imitation

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin classique imitari, verbe déponent signifiant « reproduire par ressemblance », « représenter » ; dans le latin chrétien imitatio désignait l'ascèse de la créature convertie qui travaille à restaurer en elle l'image de Jésus-Christ dépravée par le péché. À la Renaissance, le mot vaut aussi dans le domaine des arts et de la littérature : imiter, c'est alors ressusciter l'art des Anciens, méconnu par la barbarie « gothique » du Moyen Âge. Mais c'est au xixe s. seulement que l'imitation prend le sens de « contrefaçon » ou de « faux ».


Mimeisthai : le verbe grec, qui signifie « imiter, ou mimer, par exemple par une pantomime ou par une danse », ne se conjugue qu'à la voix passive, même quand il prend un sens actif. Cette incertitude dénote une ambivalence dans l'acte lui-même : imiter, ce n'est pas vraiment agir, ni créer (poiein), mais seulement reproduire une création déjà accomplie. L'acte de l'imitation comporte en lui une certaine passivité, puisqu'il s'assujettit lui-même à l'autorité d'un modèle (paradeigma) et n'est pour ainsi dire actif que sous influence.

Esthétique

Pour l'artiste, acte de reproduire par ressemblance un modèle, qu'il soit sensible ou intelligible. Les « arts d'imitation » sont au xixe s. la peinture et la sculpture, mais non la musique ni la poésie, qu'on suppose alors, contre l'opinion de Platon et d'Aristote, pures de toute intention mimétique. L'âge classique distinguait entre l'imitation, qui suscite par artifice l'illusion du naturel, et la copie, simple répétition mécanique d'un original.

Le nom grec mimêsis, qui signifie « imitation », prend un sens passif chez Platon, selon lequel l'image mimétique fascine l'esprit et fait obstacle à la connaissance : à l'idée, que seuls peuvent contempler les yeux de l'âme, la mimêsis substitue l'idole, qui suscite l'illusion d'une présence sensible, dépravant ainsi l'intelligible dans le visible(1). Le même mot prend en revanche un sens actif chez Aristote, selon lequel l'imitation n'est pas sans

rapport avec l'activité créatrice, ou « poiétique », à tel point que les traducteurs de la Poétique ont parfois proposé « représentation » au lieu du traditionnel « imitation »(2) : imiter un modèle, c'est apprendre à en connaître la morphologie, et même la morphogenèse, et c'est parce que les hommes désirent naturellement savoir que l'imitation leur est naturelle, et qu'il s'y exercent dès l'enfance.

Il est vrai que l'imitation peut être plus ou moins fidèle : Aristote distingue entre les peintres qui représentent les hommes comme ils sont, et ceux qui les peignent plus beaux, ou plus laids, qu'ils ne sont. Si l'artiste a vocation d'imiter, du moins doit-il choisir un modèle qui soit digne d'être ainsi célébré ; pour éviter le péril de la caricature comme la trivialité du réalisme, il se tournera vers un idéal que l'intellect seul peut concevoir – l'Idée même de la Beauté – et que la nature peut sans doute approcher, mais qu'elle ne saurait accomplir. C'est ainsi que Cicéron et Pline l'Ancien à sa suite(3) racontent l'histoire du peintre Zeuxis qui, devant exécuter un portrait d'Hélène de Troie dans le temple de Junon à Crotone, ou à Agrigente, fit paraître devant lui les cinq plus éclatantes beautés de la cité et, empruntant à chacune d'elles les traits les plus exquis, recomposa en les réunissant l'aspect de la plus belle des mortelles. Cet apologue est un thème obligé de la théorie de l'imitation. On le retrouve par exemple dans une lettre célèbre que Raphaël adresse en 1514 à B. Castiglione. Au début du xviiie s. encore, l'abbé Batteux, cherchant à formuler le principe qui réduit les beaux-arts à l'unité et à les organiser en un système cohérent, croit le trouver dans l'imitation de la belle nature, dont la nature ne nous offre que le reflet imparfait(4).

Modernité

Pourtant la servitude de l'imitation, qui soumet l'artiste au modèle extérieur, contredit l'autorité du génie qui prétend ne tenir que de sa seule inspiration les règles de son art. L'imitation suppose que l'artiste s'efface pour que paraisse le modèle, tel le miroir qui se fait oublier dans le reflet : mais la « manière » réfute cette transparence, et imprime dans l'œuvre la marque irréductible de l'individualité. En outre, comme le démontre Lessing dans son Laocoon (1766), les arts diffèrent entre eux, et la peinture obéit à des impératifs qui sont distincts, par exemple, de ceux de la poésie ; tous ne sauraient se confondre dans la théorie trop générale de l'imitation(5). L'impératif mimétique n'est pas seulement approximatif, il est plus encore vain, et même irréalisable : dans son Histoire de l'art de l'Antiquité (1764), Winckelmann met en évidence combien l'art des Anciens, qu'on proposait depuis la Renaissance à l'imitation des Modernes, appartient à des temps irrémédiablement révolus, l'éloignement de l'histoire rendant impossible l'entreprise même du miméticien qui s'efforce de rendre présent ce qui est à jamais absent, de retrouver ce qui est irréversiblement perdu.

La modernité porte donc désormais le deuil de l'Idéal, et l'artiste renonce à rejoindre cette beauté parfaite dont il croyait apercevoir les fragments dispersés dans la nature, ou dans les œuvres du génie. Pourtant, ce renoncement est aussi un affranchissement : c'est chez K. P. Moritz en 1785(6) qu'on trouvera pour la première fois l'idée que l'œuvre d'art vaut par elle-même et non par référence à un modèle qui lui serait imposé, qu'elle est, comme l'écrira Schelling, « tautégorique », fin en soi et unique source de son unique valeur. Parfaitement achevée en elle-même, l'œuvre se désintéresse de tout ce qui lui est extérieur et, souveraine, ne se rapporte qu'à sa propre splendeur. Le renversement esthétique, inauguré par Baumgarten et accompli par Kant., renforce cette orientation : le beau, qualifiant désormais la qualité du sentiment, trouve son principe dans la subjectivité, et non dans une forme objective qui prendrait valeur de modèle. La beauté est donc libre, jeu gratuit des formes qui ne représente ni ne signifie rien, elle n'adhère pas à un idéal de perfection et ne suppose aucun concept qui viendrait en finaliser la forme.

Il est alors remarquable que ce soit l'improvisation musicale qui paraisse aux yeux de Kant l'exercice le plus propre à faire entendre cette liberté nouvellement acquise ; la musique est en effet, de tous les arts, celui dont le mimétisme est le plus problématique, et les partisans de la théorie de l'imitation avaient toujours quelques difficultés à l'intégrer dans leur système. C'est pourquoi la musique apparaîtra, dans le cercle des romantiques d'Iéna où se forge, après Kant, l'esthétique de la modernité, le premier et le plus sublime de tous les arts : pur jeu de la variation et de la reprise, de l'harmonie et du contrepoint, elle est affranchie des servitudes de l'imitation. Aussi les promoteurs de la peinture non figurative, qu'on dit aussi « abstraite », se réclameront, par un paradoxe qui n'est qu'apparent, de la musique tout autant que de la peinture : pour Kandinsky, qui se découvrit peintre devant les Meules de Monet, mais aussi en entendant le Lohengrin de Wagner, la peinture est équivalente à la musique et exprime comme elle une « nécessité intérieure » ; on connaît les Carrés magiques en lesquels Klee, par ailleurs excellent violoniste, voyait une transcription chromatique des fugues de Bach ; on se souvient enfin que le dernier tableau de l'austère Mondrian, Victory boogie-woogie (1943-1944), comme Broadway boogie-woogie, qui le précède d'un an, porte le nom d'un rythme de jazz.

Jacques Darrulat

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Platon, République, livres III et X, in Œuvres complètes, trad. É. Chambry, Les Belles Lettres, tomes VI et VII (1re et 2e parties), Paris, 1970 et 1967.
  • 2 ↑ Aristote, Poétique, trad. J. Hardy, Les Belles Lettres, Paris, 1965.
  • 3 ↑ Pline l'Ancien, Histoire Naturelle XXXV. La peinture, trad. J.-M. Croisille, Les Belles Lettres, Paris, 1997.
  • 4 ↑ Batteux Ch., les Beaux-Arts réduits à un même principe, éd. critique par J.-R. Mantion, Aux amateurs de livres, Paris, 1989.
  • 5 ↑ Lessing G. E., Laocoon, Hermann, Paris, 1990.
  • 6 ↑ Moritz, K. P., le Concept d'achevé en soi et autres écrits (1785-1793), trad. P. Beck, PUF, Paris, 1995.
  • Voir aussi : Kant, I., Critique de la faculté de juger, trad. A. Renaut, Flammarion GF, Paris, 1995.
  • Todorov, T., Théories du symbole, Seuil, Paris, 1977.

→ art, création, copie, musique, reproduction

Psychologie

Action intentionnelle et psychologiquement structurante de reproduire le comportement d'un autre individu.

L'imitation psychologique a peu à peu émergé au sein d'une vaste famille de conduites de reproduction. Au mimétisme physiologique par rapport à l'environnement (le caméléon) s'oppose son orientation sur un individu semblable, qui sert de modèle. Toutefois, l'imitation de la seule image de l'autre (les « syncinésies », qui sont des mouvements mimés) n'est qu'un effet de capture global et passif. L'imitation doit être articulée et active (intentionnelle). À la « contagion sociale » (sur le modèle de la mode et de l'hypnose chez Tarde), elle s'oppose par le fait qu'elle est apprise. Elle suppose donc une articulation cognitive interne – mal élucidée dans un effet massif d'entraînement social qui réduirait l'imitation à un mot passe-partout. Sur cette base, la psychologie génétique s'est intéressée à l'imitation des expressions de visage des adultes par les nourrissons : l'enfant reproduit de façon intermodale (du visage de l'autre au sien), et à la suite d'essais et d'erreurs, certains mouvements d'origine innés : protrusion de la bouche – le sourire, surtout. Il s'agit là d'une première constitution de l'intentionnalité des réponses interindividuelles. Elle est prédictive des capacités futures de l'enfant.

On se demande souvent si l'appareil cognitif qui se développe par l'imitation doit être doté de capacités préalables de percevoir (au moins le modèle). Il est clair que percevoir une conduite « comme modèle » ne peut pas être un trait interne de la perception. L'espace social préexiste apparemment ici. Des travaux sur l'autisme (Meltzoff et Gopnick) ont cependant tenté de déduire d'une incapacité aux jeux d'imitation les étapes neuropsychologiques du développement de l'individu. En revanche, une imitation trop socialisée ne décrirait guère que l'identification, par internalisation du modèle, sans élucider le comment du processus.

Pierre-Henri Castel

Notes bibliographiques

  • Meltzoff, A., et Gopnick, A., in Baron-Cohen, S., Tager-Flussberg, H. et Cohen, D. (éds.), Understanding Other Minds, Oxford U. P., 1993.
  • Piaget, J., la Formation du symbole chez l'enfant, Neuchâtel, 1945.
  • Tarde, G., les Lois de l'imitation, Paris, 1890.