scotisme
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Métaphysique, Philosophie Médiévale, Théologie
L'un des principaux courants de pensée de la scolastique.
Le scotisme est issu de l'enseignement et des écrits de J. Duns Scot (1265 / 1266-1308), dit le « Docteur subtil », philosophe et théologien franciscain d'origine écossaise, qui enseigna d'abord à Oxford, puis, de 1302 à 1307, à l'université de Paris, où il devint maître en théologie, avant de mourir à Cologne. Son œuvre comprend des écrits philosophiques (Questions sur la métaphysique d'Aristote) et théologiques. Ces derniers sont des commentaires du Livre des sentences de P. Lombard (xiie s.), recueil ordonné de textes bibliques et patristiques, qui servait alors d'ouvrage de référence pour les études théologiques. Il en existe trois versions : la Lectura, composée à Oxford ; l'Ordinatio, dont la rédaction, commencée à Oxford, fut poursuivie à Paris mais resta inachevée à cause de la mort prématurée de l'auteur ; enfin, les Reportata Parisiensia, recueil de textes destinés à l'enseignement.
Les sources de Scot sont Aristote pour la logique, Augustin pour la théologie et l'anthropologie, Avicenne pour la métaphysique, enfin la pensée franciscaine (Bonaventure, P. Olieu).
Ce qui caractérise le scotisme, c'est, en métaphysique, sa théorie de l'univocité du concept de l'être (univocatio entis), sa position particulière concernant les universaux, enfin sa solution au problème dit de l'individuation ; en théologie, sa préférence pour le concept d'être infini, son insistance sur la liberté de Dieu dans ses œuvres ; en anthropologie, sa doctrine de l'autonomie de la volonté. En physique, Scot enseigne la possibilité du mouvement absolu, refusée par Aristote, et l'impossibilité d'un retour du monde à un état antérieur.
Métaphysique. Le but de la métaphysique étant d'établir l'existence et de cerner, autant que possible, la nature du Premier Principe des êtres, Scot élabore un concept de l'être univoque, qui se dit au même sens de Dieu et de la créature. Ce concept univoque de l'être rend possible une théologie positive : l'esprit humain peut acquérir une connaissance réelle de Dieu en portant à leur plus haut degré les « perfections pures » qui sont dans la créature, c'est-à-dire celles qui peuvent être conçues sans aucun degré intrinsèque de limitation. La métaphysique se définit comme « science des transcendantaux », c'est-à-dire des entités dont la notion est antérieure aux dix catégories d'Aristote. Le premier des transcendantaux est l'être. Viennent ensuite les « convertibles », tels que l'un, le vrai ou le bien, qui sont contenus dans l'être mais ne se confondent pas avec lui. Enfin, les « disjoints » – par exemple, incréé / créé, nécessaire / contingent, infini / fini, etc., qui divisent l'être sans reste, et sont tels que le membre inférieur de la disjonction implique le membre supérieur.
Un être est tout ce qui a une essence ou nature, par quoi il est connaissable. Une nature créée existe chez les singuliers ayant cette nature et / ou dans l'intellect qui la conçoit, et n'a pas d'autre mode d'existence que ceux-là. Cependant, considérée en elle-même, elle ne se confond ni avec les singuliers dans la réalité ni, dans l'intellect, avec le concept qui se tire de cette nature – le concept de l'homme, par exemple, qui se tire de la nature humaine –, et constitue l'« universel achevé », prédicable de la multiplicité des singuliers. Tous les éléments constitutifs d'une nature – l'âme, le corps et leur composition, dans le cas de l'humanité – sont individués chez le singulier, et deviennent par là incommunicables d'un individu à un autre. Ainsi, chez la créature, le singulier est, « en dernière instance, solitude » (ultima solitudo).
Théologie. En Dieu, au contraire, l'essence est de soi singulière, c'est-à-dire une et indivisible, car les Personnes divines ne se distinguent pas par distinction réelle, mais seulement par leurs rapports. Le concept d'un être infini en perfection est le plus parfait que l'homme puisse former de Dieu à l'aide de la seule raison. L'infinité est un « mode intrinsèque » de la nature divine et de ses attributs, de même que l'intensité d'une lumière est un mode intrinsèque, c'est-à-dire inséparable, de celle-ci. Cependant, la distance incommensurable qui sépare l'être infini des êtres finis ne détruit pas l'unité du concept de l'être, condition indispensable pour toute théologie humaine pro statu isto, c'est-à-dire en l'état présent de l'homme. La connaissance et l'amour que Dieu a de son essence, de même que les relations trinitaires, sont nécessaires, c'est-à-dire ne dépendent pas de la volonté divine. Par contre, les œuvres ad extra, telles que la Création ou l'Incarnation, sont radicalement contingentes, c'est-à-dire issues d'une volonté souverainement libre.
Anthropologie. Chez l'homme, les facultés supérieures – mémoire, intelligence et volonté – ne se distinguent pas réellement, étant toutes trois identiques à la substance même de l'âme, mais sont formellement distinctes. C'est le même homme qui connaît et qui veut, mais connaître n'est pas vouloir. Concernant l'intelligence, Scot distingue deux modes différents de connaissance, la connaissance « intuitive » et la connaissance « abstractive ». Par la première, un objet existant et présent est connu comme tel par les sens, et donc aussi par l'intellect, puisqu'une faculté supérieure connaît ce que connaît une faculté inférieure. Par la seconde, un objet absent est connu au moyen d'une « espèce intelligible » qui le représente. Concernant la volonté ou dilection, Scot distingue chez l'homme deux tendances également naturelles, l'une vers l'avantageux (affectio commodi), l'autre vers ce qui a une valeur en soi (affectio justitiae). La volonté est pour lui une faculté de plus grande noblesse que l'intelligence, parce que celle-ci est une faculté non libre (il ne nous appartient pas de concevoir ou de ne pas concevoir un objet correctement présenté, ou une alternative clairement formulée), tandis que celle-là est libre (nous pouvons vouloir A ou non, et vouloir A ou B). Cette préférence pour la volonté a valu au scotisme le reproche de volontarisme. En réalité, pour Scot, l'intelligence précède la volonté, car on ne peut vouloir que ce qu'on connaît, et l'incline naturellement vers le bien, mais c'est la volonté qui décide en dernière instance. La liberté signifie pour un être que, alors même qu'il choisit un parti, il garde le pouvoir de choisir le parti contraire.
Le scotisme connut une expansion rapide et exerça une influence durable dans divers pays d'Europe, jusqu'au xviie s. inclus. Tombé dans l'oubli au siècle suivant, il connaît un renouveau au xxe s., en raison notamment de ses affinités avec certains thèmes privilégiés de la pensée contemporaine, notamment l'individualité et la liberté.
Gérard Sondag
Notes bibliographiques
- Scot Duns, J., Sur la connaissance de Dieu et l'univocité de l'étant, introd., trad. et commentaires O. Boulnois, PUF, Paris, 1988.
- Scot Duns, J., le Principe d'individuation, trad. G. Sondag, Vrin, Paris, 1992.
- Scot Duns, J., l'Image, trad. G. Sondag, Vrin, Paris, 1993.
- Scot, D., la Théologie comme science pratique, trad. et notes G. Sondag, Vrin, Paris, 1996.
- Scot Duns, J., Prologue de l'Ordinatio, trad. G. Sondag, PUF, Paris, 1999.
- Scot Duns, J., Traité du Premier Principe, sous la dir. de R. Imbach, Vrin, Paris, 2001.
