faillibilisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Dérivé du substantif « faillibilité », lui-même traduit du latin médiéval faillibilitas, « possibilité de commettre une faute ».

Philosophie Cognitive

Conception épistémologique selon laquelle nos croyances et nos connaissances pourraient s'avérer fausses et ne peuvent donc jamais être absolument fondées.

Dans le Théétète de Platon, les interlocuteurs sont conduits à examiner les mérites d'une définition de la connaissance qui en fait « une opinion droite accompagnée de sa justification »(1). Si on accepte cette définition, on dira que X sait que p si et seulement si (a) X croit que p, (b) p est vrai, (c) X a de (bonnes) raisons de (ou est justifié à) croire que p.

Acceptant cette définition, les philosophes cherchent à déterminer quelles sont ces raisons qui peuvent justifier nos croyances – raisons qui transforment les croyances vraies en connaissance. Si (c) implique (b), la connaissance implique l'infaillibilité (la certitude complète). On exclut le cas où l'on possède de bonnes raisons de croire que p et, pourtant, p est faux. Proposant de fonder toute la connaissance sur une première certitude indubitable et de procéder en passant de proposition certaine en proposition certaine, c'est cette thèse que Descartes semble avoir soutenue. À la fin des Principes, il distingue deux sortes de certitude. La « certitude morale » n'implique nullement que ce que nous croyons ne puisse être faux (et sert simplement dans « la conduite de la vie »). La « certitude métaphysique » est celle que nous avons « lorsque nous pensons qu'il n'est aucunement possible que la chose soit autre que nous la jugeons »(2). Cette certitude suppose le principe de la véracité divine.

En revanche, on peut raisonnablement penser qu'Aristote était faillibiliste. Dans les Seconds Analytiques, il prend en compte non seulement les propositions universelles nécessaires, qui ne peuvent pas ne pas être vraies, mais aussi des propositions qui sont vraies « dans la plupart des cas », même si elles ne relèvent pas du hasard, de l'accident(3). En effet, en dehors des vérités mathématiques et de celles qui concernent les cieux éternels et non changeants, le reste de la nature connaît des exceptions aux régularités. Si quelqu'un est un homme, on peut croire qu'il a du poil au menton, mais l'homme n'a du poil au menton que dans la plupart des cas. Et donc, notre croyance pourrait s'avérer fausse, même si nous avons toutes les bonnes raisons de la croire vraie.

Critiquant le rôle que Descartes prétend faire jouer au doute en philosophie, le philosophe américain Peirce insiste sur le caractère non critique des jugements de perception : nous sommes contraints par notre croyance perceptive(4). Mais cela ne signifie en rien que le caractère indubitable de ces jugements, pas plus que n'importe quel autre, pas même les principes de la logique déductive, les rendent infaillibles. Ne pas mettre raisonnablement une croyance en doute, ou même ne pas pouvoir le faire, cela ne constitue en rien une garantie absolue de sa vérité.

Pour le philosophe américain E. Gettier, une définition de la connaissance comme croyance vraie et justifiée n'implique nullement que celui qui connaît soit infaillible(5). En effet, il se pourrait qu'ayant toutes les bonnes raisons de croire ma voiture garée à sa place habituelle et la retrouvant à l'endroit où je l'ai garée, quelqu'un l'ait empruntée et remise à la même place. Il conviendrait donc d'exclure non pas les possibilités d'erreur, car cela semble bien impossible, mais les cas de justification accidentelle de nos croyances. On parle aujourd'hui du « problème de Gettier » et les avis divergent sur la façon de le résoudre, voire sur la nécessité de le faire.

Les philosophes qui rejettent le faillibilisme affirment que certaines croyances sont analytiquement vraies ou intuitivement évidentes. Ils craignent que le rejet de cette thèse ne conduise au scepticisme épistémologique. Pourtant, le faillibilisme n'est pas du scepticisme puisqu'il ne met pas en cause la possibilité de la connaissance, mais la thèse, d'origine platonicienne, selon laquelle nous devons distinguer de façon absolue l'« opinion » (doxa), par principe faillible, et la « connaissance » (épistémé), dont la caractéristique serait qu'elle ne peut s'avérer fausse.

Roger Pouivet

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Platon, Théétète, 208c, tr. A. Diès (1924), Les Belles Lettres, Paris, 1993, p. 259.
  • 2 ↑ Descartes, R., les Principes de la philosophie, IV, § 206, édition Adam & Tannery, Vrin-CNRS, Paris, 1996, vol. IX, p. 324-325.
  • 3 ↑ Aristote, Seconds Analytiques, II, 12, 96a 8-19, tr. J. Tricot, Vrin, Paris, 1995, p. 210-211.
  • 4 ↑ Tiercelin, C., la Pensée-signe. Études sur C.S. Peirce, Jacqueline Chambon, Nîmes, 1993, « Croyances, raison et normes ».
  • 5 ↑ Gettier, E., « Is Justified Belief Knowledge ? », in Analysis, 1963.

→ certitude, connaissance, erreur, faux, Gettier (problème de), opinion, vérité