anhypothétique

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec anhupotheton, de hupothesis, « hypothèse ».

Philosophie Générale, Philosophie Antique, Philosophie Cognitive

Principe premier, inconditionné.

Le terme a été forgé par Platon pour désigner ce qui ne dépend d'aucun présupposé (hypothesis, « sub-position »), c'est-à-dire d'aucun principe qui lui soit antérieur logiquement et ontologiquement, et constitue donc le « principe du tout », absolument premier et inconditionné : l'idée du Bien(1). La démarche ordinaire des sciences n'est pas de remonter à ce principe, mais, au contraire, une fois posées les hypothèses qui leur sont propres, d'en rechercher par voie déductive les conséquences. Ainsi les mathématiciens posent-ils le pair et l'impair, les angles, les figures, qu'ils considèrent comme choses connues et évidentes une fois définies, sans qu'ils aient à en rendre autrement raison(2) ; ils n'en ont donc pas, aux yeux de Platon, l'« intelligence complète » (noesis), et la connaissance qu'ils ont des êtres mathématiques eux-mêmes n'est que dianoétique(3). Seul le philosophe, parce que, par la vertu de la dialectique – c'est-à-dire par une démarche inverse de celle des sciences –, il est remonté d'hypothèse en hypothèse jusqu'à l'anhypothétique(4), possède une science complète de toutes les essences qui y sont subordonnées.

Aristote qualifie à son tour d'anhypothétique le principe de non-contradiction, dans la mesure où il est présupposé par tout énoncé pourvu de sens(5). Il se heurte immédiatement à l'impossibilité de le démontrer, puisqu'il est impossible d'énoncer aucune prémisse qui ne le présuppose : face à qui rejetterait le principe de non-contradiction, il n'est possible que de le « démontrer par réfutation »(6).

Proclus développera par un autre biais la même aporie à propos de l'anhypothétique platonicien(7). Si, en effet, toute science connaît ses objets par leur cause ou principe supérieur, le Bien, dont il n'y a pas de principe, n'est pas objet de science. Il n'est pas prouvable, puisqu'il est la source de toute intelligibilité(8). La solution diffère cependant de celle d'Aristote : le Premier peut être, non démontré, mais montré, parce qu'il s'impose avec évidence, comme le soleil visible – non pas toutefois par une évidence immédiate et accessible à tous, mais par une évidence résultant d'une longue ascèse. Ou encore, d'après Proclus, tout ce qu'on peut faire est de le connaître selon la via negativa, par la « négation » (aphairesis) de tout ce qui n'est pas lui, ou encore par ce qui dans l'intelligible et connaissable y participe en premier, et le manifeste ainsi le mieux (bien que n'étant que le « vestibule » du Bien), à savoir la vérité, la beauté et la proportion.

Jean-Luc Solère

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Platon, République, VI, 511 b 6-7.
  • 2 ↑ Ibid. VI, 510 c-d.
  • 3 ↑ Ibid., 511 b-c.
  • 4 ↑ Ibid., 511 d.
  • 5 ↑ Aristote, Métaphysique IV, 3, 1005 b 14 ; Seconds Analytiques, I, 3 et 11, 77 a 10 et suiv.
  • 6 ↑ Id., IV, 4, 1006a11-12.
  • 7 ↑ Proclus, Commentaire sur la République, X, trad. A.-J. Festugière, Paris, 1970, t. II, pp. 90-93.
  • 8 ↑ Platon, République, VI, 509 b.

→ apophantique, bien, dialectique, dianoia, hypothèse