occasion
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin occasio, « moment opportun ».
Philosophie Générale, Philosophie Cognitive
Moment opportun.
Les Romains firent du moment opportun, de ce que les Grecs appelaient kairos, une déesse : Occasio. Ils la représentent sous la forme d'une femme nue, chauve par derrière, avec une longue tresse de cheveux par devant, un pied en l'air, l'autre sur une roue, tenant un rasoir de la main droite et de l'autre une voile tendue au vent.
Le sens du terme « occasion » est lisible dans ces symboles et, notamment, dans l'opposition entre un enchaînement complexe de causes, qu'on peut appeler Dieu, la fortune, le destin ou le hasard, selon que l'on est chrétien, stoïcien ou athée, et la capacité d'agir symbolisée par le fait de se servir de son rasoir ou de choisir où l'on pose le pied. Ainsi, la double tâche du politique est d'estimer les circonstances et de choisir le moment pour agir en fonction d'elles (le politique, s'il est adroit, doit savoir saisir l'occasion). La figure symbolise aussi bien la conception aristotélicienne de la fortune que la conception stoïcienne du destin. Pour Aristote, la « fortune » (tuché) se distingue du « hasard » (automaton) en ce qu'elle concerne uniquement l'activité pratique, alors que le hasard peut agir sur des êtres qui n'ont aucune faculté de choisir(1). Pour les stoïciens, le destin est une causalité unique mais composée d'une mosaïque de causes : les unes, parfaites et principales ; les autres, auxiliaires et éloignées. Dans le De fato, ou Traité du destin, Cicéron rapporte l'argumentation stoïcienne qui distingue plusieurs genres de causes : de même que le mouvement de rotation du cylindre s'explique non seulement par une impulsion extérieure, appelée cause antécédente, mais aussi par la forme du cylindre qui est la cause parfaite et principale, de même un acte libre, comme l'assentiment, s'explique non seulement par la représentation compréhensive d'un objet (cause antécédente), mais aussi par l'initiative de l'esprit qui la reçoit (cause principale)(2). L'acte libre est déterminé et, par conséquent, prévisible, sans qu'on doive pour autant le concevoir comme nécessaire, c'est un tout complexe où interviennent la saisie d'une cause extérieure et l'adhésion librement consentie de la volonté à l'enchaînement des causes.
Descartes reprend l'analyse stoïcienne des différents genres de causes en utilisant l'expression : « Les causes qui donnent occasion », toutes les fois qu'il doit décrire un effet qui ne ressemble pas à sa cause dans le cadre des interactions de l'esprit et du corps. À la suite de la conception cartésienne de l'homme comme union de deux choses réellement distinctes, de l'âme et du corps, les philosophes occasionnalistes et, notamment, Malebranche(3) opposent les causes secondes ou occasionnelles, causes auxiliaires et éloignées, à la cause principale et parfaite qu'est Dieu : les créatures n'ont aucune action efficace, elles sont seulement des occasions pour Dieu d'exercer sa puissance.
Véronique Le Ru
Notes bibliographiques
