corroboration

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


En allemand, die Bewährung. Le degré de corroboration se dit Grad der Bewährung.

Épistémologie, Philosophie des Sciences

Chez Popper, évaluation, valable à un instant t spécifié du temps, de la manière dont une théorie scientifique T s'est, depuis sa naissance jusqu'à t, montrée apte à résister à des tests empiriques sévères.

T est dite « résister à des test empiriques » tant qu'elle n'est pas réfutée par l'expérience (tant que les énoncés de base déduits d'elle ne contredisent pas les énoncés de base acceptés). La condition supplémentaire de sévérité des tests renvoie au fait que tous les événements singuliers prédits par T et effectivement observés jusqu'à t n'ont pas le même poids pour l'estimation du degré de corroboration. La nième confirmation, en l'an 2000, de la chute des corps à la surface de la Terre n'augmente pas de manière significative le degré de corroboration de la théorie de Newton dans son domaine de validité. En revanche, la prédiction, émise en 1846 à partir de la physique de Newton, de l'existence, auparavant insoupçonnée, de la planète Neptune contribua fortement à corroborer cette physique. D'une manière générale, les conséquences empiriques de T constituent des tests d'autant plus sévères (et d'autant plus corroborants s'ils sont passés avec succès) qu'ils sont des tentatives sérieuses de réfutation, c'est-à-dire qu'ils apparaissent plus inattendus avant d'être effectivement observés. Un phénomène est « inattendu » (et, corrélativement, la théorie T dont il découle est « audacieuse »), quand les théories en vigueur sans T (la connaissance supposée acquise avant que T ne soit proposée, ou background knowledge) interdisent sa survenue (par ex. la tache de Poisson et la théorie corpusculaire de la lumière), ou bien n'en disent strictement rien (par ex. l'existence de Neptune et la théorie de Newton en 1846), ou encore la rendent fort peu plausible...

L'évaluation du degré de corroboration, quand elle est possible, est presque toujours de nature comparative : en général, on peut seulement dire que T1 a, au temps t, un degré de corroboration plus élevé que T2, ou, ce qui revient au même, que T1 est préférable à T2. Il s'agit en outre d'une évaluation essentiellement qualitative qui n'est, sauf dans certains cas limites, pas susceptible d'être numériquement chiffrée.

Le fait que T soit hautement corroborée au temps t ne dit absolument rien sur le destin ultérieur de T, car la corroboration n'est rien de plus qu'un bilan valable au temps t des résultats passés de la théorie : dans le futur, T peut fort bien être réfutée par de nouvelles expériences ou supplantée par une théorie rivale. « Corroborée » est donc un prédicat épistémique toujours révisable, et non une propriété intrinsèque, éternelle, de la théorie à laquelle il s'applique. Il se distingue en cela des prédicats « vrai » et « faux » supposés caractériser la théorie dans l'absolu, indépendamment de l'état de la connaissance humaine.

En outre, insiste Popper, le degré de corroboration n'est pas assimilable à une probabilité (au sens de la théorie des probabilités), notamment à la probabilité que T soit vraie étant donné certains résultats d'expérience. Le degré de corroboration est donc bien distinct du « degré de confirmation », élément central de la méthodologie inductiviste et probabiliste de la science développée par les positivistes logiques, Carnap en tête, à partir du milieu des années 1930. Carnap pensait que c'était la probabilité logique pour qu'une hypothèse soit vraie étant donné un ensemble d'informations disponibles à un moment arrêté du temps(1) – ou « degré de confirmation » de l'hypothèse examinée – qui devait fournir des raisons objectives, supposées servir en pratique, d'accepter, de rejeter ou de préférer l'une à l'autre les propositions scientifiques. Mais Popper, lui, estime que toute théorie probabiliste de la préférence conduit à des absurdités, et c'est justement pour se démarquer nettement de la conception de Carnap qu'il introduit le terme relativement neutre de « corroboration » (celui de « confirmation » évoquant immanquablement les idées de « vérifier », d'« affirmer », d'« établir fermement », etc. mises sur la touche par le faillibilisme de Popper)(2).

Toutefois, Popper accorde crédit à l'idée intuitive d'un lien entre degré de corroboration et vérisimilitude (plus ou moins grande proximité de T à la vérité). Si T est corroborée, il est peu vraisemblable que ce soit par hasard : tel semble être en substance le contenu de l'intuition, à laquelle Popper n'entend pas renoncer. Le degré de corroboration n'est certes pas une mesure de la vérisimilitude, mais il peut, soutient Popper, en être considéré comme un indicateur : « Le degré de corroboration [...] nous dit uniquement [...] qu'une des théories proposées semble – à la lumière de la discussion – la plus proche de la vérité »(3) à l'instant t. Le lien entre corroboration et vérisimilitude introduit dans la méthodologie falsificationniste popperienne, essentiellement négative (les théories sont scientifiques si elles sont réfutables, retenues tant qu'elles sont non réfutées, etc.), un élément plus positif : l'idée que l'expérience soutient d'une certaine manière positivement la théorie, même si ce n'est que pour l'instant et relativement aux autres théories disponibles, et même s'il y a là moins qu'une confirmation au sens de Carnap.

Du fait du caractère pour le moins ténu et foncièrement intuitif du lien entre corroboration et vérité, et du fait de l'impossibilité de déduire du degré présent de corroboration quoi que ce soit quant au destin ultérieur de la théorie, l'importance méthodologique de la corroboration est controversée, même si, historiquement, les corroborations de conjectures audacieuses impressionnent incontestablement les esprits et jouent en faveur de la théorie, ainsi qu'y a notamment insisté I. Lakatos(4).

Lena Soler

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Carnap, R., Logical Foundations of Probability, 1950, trad. « Les fondements logiques des probabilités », Chicago University Press, Chicago, 1950.
  • 2 ↑ Popper, K., la Logique de la découverte scientifique, 1934, p. 256, note no 1, Payot, Paris, 1973.
  • 3 ↑ Popper, K., la Connaissance objective, 1972, p. 175, Flammarion, Paris, 1991.
  • 4 ↑ Lakatos, I., Histoire et méthodologie des sciences, 1978, PUF, Paris, 1994.
  • Voir aussi : Popper, K., le Réalisme et la science, 1983, Hermann, Paris, 1990.
  • Schlipp, P. A., The Philosophy of R. Carnap, 1963, Open Court, 1963.

→ confirmation (théorie de la), faillibilisme, falsifiabilité, probabilité, réfutabilité, vérification, vérité