universel

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin universalis, « universel, général ».

Philosophie Générale, Métaphysique, Philosophie Cognitive, Logique, Épistémologie

1. Se dit d'une propriété ou d'une qualité qui s'étend à l'univers entier (comme l'attraction universelle) ; d'une classe d'individus dans sa totalité sans aucune exception(1) (ce qui n'est pas nécessairement le cas du général qui n'exclut pas quelques exceptions) ; de la quantité d'un jugement lorsque l'extension d'un concept est entièrement incluse à l'intérieur de l'extension d'un autre concept. – 2. Totalité englobante et concrète de ce qui est ; extension d'un concept ou d'un jugement à la totalité exhaustive des individus d'une classe déterminée.

Il convient de distinguer l'universel du cosmologique. Cournot remarque justement que ce qui relève du cosmologique, c'est tout ce qui porte sur « la structure actuelle, les révolutions passées et, s'il se peut, les destinées futures » de l'Univers(2) ; autrement dit, le cosmologique concerne le point de vue diachronique, c'est-à-dire l'histoire de l'Univers, en expliquant son état présent par ses états antérieurs. En revanche, l'universel désigne plutôt ce qu'il y a de constant, de permanent au niveau des lois scientifiques.

Depuis Aristote(3), l'universalité d'une connaissance est le critère même de la connaissance scientifique, parce que cette dernière ne vise ni ne peut atteindre l'individu singulier : saint Thomas disait, en ce sens, qu'« il n'y a de science que de l'universel »(4). Kant, s'inscrivant dans ce sillage épistémologique, fit de l'universel l'un des deux critères de ce qui est a priori, l'autre étant le nécessaire, car aucune expérience particulière n'est jamais capable de fournir véritablement des jugements universels. Au risque de tomber dans un cercle logique, Kant considère comme indissociablement solidaires la nécessité et l'universalité en ce qu'elles « renvoient inséparablement l'une à l'autre »(5).

Or, c'est justement parce que l'universel est un critère de l'apriorité d'un jugement, donc de son caractère formel, que Hegel critiqua l'ensemble de la démarche kantienne dans son entreprise transcendantale, en ce qu'elle se contente de dégager seulement les conditions a priori de possibilité de la connaissance et de l'agir humains, restant ainsi à l'extérieur de tout contenu particulier. Hegel qualifie d'« abstrait » cet universel kantien auquel il reproche de n'être qu'une pure forme vide de contenu, c'est-à-dire dévitalisée, ou extérieure et étrangère à son contenu infiniment riche en ses différentes particularités. Pour Hegel, on ne peut ni ne doit faire l'économie de l'expérience : la vérité reste abstraite tant qu'elle est reçue de l'extérieur, c'est-à-dire tant qu'elle reste non médiatisée par l'expérience. En revanche, ce que Hegel appelle l'« universel concret », c'est le résultat profondément enrichi de tout ce qui a été effectivement accompli par la médiation de l'expérience dans l'Histoire. En ce sens, l'enfant est l'abstrait de l'homme mûr : « Ce n'est que de la connaissance plus profonde des autres sciences que le logique s'élève pour l'esprit subjectif comme quelque chose qui n'est pas seulement abstraitement universel, mais comme l'universel qui saisit en soi la richesse du particulier ; tout comme la même maxime éthique, au sens que lui donne un adolescent qui l'entend de façon totalement juste, ne possède pas la signification ni l'ampleur qu'elle a dans l'esprit d'un homme ayant l'expérience de la vie.(6) »

Jean Seidengart

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure (1781-1787), AK, III, 29 ; trad. Renaut, Paris, Garnier-Flammarion, 2001, p. 95 : « Ce qu'il faut entendre par une telle universalité, c'est que [...] il ne se trouve vis-à-vis de telle règle aucune exception. »
  • 2 ↑ Cournot, A., Traité de l'enchaînement des idées fondamentales dans les sciences et dans l'histoire, p. 204, 1861.
  • 3 ↑ Aristote, Seconds Analytiques, I, 31, 87 b 28-35, tr. Tricot, Paris, rééd. Vrin, 1995, p. 147 : « Nous appelons universel ce qui est toujours et partout. Puis donc que les démonstrations sont universelles, et que les notions universelles ne peuvent être perçues, il est clair qu'il n'y a pas de science par la sensation, [...] car la sensation porte nécessairement sur l'individuel, tandis que la science consiste dans la connaissance universelle. »
  • 4 ↑ Thomas d'Aquin (saint), Contra Gentiles, 1258-1260, chap. 75.
  • 5 ↑ Kant, E., op. cit., p. 95.
  • 6 ↑ Hegel, G. W. F., Science de la logique (1812), trad. Labarrière, t. 1, l'Être, Introduction, p. 31, Aubier, Paris, 1987.
  • Voir aussi : Aristote, Métaphysique, Z, 15, 1039 b 20-1040 a 6, t. 1, p. 433-435, trad. Tricot, rééd. Vrin, Paris, 1974 ; Seconds Analytiques, trad. Tricot, rééd. Vrin, Paris, 1995.
  • Cournot, A., Essai sur les fondements de la connaissance et sur les caractères de la critique philosophique (1851), t. II, Vrin, Paris.
  • Hegel, G. W. F., Science de la logique (1812), tr. Labarrière, Aubier, Paris.
  • Kant, E., Critique de la raison pure (1781-1787), trad. Renaut, PUF, Garnier-Flammarion, Paris, 2001.
  • Kant, E., Logique (1800), trad. Guillermit, Vrin, Paris, 1979.
  • Kleene, S., Logique mathématique, trad. Largeault, pp. 81-140, Colin, Paris, 1971.

→ cosmologie, individu, jugement, loi, nécessaire, quantité, totalité, univers




universaux

Philosophie Médiévale, Métaphysique

Propriétés ou relations qui peuvent être instanciées par une pluralité de choses particulières diverses.

Ce que le Moyen Âge a appelé « universaux » dérive des diverses interprétations que les philosophes de l'Antiquité, puis Porphyre(1) dans son Isagogè, ont données de la théorie platonicienne des idées ou des formes et de la théorie aristotélicienne de la substance. La célèbre querelle médiévale des universaux met aux prises trois groupes principaux de solutions : platonicienne-réaliste (les universaux sont séparés des particuliers qui les instancient, ante rem), conceptualiste-réaliste (les universaux sont à la fois dans les choses et dans l'esprit qui les représente in re ou post re) et nominaliste (les universaux sont des mots ou flatus vocis). Mais, même au Moyen Âge, ces distinctions ne sont pas nettes, comme l'indique le fait que le platonisme aussi bien que le conceptualisme peuvent être dits « réalistes » (Thomas d'Aquin et D. Scot sont des réalistes, mais pas au même sens, Abélard est un conceptualiste, mais il n'est pas nominaliste au sens où l'est Guillaume d'Occam(2)). À l'âge classique, le problème devient celui des idées abstraites et oppose Berkeley et Hume à Locke. Bien qu'on puisse tenir la position kantienne comme une forme de conceptualisme, le problème a disparu comme tel de la philosophie moderne, mais il est reparu dans la philosophie contemporaine, où diverses formes de réalisme des universaux ont été avancées par Peirce, Russell et par des logiciens et mathématiciens défendant le platonisme mathématique et diverses formes de nominalisme (Quine, Goodman(3)).

Malgré la variété des incarnations du problème, qui peut faire douter qu'il ait, d'une époque à l'autre, un sens homogène, le problème de la relation entre une propriété et ses instances, et celui de la nature des entités abstraites et de l'abstraction, est un problème permanent en philosophie, et la réponse que l'on donne à ce problème est vitale dans de nombreux domaines : outre la question de la nature des abstraits (nombres, classes) en philosophie des mathématiques), notre attitude par rapport à la connaissance et à la science dépend de la question de savoir si les espèces naturelles sont dans les choses ou dans notre esprit, et le problème de l'induction est difficilement soluble si les similitudes que l'on trouve dans les choses sont supposées n'être que conventionnelles.

Claudine Tiercelin

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Porphyre, Isagogè, Vrin, Paris, « Sic et non », 1998.
  • 2 ↑ Occam, G. d'., Somme de logique, trad. Biard, TER, Mauvezin, 1988.
  • 3 ↑ Quine, W. V. O., et Goodman, N., « Steps towards a Constructive Nominalism », Journal of Symbolic Logic, 1947.
  • Voir aussi : Armstrong, D., Universals, an Opinionated Introduction, Westview, Boulder, Co, 1989.