ravissement

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin rapere, « emporter avec violence », « voler ».


La philosophie platonicienne dessine la figure de ravissements féconds dont s'inspirera le néoplatonisme, et que Ficin tentera de conceptualiser.

Philosophie Générale, Esthétique, Philosophie de la Religion

État de celui qui est arraché à lui-même dans un insolite transport. Intense émotion de joie et d'admiration.

Le ravissement entrelace des dimensions contradictoires : la violence d'une possession impérieuse et la plénitude d'un abandon consenti, le dessaisissement et le bonheur, l'instant fulgurant de l'épreuve et une durée neuve. La notion semble défier la pensée qui peut alors vouloir la circonscrire dans un domaine (mystique, esthétique, amoureux...). Ce serait exténuer sa force troublante qui transcende les limites.

Les textes platoniciens ont l'intérêt de le suggérer en proposant, à défaut du terme même, une constellation où ces traits se déploient. L'aimantation poétique(1), l'enthousiasme de l'inspiré, mais encore l'atopie d'un philosophe, perdu dans ses pensées ou écoutant la voix de son daimôn, témoignent d'un ravissement hors des stabilités et des identités. La philosophie est ardent amour qui ravit hors du sensible. Qu'il soit décrit comme l'illumination soudaine qui récompense une progressive initiation(2) ou comme l'emprise bénéfique d'une « folie divine », mania, qui transporte vers la reconquête de célestes visions(3), le ravissement contracte la continuité d'un effort et la discontinuité d'une révélation.

Le néoplatonisme, notamment de Plotin(4) puis de Proclus, se nourrira de ces descriptions infléchies vers le mysticisme : l'être « arraché à lui-même » est ravi au-delà de la contemplation dans l'union extatique avec le dieu. Dans le syncrétisme de la Renaissance, Ficin(5) donnera une place décisive à la notion. Provoqué par l'appel irrésistible de la beauté, le furor amatorius transporte hors du monde sensible, pour conduire vers Dieu, faisant ainsi participer au flux spirituel qui procède du divin au monde et remonte du monde au divin (emanatioraptioremeatio). Dans ce circuit continu, le ravissement opère une conversion, fait de l'arrachement un retour vivifiant, est « nœud éternel et copule du monde ». Cette théorie aura une puissante influence, en particulier en art.

À fixer ainsi une fonction et à garantir un retour au divin, la dimension insolite du transport bouleversant risque de se perdre – G. Bataille le souligne rudement(6). Cela oblige le philosophe à penser à nouveaux frais la richesse sémantique d'une notion qui contracte les contraires en les portant à leur acmé, à y maintenir vifs le vacillement de l'arrachement au connu et l'advenue possible de l'inouï.

Marianne Massin

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Platon, Ion, 533d-536e, Gallimard, Paris, 1992.
  • 2 ↑ Platon, Banquet, 201a-212a, Gallimard, Paris, 1990.
  • 3 ↑ Platon, Phèdre, 244a-256e, Les Belles Lettres, Paris, 1998.
  • 4 ↑ Plotin, Ennéades, trad. E. Bréhier, Les Belles Lettres, Paris, 1923-1938.
  • 5 ↑ Ficin, M., Commentarium Marsilii Ficini florentini in convivum Platonis, De Amore, trad. R. Marcel, « Commentaire du Banquet de Platon », Les Belles Lettres, Paris, 1956.
  • 6 ↑ Bataille, G., Œuvres complètes, t. v, Gallimard, Paris, 1973.
  • Voir aussi : Chastel, M., Marsile Ficin et l'art, 1954, Droz, Paris, 1975.

→ conversion, enthousiasme, inspiration