extériorité
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin exterior, comparatif de l'adjectif externus « externe ».
Philosophie Générale
Caractère de ce qui est posé au dehors.
L'extériorité est d'abord conçue comme le dehors d'un dedans : en d'autres termes, il n'y a d'extérieur que pour une conscience qui se saisit d'abord elle-même comme intériorité. L'extériorité se redouble alors : elle constitue non seulement l'existence d'un dehors, mais elle constitue également la loi de ce dehors en tant que les choses extérieures sont pensées à partir des relations d'extériorité réciproques qu'elles entretiennent entre elles (ainsi l'étendue n'est pas extérieure au seul sens de sa différence avec l'intériorité de la conscience : elle l'est aussi essentiellement en ce qu'elle se présente comme une juxtaposition de parties mutuellement extérieures les unes aux autres, partes extra partes).
Dans le cadre d'une théorie de la connaissance, la position de l'extériorité annonce alors un problème : comment le sujet intérieur à lui-même peut-il atteindre cette extériorité, et comment peut-il penser sa différence permanente à elle-même ? Une fois posée l'hétérogéniété réciproque de la chose pensante et de la chose étendue, Descartes doit passer par la considération de la fiabilité de Dieu pour récupérer l'assurance de l'existence des corps extérieurs(1) ; chez Berkeley, l'idéalisme radical conduit même à nier qu'existe quoi que ce soit qui puisse être considéré comme véritablement extérieur à mon esprit, à l'exception des autres substances pensantes(2).
Kant, rejetant l'idéalisme problématique (Descartes) et l'idéalisme dogmatique (Berkeley), cherche à montrer que si « ce que nous nommons objets extérieurs consiste dans de simples représentations de notre sensibilité dont la forme est l'espace »(3), en revanche le fait même que la conscience soit empiriquement affectée « prouve l'existence des objets extérieurs dans l'espace »(4). Dans le projet critique qui consiste à prendre de l'intérieur la mesure de l'extension des facultés de la raison, l'extériorité radicale n'est donc que le concept d'une limite.
Mais on peut alors concevoir que cette limite n'est qu'un moment de la constitution du savoir, dans lequel la conscience saisit la manifestation des choses comme extériorisation : cette extériorisation n'est alors que le déploiement dans lequel s'atteste l'intériorité des choses comme leur vérité qui excède la simple perception sensible(5).
On est alors conduit à considérer la faculté de se rapporter à une extériorité comme constitutive de l'œuvre de la conscience – et non pas seulement comme adventice. Ainsi dans la phénoménologie l'intentionnalité définira la conscience comme originairement orientée vers le dehors : ce dehors n'est plus alors un pôle éloigné qu'il faudrait rejoindre, mais un élément indispensable de cette non-coïncidence à soi de la conscience que Sartre nomme le « circuit de l'ipséité »(6). L'extériorité cesse alors d'être un problème pour le processus de connaissance, pour devenir au contraire le mode même de notre être-au-monde : « [...] finalement tout est dehors, tout, jusqu'à nous-mêmes : dehors, dans le monde, parmi les autres »(7).
Laurent Gerbier
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Descartes, R., Méditations métaphysiques, VI, édition Adam & Tannery, Vrin, Paris, 1996, vol. IX, p. 62-63.
- 2 ↑ Berkeley, G., Traité des principes de la connaissance humaine, §§ 3-7, dans Œuvres, vol. I, PUF, Paris, 1985, p. 320-322.
- 3 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, Esthétique transcendantale, I, § 3, tr. Barni & Archambault, GF, Paris, 1987, p. 89.
- 4 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, Analytique des principes, chapitre II, section III, point 4 (« Postulats de la pensée empirique en général »), éd. cit., p. 249.
- 5 ↑ Hegel, G. W. F., Phénoménologie de l'esprit, A, 3 (« Force et entendement »), tr. J. Hyppolite, Aubier, Paris, 1941, vol. I.
- 6 ↑ Sartre, J.-P., L'Être et le néant (1943), II, 1, Gallimard, Paris, 1976, p. 142 sqq.
- 7 ↑ Sartre, J.-P., « Une idée fondamentale de la phénoménologie de Husserl : l'intentionnalité » (1943), repris dans Situations, Gallimard, Paris, 1990, p. 12.
→ chose, espace, étendue, immatérialisme, intentionnalité, matière, objet, phénomène, spatialité