fiction

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin, fictio dérivé de fingere, « feindre ».


La réflexion philosophique sur la fiction commence avec Platon, lorsqu'il introduit dans sa philosophie des mythes : un détour par la fiction peut constituer une voie efficace d'accès au savoir. Pourtant, Platon est aussi un des plus féroces critiques de la fiction car elle peut nous faire ressentir une émotion sans rapport avec la réalité(1). À la différence de Platon, Aristote verra moins dans la fiction le risque d'une confusion malsaine de l'apparence et de la réalité qu'une manière d'expérimenter des émotions sans justement courir le risque de l'émotion réelle ; la fiction ouvre la possibilité de comprendre la nature des choses par l'examen de leur représentation(2).

Esthétique, Philosophie Cognitive

Récit ou image qui ne représente pas des entités ou des événements du monde actuel.

Comme le mensonge, c'est parce qu'elle est volontaire que la fiction se distingue de l'erreur mais, à la différence du mensonge, la fiction n'est pas destinée à tromper. En quoi consiste-t-elle ? On distingue couramment au moins trois grands types d'approches : sémiotique, sémantique et intentionnelle.

La théorie sémiotique comprend la fiction (picturale ou verbale) en termes de fonctionnement symbolique. Des symboles peuvent représenter en dénotant ou sans dénoter ce qu'ils représentent. Dans le deuxième cas, ce sont des symboles fictionnels. Une image de licorne n'est pas l'image d'une licorne, mais une image-licorne. Elle représente une licorne sans la dénoter. La possibilité de la fiction est donc intelligible si l'on accepte de dire que le fonctionnement de certains symboles est indépendant de leur capacité à dénoter. Ils supposent chez leurs utilisateurs une capacité de comprendre à quelle classe ils appartiennent : ici, celle des images-de-licorne(3).

Une théorie sémantique de la fiction tend plutôt à faire des fictions – particulièrement des romans – des récits vrais, non pas dans notre monde actuel mais dans un monde possible, accessible à partir de notre monde actuel. L'interprétation de la notion de possibilité dans la sémantique modale permet en effet d'accorder des valeurs de vérité aux énoncés portant sur des entités et sur des situations qui ne sont pas actuelles(4).

La théorie intentionnelle met l'accent sur l'idée de simulation, étymologiquement incluse dans le terme de fiction(5). Ainsi, les lecteurs d'Anna Karénine sont placés à l'intérieur d'un monde fictionnel et ils jouent à le tenir pour vrai. On peut donc dire que la fiction est le fruit de l'imagination, comprise comme la permission (implicite) que je m'accorde de tenir pour vrai ce que je sais pertinemment être faux.

Chacune des trois théories : sémiotique, sémantique (ou modale) et intentionnelle doit faire face à la question, peut-être la plus importante, de savoir pourquoi les fictions jouent un tel rôle dans la compréhension que nous avons du monde réel. À cet égard, il est remarquable que la fiction n'a pas seulement, loin de là, une spécificité artistique ; on la retrouve aussi bien en philosophie, sous la forme des expériences de pensée (malin génie chez Descartes, état de nature chez Rousseau, etc.) que dans le domaine scientifique (sous forme d'hypothèses ou de conjectures). La fiction joue surtout un rôle considérable dans l'apprentissage des normes et des valeurs morales et dans la réflexion sur ces normes et ces valeurs(6). C'est peut-être la raison pour laquelle nous faisons face au paradoxe de la fiction : nous savons que c'est faux et pourtant, au cinéma ou en lisant, nous éprouvons des émotions ou des sentiments, comme si cela était vrai.

Roger Pouivet

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Platon, La République, in Œuvres complètes, t. I, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1950.
  • 2 ↑ Aristote, La Poétique, Seuil, Paris, 1980.
  • 3 ↑ Goodman, N., Languages of Art, trad. Langages de l'art, J. Chambon, Nîmes, 1990.
  • 4 ↑ Cf. Lewis, D., « Truth in Fiction », Philosophical Papers, vol. I, Oxford U. P., New York, 1983 ; Pavel, T., Univers de la fiction, Seuil, Paris, 1988.
  • 5 ↑ Cf. Walton K., Mimesis as Make-Believe, Harvard U. P., Cambridge (Mass.), 1990 ; Schaeffer, J.-M., Pourquoi la fiction ?, Seuil, Paris, 1999.
  • 6 ↑ Cf. Currie, G., « Realism of Character and the Value of Fiction », in Aesthetics and Ethics, Cambridge U. P., Cambridge (Mass.), 1998.

→ art, création, mythe, représentation

Mathématiques

Énonciation dont on souligne le caractère inactuel, la non-existence réelle.

En littérature, on désigne ainsi les œuvres « d'imagination » qui ne s'inspirent pas de faits, de situations ou de personnages existants ou ayant existé. En mathématiques, le caractère logiquement valide d'une fiction autorise à en reconnaître l'utilité. Les nombres imaginaires (les complexes) ont d'abord été considérés comme des quantités fictives, car ils ne correspondaient pas à des quantités représentables, bien qu'ils soient utiles au développement de l'algèbre : ils permirent notamment de progresser dans la résolution des équations – de même pour les quantités infinitésimales qui « faisaient leur effet », sans pouvoir être assignées.

En un second sens, la fiction est une hypothèse sur la vérité de laquelle on ne se prononce pas. C'est – négativement – ce sens que lui donne Newton lorsqu'il affirme ne pas feindre d'hypothèses en sa physique. C'est encore cette fonction que lui attribue Descartes dans le Traité du monde lorsque, à partir du chapitre vi, il imagine un chaos initial dans des espaces imaginaires. La fiction est alors une construction utile dans la mesure où elle peut servir de point de départ pour des déductions qui devront être conformes aux phénomènes.

Vincent Jullien

→ hypothèse, imagination, modèle, mythe