démonstration

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin demonstratio. En grec : apodeixis.

Philosophie Antique

Procédure de déduction qui établit une vérité non évidente à partir de prémisses connues. – Chez Aristote, « syllogisme scientifique »(1), c'est-à-dire « syllogisme qui part de choses vraies et premières, ou au moins qui part de choses dont on a initialement pris connaissance par l'intermédiaire de certaines choses premières et vraies »(2). – Chez les stoïciens, « raisonnement qui conclut de ce qui était davantage compris à ce qui était moins compris »(3), c'est-à-dire « raisonnement qui, par déduction à partir de prémisses sur lesquelles on se met d'accord, révèle une conclusion non manifeste »(4).

Pour Aristote et les stoïciens, la démonstration est une forme particulière de déduction. Dans une déduction, certaines propositions dites « prémisses » étant posées ou accordées, une autre proposition dite « conclusion » en résulte de manière nécessaire et indubitable. Dans une démonstration, les prémisses sont vraies et connues comme telles, et la conclusion n'est pas connue (ou, du moins, elle est moins connue(5) ou « moins comprise ») avant d'être dévoilée par les prémisses.

Chez Aristote, la démonstration est la forme « scientifique » du syllogisme. Le syllogisme est « un raisonnement dans lequel, certaines choses étant posées [les prémisses], quelque chose d'autre que ce qui a été avancé s'ensuit nécessairement au moyen de ce qui a été avancé »(6). C'est une démonstration si les prémisses sont vraies et premières, c'est-à-dire si ce sont des axiomes, ou si elles ont été établies par d'autres démonstrations. Par contraste, les prémisses d'un syllogisme dialectique sont seulement des idées admises(7). La démonstration est ainsi en principe ce qui caractérise la science, encore qu'Aristote admette que « toute science n'est pas démonstrative, mais que celle des [principes] immédiats est indémontrable »(8).

La première définition stoïcienne de la démonstration impose que les prémisses soient « comprises », c'est-à-dire fassent l'objet d'une katalêpsis. Cette exigence est analogue à celle d'Aristote : en tant qu'objets d'une katalêpsis, les prémisses sont vraies et évidentes par soi, soit qu'elles fassent l'objet d'une perception sensible, soit qu'elles soient connues grâce à d'autres démonstrations. La seconde définition exige, en outre, que la démonstration révèle une conclusion qui n'est pas connue sans elle. Pour être une démonstration, il faut qu'un raisonnement soit déductif, vrai, avec une conclusion non évidente, dévoilée par ses prémisses(9).

Contrairement à ce qui se passe chez Aristote, il semble que, pour les stoïciens, une démonstration puisse ne pas être un syllogisme : une démonstration est un raisonnement qui procède par déduction (sunagôgê) ; or, il y a des déductions non syllogistiques. Pour qu'un raisonnement soit une déduction, il faut en effet que la négation de la conclusion soit incompatible avec les prémisses. Si cette incompatibilité dépend de la forme même du raisonnement, la déduction est un syllogisme, mais elle n'en est pas un si cette incompatibilité n'apparaît que dans le contenu des propositions. Par exemple, le raisonnement : « La proposition “il fait à la fois nuit et jour” est fausse ; or, “il fait jour ; donc il ne fait pas nuit” » n'est pas un syllogisme, bien que ce soit une déduction correcte ; la validité du raisonnement ne dépend pas de sa forme, mais du contenu des propositions(10).

Par ailleurs, les syllogismes aristotéliciens reposent sur les rapports des termes des propositions, alors que c'est le rapport entre les propositions elles-mêmes qui détermine la validité d'un syllogisme stoïcien. Chez Aristote, un syllogisme est de la forme : « Si B est A, et si A est C, alors B est C », tandis que, chez les stoïciens, il est de la forme : « Si le premier alors le second ; or, le premier ; donc le second ». A, B et C sont les termes (sujets ou prédicats) des propositions, tandis que « le premier » et « le second » sont des propositions. Cela n'affecte que partiellement la différence entre la démonstration aristotélicienne et la démonstration stoïcienne du fait qu'une démonstration stoïcienne n'est pas nécessairement un syllogisme. Chez les stoïciens comme chez Aristote, il existe des règles d'analyse qui permettent de ramener certains raisonnements complexes aux formes élémentaires du raisonnement (dites anapodictiques chez les stoïciens).

Selon les sceptiques, il n'existe pas de démonstration(11).

Jean-Baptiste Gourinat

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, Seconds analytiques, I, 2, 71b18.
  • 2 ↑ Aristote, Topiques, I, 1, 100a27-29.
  • 3 ↑ Diogène Laërce, VII, 45 ; Cicéron, Premiers académiques, II, 26.
  • 4 ↑ Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, II, 135.
  • 5 ↑ Aristote, Seconds analytiques, I, 2, 71b19-22.
  • 6 ↑ Aristote, Topiques, I, 1, 100a25-27.
  • 7 ↑ Ibid., I, 1, 100a27-30.
  • 8 ↑ Aristote, Seconds analytiques, I, 3, 72b18-20.
  • 9 ↑ Sextus Empiricus, op. cit., II, 143.
  • 10 ↑ Diogène Laërce, VII, 76-78.
  • 11 ↑ Sextus Empiricus, op. cit., II, 144-192.
  • Voir aussi : Gourinat, J.-B., la Dialectique des stoïciens, Paris, 2000, pp. 262-320.
  • Long, A., Sedley, D., les Philosophes hellénistiques, t. 2, chap. 36, Paris, 2001.
  • Lukasiewicz, J., la Syllogistique d'Aristote, Paris, 1972.

→ analytique, anapodictique, axiome, dialectique, katalêpsis

Philosophie Cognitive, Logique

1. Au sens informel, raisonnement déductif par lequel on tire une conclusion de certaines prémisses préalablement admises. – 2. Dans un système formel, suite finie de formules dont la dernière est la conclusion, et dont chacune est un axiome du système ou provient de formules qui la précèdent dans la suite par application de l'une des règles d'inférence du système ; une démonstration est donc une déduction sans hypothèses. – 3. Démonstration par l'absurde (reductio ad absurdum), ou preuve apagogique, raisonnement consistant à prouver un énoncé en montrant que sa négation a pour conséquence un énoncé qui contredit certains énoncés préalablement admis. – 4. Démonstration conditionnelle, raisonnement par lequel on déduit une conclusion C à partir d'hypothèses H1, ... , Hn, l'énoncé conditionnel « si H1, ... , et si Hn, alors C » étant alors inconditionnellement asserté sur la base de cette déduction.

Jacques Dubucs

→ déduction, diagonal (argument)