hypothèse

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec hupothesis, « action de mettre en dessous » d'où : « base d'un raisonnement », « fondement », « principe », « supposition ».

Philosophie Antique, Logique, Mathématiques

Proposition, n'ayant pas nécessairement valeur de vérité, formant le point de départ d'une démonstration.

Antonyme de « anhypothétique », le mot « hypothèse » est lui aussi un néologisme forgé par Platon pour désigner une notion ou une proposition qui, n'étant pas évidentes par elles-mêmes, sont « placées sous », c'est-à-dire dans la dépendance de, une proposition logiquement antérieure. Ainsi le pair et l'impair, les figures et les trois espèces d'angles, sont-ils qualifiés d'hypothèses : d'une clarté telle que nul ne pense qu'il y ait lieu d'en rendre compte, ces notions et d'autres semblables servent de point de départ aux démonstrations des mathématiciens. À ce dernier titre, elles posent cependant une valeur heuristique, puisqu'elles constituent le fondement de la déduction, non seulement des propriétés, mais aussi de l'existence d'autres objets mathématiques(1). On peut dire en ce sens que les hypothèses ont chez Platon le statut qui est celui des définitions et des axiomes dans les mathématiques contemporaines, c'est-à-dire celui des notions et propositions de base sur lesquelles s'édifie la théorie, mais sur la vérité desquelles cette même théorie ne se prononce pas.

L'hypothèse posée par Platon dans le Ménon, selon laquelle « la vertu est un bien »(2) présente, elle aussi, les caractéristiques d'un principe qui pourra servir de base à un raisonnement valide, sans qu'il soit nécessaire d'en fournir la vérification et ce, en vertu de son caractère évident. Comme dans le cas des mathématiques, la démonstration, dont le point de départ est l'hypothèse, ne conduira jamais à la remise en cause de cette dernière.

Cette conception de l'hypothèse diffère cependant, de manière fondamentale, de celle exposée par Platon dans le Parménide. L'hypothèse formulée sur l'être : « s'il est un », affirmée puis niée, se trouve en définitive rejetée, en raison des conséquences logiques qu'elle entraîne(3). L'hypothèse abandonne dans ce cas son statut de principe pour celui de simple supposition, qu'il appartient au raisonnement de confirmer ou au contraire d'infirmer.

Ces deux acceptions de la notion d'« hypothèse » marquent le partage entre les deux sections de l'intelligible définies par Platon à la fin du livre VI de la République. En définitive, le raisonnement mathématique constitue un niveau inférieur à la dialectique, en raison, précisément, de l'usage qu'il fait des hypothèses. Considérer les hypothèses comme des principes voue l'âme à l'inertie, lui interdit de s'élever au-dessus des images, la cantonne dans un type de connaissance incomplète parce qu'hypothétique. Seule la dialectique, qui prend les hypothèses pour ce qu'elles sont, à savoir non pas des principes mais des « tremplins », des « points d'appui » provisoires, vers le principe anhypothétique, contribue à définitivement élever l'âme(4). Cet « éveil » de l'âme n'est possible qu'en « supprimant »(5) les hypothèses, c'est-à-dire en les réfutant.

Comme la « définition » (horismos), l'hypothèse selon Aristote est une thèse : un principe immédiat du syllogisme, posé sans démonstration ; cependant, outre le sens d'un mot, l'hypothèse pose l'existence d'une chose(6). L'énoncé de cette existence ne présente pas un caractère évident, contrairement à l'« axiome » (axioma) qui s'impose à l'esprit(7). Le « postulat » (aitema) lui-même, se distingue de l'axiome en ce qu'il est, en quelque sorte, imposé par le maître, qui demande au disciple de l'accepter en dépit des réticences de ce dernier.

Les stoïciens distinguent les « hypothèses » et les « ecthèses »(8), ces dernières s'appliquant exclusivement aux objets géométriques. Dans les deux cas, il s'agit d'énoncés qui n'ont pas nécessairement valeur de vérité mais qui permettent de déduire des propositions ayant valeur de vérité. Ainsi de la démonstration par une expérience de pensée de l'existence d'un vide au-delà de l'univers : supposons un homme se tenant à l'extrémité de la sphère des fixes et étendant la main vers le haut ; s'il y parvient, il y a là un espace extérieur au monde mais vide ; s'il en est empêché, il y a quelque chose d'extérieur au monde, à la limite duquel on peut l'imaginer se porter, etc.(9).

Annie Hourcade

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Platon, République, VI, 510c-d.
  • 2 ↑ Platon, Ménon, 87d.
  • 3 ↑ Platon, Parménide, 137b sq.
  • 4 ↑ Platon, République, VI, 511a-e. Cf. Phédon, 101d-e.
  • 5 ↑ Platon, République, VII, 533c.
  • 6 ↑ Aristote, Seconds Analytiques, I, 2, 72a21.
  • 7 ↑ Id., I, 10, 76b20 sq.
  • 8 ↑ Diogène Laërce, VII, 196.
  • 9 ↑ Long, A.A. & Sedley, Les Philosophes hellénistiques, Paris, 2001, 49 F (t. II, p. 297).
  • Voir aussi : Bobzien, S., « The Stoics on Hypotheses and Hypothetical Arguments », in Phronesis, 42, 1997, pp. 299-312.
  • Canto, M. (éd.), Platon, Ménon, Paris, 1991, Introduction, pp. 94-102.
  • Caveing, M., « Platon, Aristote et les hypothèses des mathématiciens », in J.-F. Mattéi (éd.), La Naissance de la raison en Grèce, Actes du congrès de Nice, mai 1987, Paris, 1990, pp. 119-128.
  • Gourinat, J.-B., La Dialectique des stoïciens, Vrin, Paris, 2000, pp. 187-193.
  • Hamelin, O., Le Système d'Aristote, Vrin, Paris, 1985.
  • Narcy, M., « Aristote et la géométrie », Les Études philosophiques, 1978/1, pp. 13-24.
  • Wallace, W.A., « Aristotle and Galileo : The uses of hypothesis (suppositio) in scientific reasoning », in D.J. O'Meara (éd.), Studies in Aristotle, Washington D.C., 1981, pp. 47-77.

→ anhypothétique

Épistémologie, Mathématiques, Physique

Affirmation dont on n'est pas assuré de la vérité au moment ou à l'étape du raisonnement où on la pose, ou encore dont le critère de validité est d'ordre logique et non empirique.

Le recours à l'hypothèse a différentes justifications. La première est inhérente à la méthode d'induction et, en ce sens, Poincaré a raison de noter que « toute généralisation est une hypothèse ». L'accumulation d'observations de type « ces x sont P » n'autorise l'induction « tous les x sont P » qu'en reconnaissant à cette loi « généralisante » un statut hypothétique. Il est aussi exact que si cette « loi » se trouve régulièrement confirmée, acquiert une puissance prédictive et étend le domaine des observations où elle est pertinente, son caractère hypothétique tend à s'estomper pour laisser place à un principe. Telle est la position développée par Huygens dans son Traité de la lumière.

La seconde justification est au cœur des conceptions dites déductives de la science. Un corps de principes hypothétiques, retenus d'abord pour leur cohérence et leur puissance représentative des phénomènes, forme le socle de la théorie. Ces hypothèses demeureront valides tant qu'elles-mêmes ou quelques-unes de leurs conséquences n'auront pas été réfutées. En ce sens, les hypothèses scientifiques sont provisoires. Il n'est pas choquant que des hypothèses distinctes soient alors en compétition pour rendre compte d'un même ensemble de phénomènes.

Le recours à l'hypothèse peut encore être un moyen de raisonnement : c'est le rôle que lui attribue Platon lorsque, dans le Ménon, il s'agit de savoir si la vertu s'enseigne. Ayant admis, par hypothèse, que ce qui s'enseigne est une science, on cherchera à savoir si la vertu s'enseigne. C'est « un procédé semblable à ce que les géomètres font souvent au cours de leurs examens » (Ménon, 188).

Un sens encore différent est celui qui fonde les théories hypothético-déductives. Les hypothèses sont alors des énoncés premiers qui doivent être non contradictoires et l'on s'intéresse à l'ensemble des propositions que l'on peut logiquement en déduire. La vérité de telles hypothèses est – en ce sens – une catégorie logique et ne doit pas être cherchée dans une adéquation aux choses, mais dans la cohérence (ou consistance) et la complétude des énoncés déduits. Ce sens est celui qui préside aux développements des mathématiques contemporaines.

Vincent Jullien