  • Ribot, T., les Maladies de la volonté, Paris, 1883.

→ psychasthénie




volonté générale


Contenue dans l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la volonté générale est à la base de notre conception républicaine et démocratique de la loi. Elle exprime l'idée étonnante qu'un peuple est susceptible de vouloir collectivement, et que ce vouloir est la seule base légitime de son destin politique.

Politique

Concept fondateur de la démocratie moderne, qui affirme la souveraineté du peuple en la déduisant de l'égalité naturelle des individus, récusant ainsi, contre les théoriciens de l'absolutisme, que la souveraineté puisse légitimement être déléguée à un monarque.

Historiquement, le concept se forge au sein d'un débat sur la justice divine, soucieux de justifier l'inégale distribution de la grâce entre les hommes. Malebranche y élabore un modèle formel qui revalorise, contre la critique aristotélicienne(1), la généralité de la loi. La volonté générale qu'a Dieu de sauver tous les hommes doit s'accomplir sans entrer en contradiction avec sa sagesse infinie. Le Créateur doit donc suivre des lois générales qui lui interdisent d'agir en se réglant sans cesse sur la variabilité des comportements particuliers. C'est ainsi que, après avoir été le signe de l'imperfection de la loi, la généralité devient la marque même de son caractère juste.

Diderot sécularise ce modèle en l'intégrant à la réflexion sur le droit naturel. Dégageant, par-delà la diversité des sociétés concrètes, la constance de certaines normes sociales, il y voit la preuve qu'il existe une justice propre au genre humain. Celle-ci n'a pas besoin d'être fondée en Dieu, car il suffit de la considérer comme l'objet de la volonté générale de l'espèce humaine, sorte de morale universellement accessible à tout individu doué d'une nature raisonnable.

Avec Rousseau, enfin, le modèle formel de la volonté générale permet de penser la justice civique. La volonté n'est plus rapportée à la société humaine, mais à un peuple particulier, à une communauté de citoyens unie par un contrat social. Sa généralité garantit alors la justice des lois positives. Quand elle qualifie le sujet de la volonté (tout le peuple statue), la généralité assure l'égale participation des citoyens au pouvoir législatif, et évite qu'une minorité monopolise la souveraineté. De plus, quand elle porte sur l'objet de la volonté, elle oblige les délibérations à porter exclusivement sur ce qui concerne tout le peuple, empêchant ainsi que le vote des citoyens soit instrumentalisé par des luttes partisanes et s'écarte de l'intérêt général.

Sophie Guérard de Latour

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, Éthique à Nicomaque, V 14.
  • Voir aussi : Diderot, D., Encyclopédie, art. « Droit naturel ».
  • Malebranche, N., Traité de la nature et de la grâce.
  • Rousseau, J.-J., Du contrat social.

→ citoyen, contrat social, droit, égalité, justice




volonté de puissance


Traduction française de Wille zur Macht


Cette expression apparaît chez Nietzsche dans la deuxième partie d'Ainsi parlait Zarathoustra, elle a été rendue célèbre par le titre donné à un ouvrage posthume, longtemps considéré comme l'expression ultime de la pensée de Nietzsche. Nous savons maintenant que Nietzsche avait finalement renoncé à publier une « Volonté de puissance » et que l'ouvrage portant ce titre est constitué de fragments de différentes époques rassemblés assez arbitrairement.

Philosophie Moderne

1. Toute vie comme tendant à s'affirmer avec toujours plus de puissance. – 2. Plus particulièrement, principe qui, en tout ordre de faits, différencie, hiérarchise, détermine une relation de domination.

L'expression de volonté de puissance (Wille zur Macht) est manifestement calquée sur la volonté de vie, le vouloir vivre (Wille zum Leben) de Schopenhauer. Mais Nietzsche croit pouvoir réfuter cette notion schopenhauerienne par la simple remarque que pour vouloir vivre il faut d'abord vivre : « Comment ce qui existe pourrait-il encore vouloir exister ? Il n'y a de volonté que dans la vie ». Il est clair qu'ici Nietzsche confond exister et vivre. La vie dans les textes de Nietzsche ne s'entend pas seulement de l'ensemble des êtres vivants, ou de l'expérience propre à cet être vivant qu'est l'homme, mais aussi de la totalité de ce qui est. La volonté de puissance comme caractéristique de la vie se trouve par là même généralisée : « Pour le vivant, il y a beaucoup de choses qu'il estime plus haut que la vie même ; mais ce qui est s'exprime par cette estimation même est la volonté de puissance ». Aucune métaphysique de la vie n'est ici restaurée ; la volonté de puissance ne dénomme pas un quelconque substrat universel au-delà des phénomènes, comme l'était la volonté dans la philosophie de Schopenhauer ; elle ne vise aucune chose en soi, aucun « arrière monde » ; elle se développe complètement au seul niveau des apparences, par le devenir, dans le devenir.

La multiplicité d'aspects lui est essentielle et l'on ne peut lui attribuer l'unicité d'un premier principe créateur. Il ne faut pas non plus la concevoir comme une résultante mécanique de forces, mais comme la synthèse en devenir de forces diverses en quantité et en qualité. « La volonté de puissance est l'élément dont découlent à la fois la différence de quantité des forces mises en rapport, et la qualité qui, dans ce rapport, revient à chaque force ». C'est bien l'être qui est par lui-même volonté de puissance. Elle n'est pas un mot d'ordre qui fixerait un idéal de puissance extérieur au vouloir, et auquel il serait plus convenable de substituer un autre idéal comme l'altruisme, l'esprit de sacrifice etc., selon la conception que l'on se ferait du sens de l'expansion vitale. C'est dans tous les cas la volonté de puissance qui évalue, même lorsque l'esclave fait du pouvoir auquel il aspire un but, un objet extérieur dont il est démuni. Même le nihilisme est une forme de volonté de puissance : « Une volonté d'anéantissement, une hostilité à la vie, un refus d'admettre les conditions fondamentales de la vie, c'est du moins et cela demeure toujours une volonté ».

L'universalité même de la volonté de puissance en fait donc le principe de toute évaluation positive ou négative. L'évaluation nietzschéenne est constamment soutenue par une typologie dualiste qui oppose sous différents aspects l'activité et la réactivité, la force et la faiblesse, la conquête et la décadence, le noble et le vil, la gaieté et le ressentiment. Le philosophe de la volonté de puissance peut écrire : « Ma préoccupation la plus intime a toujours été en fait la question de la décadence ». Mais il est aussi, et par là même, le héraut qui annonce une inversion de toutes les valeurs. La volonté de puissance permet ainsi d'échapper au scepticisme résultant du jeu de miroirs des interprétations qui se renvoient indéfiniment l'une à l'autre (voir perspectivisme) ; elle donne son sens à la recherche des forces obscures, inconscientes qui dans la profondeur du corps sont à l'origine des concepts, des discours, des jugements de valeur (voir généalogie). Aussi Nietzsche multiplie-t-il les analyses physiologiques ; « âme est un mot qui désigne quelque chose du corps. Le corps est une grande raison, une multitude unanime, une guerre et une paix, un troupeau et un berger », c'est-à-dire une volonté de puissance dominant la « petite raison » consciente. Par cette dénonciation des illusions de la conscience, Freud a pu voir en Nietzsche un précurseur de la psychanalyse, au même titre d'ailleurs que Schopenhauer ; mais c'est un psychanalyste dissident, Alfred Adler, qui se réclamera explicitement de la volonté de puissance en la substituant à la libido.

Jean Lefranc

Notes bibliographiques

  • Nietzsche, Fr., Ainsi parlait Zarathoustra, 1883, « De la maîtrise de soi ».
  • Deleuze, G., Nietzsche et la philosophie, 1962.
  • Nietzsche, Fr., Généalogie de la morale III, 1887, 28.
  • Nietzsche, Fr., Le cas Wagner, 1888, avant-propos.
  • Nietzsche, Fr., Ainsi parlait Zarathoustra I, 1883, « Des contempteurs du corps ».
  • Freud, S., Sigmund Freud par lui-même, 1934, p. 100.

→ devenir, généalogie, nihilisme, perspectivisme, ressentiment, valeur