univers

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin universum, qui désigne « l'ensemble unifié du réel », par opposition au diversum, qui dénote, au contraire, « les choses singulières ».

Métaphysique, Philosophie Cognitive, Épistémologie, Phénoménologie, Logique

Tandis que le « monde » désignait particulièrement l'ensemble ordonné plus ou moins perceptible que constituent le ciel, la terre et l'horizon (et qui semblait épuiser la totalité du réel sensible chez les Anciens et les médiévaux), l'idée moderne d'Univers désigne l'unitotalité ultime de la réalité physique en tant qu'elle ne pourrait être, à son tour, prise comme partie d'un tout encore plus vaste ou plus englobant.

Comment lever l'équivoque entre le monde et l'univers ? Celle-ci fut durablement entretenue par les puissantes illusions géocentriste et anthropocentriste, qui inclinent naturellement les hommes à désigner la totalité ultime de la réalité physique (l'univers) à l'aide d'un terme qui convient plutôt à la totalité partielle (le monde) en tant qu'elle englobe plus immédiatement les existants humains. Du monde à l'univers, il n'y a pas simple synonymie, mais, au contraire, une métonymie qui est l'indice d'une réelle difficulté native à s'abstraire des données de la perception et, également, à construire conceptuellement un univers dont notre monde ne soit ni le centre, ni la fin, ni un observatoire « absolu » censé nous fournir des faits d'observation pure. Le passage du local au global a mis l'esprit humain en demeure de percer progressivement la nuée des illusions perceptives qui, comme l'horizon, vinrent obstruer longtemps les perspectives théoriques ou observationnelles. Avec l'émergence, à la Renaissance, de la notion de pluralité innombrable de mondes finis et disséminés à travers l'espace cosmique illimité (où se trouve aussi notre monde fini), on assiste à l'essor de l'idée moderne d'Univers, bien que celle-ci fût déjà esquissée dès l'Antiquité par les atomistes(1) et les stoïciens(2).

Le monde englobe le ciel et la terre dans un ordre de coappartenance qui coïncide avec l'ensemble des données perceptives et qui demeure au niveau phénoménal de la sphère des vécus. En revanche, l'univers est une Idée, au sens kantien du terme, c'est-à-dire une Idée transcendantale qui ne saurait être produite a posteriori au terme d'une simple sommation des objets empiriques, en principe ineffectuable. Très précisément, l'Idée d'univers désigne la totalité ultime du réel dans la mesure où elle ne peut être, à son tour, prise comme partie d'un tout encore plus vaste ou plus englobant. Cette Idée, que présuppose en droit toute expérience, désigne une totalité ultime qui peut être dite, à ce titre, absolue. C'est d'ailleurs ce caractère d'ultimité et d'absoluité qui ne cesse de faire problème sur le plan épistémologique.

Toute philosophie se préoccupe de la relation de la subjectivité avec le corrélat de ses visées (dont le monde constitue nécessairement l'horizon ultime). En revanche, les sciences cherchent à éliminer la subjectivité pour définir et constituer leurs objets. Tandis que, comme disait Alquié : « L'enseignement de la philosophie consiste à montrer que l'objet n'est pas l'être »(3), le scientifique ne s'occupe pas de l'être, car il ne vise que l'objet. D'où une profonde divergence initiale entre la cosmologie scientifique et l'approche phénoménologique de notre « être-au-monde ». Il faut écarter toute confusion possible entre le monde du phénoménologue et l'Univers de l'astrophysicien. Donc, si l'Univers intéresse la philosophie comme objet particulier de la connaissance scientifique, en revanche le monde pris comme dimension fondamentale de notre ouverture à l'être intéresse plus directement la phénoménologie.

À l'âge classique, la critique kantienne de la métaphysique avait montré que l'univers pris comme chose en soi est proprement inconnaissable ; il ne peut relever d'une connaissance scientifique objective, puisqu'il outrepasse le champ de l'expérience possible. Le positivisme comtiste écarta également, mais pour d'autres raisons, l'univers des saines préoccupations de la science. Fondée sur les axiomes de la physique newtonienne, la cosmologie classique partait du principe que l'espace et le temps sont des contenants universels dont la nature et les propriétés demeurent totalement indépendantes (Newton disait : « absolues et sans relation aux choses externes ») de leur contenu matériel. En ce sens, les cosmologies newtoniennes ne pouvaient espérer atteindre une connaissance intégrale de la structure de l'Univers à très grande échelle et devaient se contenter de décrire le système solaire et la galaxie, sans pouvoir dépasser les remarquables observations des « nébuleuses » effectuées par W. Herschel et J. Michell à la fin du xviiie s., par J. Herschel et lord Rosse au siècle suivant.

Les choses en seraient restées là sans la révolution épistémologique que déclencha la théorie de la relativité générale d'Einstein, qui n'est autre qu'une théorie relativiste de la gravitation. En effet, celle-ci ayant établi l'équivalence entre l'inertie et la gravitation, il apparaît que les propriétés métriques de l'espace-temps (c'est-à-dire la structure géométrique de l'Univers) sont déterminées par le contenu réel de l'Univers en matière-énergie. La structure formelle de l'Univers est fonction de la répartition et de l'état physique de son contenu matériel. Autrement dit, les déformations locales de l'espace-temps sont déterminées par la distribution locale de matière-énergie. Il devient possible de déterminer la structure de l'enveloppe globale de toutes les déformations locales produites par les systèmes matériels que sont les galaxies, les amas galactiques, les superamas, les plasmas denses ou ténus, etc. En relativité générale, il faut recourir à une géométrie non euclidienne, celle qui avait été élaborée au xixe s. par Riemann. Or, comme il existe un grand nombre de métriques riemanniennes possibles, il est indispensable de s'appuyer sur les données de la cosmologie observationnelle, de l'astronomie et de l'astrophysique pour déterminer avec précision les fonctions arbitraires qui définissent les propriétés métriques de l'enveloppe spatio-temporelle de l'Univers physique. L'étude de la structure d'ensemble de l'Univers fait désormais partie de la recherche scientifique, mais il devient également possible de retracer, au moins partiellement l'histoire de l'Univers qui implique aussi celle des étoiles, des atomes et des particules subatomiques. Pour pouvoir connaître les premiers instants de l'Univers, il faut alors que la théorie de la relativité générale soit relayée par la mécanique quantique qui règne sur l'ensemble de la physique nucléaire. Or, ce travail de grande unification n'est pas encore achevé. En ce sens, l'idée moderne d'univers assume bien une fonction heuristique et présomptive (Kant parlait plutôt de « principe régulateur ») au sein de la connaissance scientifique contemporaine.

Jean Seidengart

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Épicure, « Lettre à Pythoclès », in Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, X, 88-89, p. 1292, Pochothèque, Paris, 1999 : « Un monde est une enveloppe du ciel, enveloppant astres, terre et tout ce qui apparaît, qui s'est scindée de l'illimité, et qui se termine par une limite rare ou dense, dont la dissipation bouleversera tout ce qu'elle contient. [...] À la fois de tels mondes sont en nombre illimité. »
  • 2 ↑ Pseudo-Plutarque, De placitis philosophorum, 886 c, tr. Amyot : « Les stoïciens disent qu'il y a une différence entre le tout et l'univers, parce que le tout est l'infini avec le vide ; et le tout sans le vide c'est le monde. »
  • 3 ↑ Alquié, F., Signification de la philosophie, Paris, 1971, Hachette, p. 197.
  • Voir aussi : Duhem, P., le Système du monde, t. I à X, Hermann, Paris, 1913-1959.
  • Koestler, A., les Somnambules : essai sur l'histoire des conceptions de l'Univers, Calmann-Lévy, 1960, rééd. Livre de poche, 1973.
  • Koyré, A., Du monde clos à l'Univers infini, Gallimard, « Tel », Paris, 1988.
  • Koyré, A., Études galiléennes, Hermann, Paris, 1966.
  • Koyré, A., la Révolution astronomique, Hermann, Paris, 1961.
  • Koyré, A., les Études newtoniennes, Gallimard, Paris, 1968.
  • Kuhn, T. S., la Révolution copernicienne, Fayard, Paris, 1973.
  • Collectif, Avant, avec, après Copernic. La représentation de l'Univers et ses conséquences épistémologiques, Blanchard, Paris, 1975.
  • Merleau-Ponty, J., la Science de l'Univers à l'âge du positivisme, Vrin, Paris, 1983.
  • Merleau-Ponty, J., Cosmologie du xxe s., Gallimard, Paris, 1965.
  • Verdet, J. P., Astronomie et Astrophysique, Larousse, Paris, 1993.

→ cosmologie, cosmos, espace, matière, monde, temps