mathématiques

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec mathéma, « science ».


Dans leur maturation, les disciplines mathématiques (arithmétique, géométrie, analyse, etc.) ont la forme de théories déductives, où les principes ou axiomes sont explicitement énoncés et distingués des propositions démontrées à partir d'eux : les théorèmes. Toute définition des sciences mathématiques ou de ce qui les réunit semble vouée à l'échec. Ce qui les constitue n'a cessé d'évoluer au cours des siècles sans jamais atteindre un état stable ; elles ont vu se modifier en permanence les frontières des domaines où s'exerce leur souveraineté. Ainsi dira-t-on qu'elles peuvent être science du nombre et de l'étendue, à moins que ce ne soit de la quantité et de l'ordre, ou encore de l'espace et du mouvement, ou bien des caractères et des relations.

Philosophie Générale

Ensemble de disciplines où s'illustre mieux que dans toute autre science le concept de démonstration. Il n'y a de démonstration, au sens propre, que mathématique (ou logique).

Les mathématiques n'ont pas toujours eu et n'ont pas partout aujourd'hui la forme correspondant à la définition que nous en avons donnée. En Mésopotamie et en Égypte, quelques millénaires avant J.-C., les mathématiques ont essentiellement consisté en calculs investis en divers aspects de l'expérience quotidienne : prêts à intérêts, échanges de biens à valeur égale, partages et héritages, travaux d'irrigation, de fondations et terrassements, prévision de volumes, évaluation de la pente de plans inclinés, etc. L'idée de justifier un calcul ou de démontrer un résultat n'apparaît qu'avec les mathématiciens grecs. Ainsi, Pythagore démontra la relation, connue antérieurement, qui porte son nom : dans un triangle rectangle, le carré de l'hypoténuse est égal à la somme des carrés des côtés de l'angle droit. De même, Pythagore démontra l'irrationalité du rapport R de la diagonale au côté de carré égal à 1, dont les Babyloniens connaissaient une mesure approchée. Il s'agit là de la première démonstration par l'absurde : pour prouver l'irrationalité de R, on suppose qu'il est rationnel, c'est-à-dire peut s'écrire comme un rapport de deux entiers, et on montre que cette supposition conduit à des contradictions.

À l'arithmétique et à la géométrie des Anciens se sont ajoutées au cours des siècles l'algèbre ou théorie des équations polynomiales, l'analyse ou théorie des fonctions, le calcul infinitésimal et le calcul intégral, les équations différentielles, l'étude de la théorie des nombres par les outils de l'analyse (théorie analytique des nombres) ou par les moyens de l'algèbre (théorie algébrique des nombres), les structures algébriques comme celle de groupe, anneau, corps, etc., la topologie ou étude d'espaces géométriques non nécessairement munis d'une métrique, l'analyse fonctionnelle, la géométrie algébrique, le calcul formel, etc. L'arbre des mathématiques ne cesse de grossir de branches nouvelles.

La philosophie et la constitution de la logique jouèrent un rôle capital dans l'orientation théorique des mathématiques grecques, sur la base desquelles se sont développées les mathématiques arabes et nos mathématiques occidentales. Les mathématiciens étaient alors souvent des philosophes ou travaillaient dans le cadre d'écoles dirigées par des philosophes, comme celle des Éléates, celle des sophistes, l'Académie de Platon ou le Lycée d'Aristote. On y discutait des procédures de l'argumentation et des pièges de la rhétorique, on y éprouvait les techniques de la dialectique, ou art de défendre une thèse, en attaquant une ou plusieurs thèses opposées, on y analysait des paradoxes comme ceux de Zénon d'Élée, on montait et démontait des sophismes, on prenait exemple sur des raisonnements mathématiques, bref on cherchait à mettre en évidence les ressorts de la rectitude des arguments et les sources possibles de confusions ou d'absurdités. Platon (dans son dialogue l'Euthydème) accuse l'ambiguïté sémantique que les sophistes manipulent trop habilement. Aristote commence sa carrière de logicien en dressant dans les Réfutations sophistiques un répertoire des vices de forme exploités par les sophistes pour acculer leurs adversaires à se contredire. Puis il établit les règles du raisonnement dialectique, fondé sur des prémisses probables (Topiques), celles du raisonnement formellement valide où la conclusion suit nécessairement des prémisses (Premiers Analytiques), enfin celles du raisonnement scientifique, ou démonstration, qui est un raisonnement formellement valide fondé sur des prémisses nécessairement vraies (Seconds Analytiques). Au total, Aristote donne les règles d'un discours tel que par sa forme même il interdit à l'interlocuteur d'en refuser le contenu et emporte donc nécessairement l'adhésion. La démonstration mathématique n'a pas un but différent.

Le premier traité mathématique en notre possession, les Éléments d'Euclide d'Alexandrie, porte, dans sa composition même, la marque de l'influence de Platon et d'Aristote dont Euclide suivit l'enseignement avant de s'établir à Alexandrie. Certains commentateurs poussent même assez loin le parallèle entre la théorie de la démonstration d'Aristote et l'organisation logique des Éléments, avec exposé liminaire des principes premiers : définitions, postulats et notions communes ou axiomes et distinction explicite entre principes et théorèmes.

Les Éléments sont restés le modèle de toute mathématique rigoureuse jusqu'au xixe s., où mathématiciens et logiciens ont conjugué leurs efforts pour réactualiser l'idéal euclidien, compte tenu de l'analyse, par les nouveaux moyens de la logique mathématique, de l'idée même de démonstration.

Que les mathématiques soient une science démonstrative ne signifie pas que toute l'activité du mathématicien se réduise à chercher à démontrer ou réfuter des conjectures. Tout un travail préalable est nécessaire, fait de culture et de mémoire, de flair dans l'orientation de la recherche, de sagacité dans l'analyse des situations, de bonheur dans la localisation des difficultés, de précision dans la formulation des problèmes, de discernement dans les essais de solution et d'autres qualités encore, le tout réuni sous le terme commode et plurivoque d'« intuition ». On ne laissera pas croire non plus que la démonstration mathématique soit purement et simplement une déduction logique. Elle est plus. Ce que le grand mathématicien, Henri Poincaré (1854-1912) disait très bien : « En mathématiques la rigueur [logique] n'est pas tout, mais sans elle il n'y a rien. »(1).

Hourya Sinaceur

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Poincaré, H., « L'avenir des mathématiques », Atti del IV Congresso Internazionale dei Mathematici, Academia dei Lincei, Roma, p. 171.

→ déduction, démonstration, intuition

Mathématiques

Avec l'épanouissement de la philosophie hellénistique, on dispose d'une conception assez précise de ce qui constitue les sciences mathématiques : l'arithmétique ou science des nombres entiers, avec son domaine jumeau et sensible, l'harmonie musicale ; la géométrie ou science des figures régulières et son expression céleste l'astronomie. Ce cadre général fourni par les pythagoriciens n'empêchera pas les oppositions de doctrines philosophiques quant à la nature des choses et des énoncés mathématiques, entre l'idéalité platonicienne qui défend un monde supérieur et immatériel vers lequel les mathématiques serviraient d'intermédiaires et l'abstraction aristotélicienne qui suggère de tirer, à partir des objets sensibles et matériels, les concepts libérés de l'irrégularité, mais aussi sans possibilité d'existence séparée, la distance est grande. Quoiqu'il en soit, d'Euclide à Apollonius ou Archimède, l'édifice imposant d'une science solidement adossée à la logique et à valeur universelle est édifiée et léguée aux héritiers.

Toute leur histoire le montre : bien qu'elles se doivent d'être non empiriques mais essentiellement rationnelles, les sciences mathématiques parcourent avec beaucoup d'assiduité les chemins qui leur sont suggérés ou indiqués par le monde matériel, l'expérience sensible ou l'enquête phénoménale. La puissance d'action des mathématiques, notamment lorsqu'elles sont associées aux sciences de la nature en a fait le « langage dans lequel se laisse interpréter le livre de l'univers » pour paraphraser Galilée. Cette tendance, entraperçue dans l'Antiquité, s'épanouit à l'âge classique pour triompher depuis lors.

D'un autre côté, la valeur purement méthodologique de ces sciences n'a cessé de séduire les philosophes mathématiciens ; avec Descartes, on assiste à leur promotion comme mathesis universalis, creuset de la méthode pour bien conduire son esprit et manifestation de sa validité. Cette promotion a un prix : le concept paradoxal d'infini doit être banni des mathématiques. Ce décret d'exil ne peut pourtant rien contre l'installation générale de l'infini dans cette science, à telle enseigne que la mathématique supérieure est, depuis le xviiie s., la science de l'infini, des limites et du continu.

La tendance principale qui permettrait de dire ce que sont les mathématiques aujourd'hui est de nature logicienne : devant les crises (géométries non-euclidiennes, crise des fondements etc.) il a fallu reconsidérer les bases de l'édifice et, au travers la théorie des ensembles, c'est sur le socle d'une axiomatique formelle que les mathématiciens du début du xxe s. ont envisagé la nature de leur savoir. Cette unification de la source n'empêche pas – au contraire – la multiplication des branches et des domaines divers qui constituent les mathématiques : probabilités, statistiques, topologie générale, mesure... En 1868, le Jahrbuch über die forschritte der Mathématik proposait une classification des mathématiques en trente huit sous catégories ; la Mathematical review en dénombrait trois mille quatre cents en 1979.

Vincent Jullien

→ formalisme, intuitionnisme, logique