comédie
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du grec kômôidia, chanson rituelle accompagnant les kômoi ou « cortèges dionysiaques ».
Esthétique
Pièce de théâtre destinée à faire rire en montrant généralement les travers des mœurs et des caractères. Elle recouvre, dès l'origine, un corpus composite de textes et de situations de jeu qui se présentent comme l'antidote et le renversement de l'angoisse tragique.
Dans ses Papiers(1), après une lecture d'Aristote et de Hegel, Kierkegaard laisse apparaître l'idée que le comique constitue l'aboutissement d'un « mouvement à travers l'esthétique » qui atteindrait précisément ce territoire – dernière étape avant l'éthique – où « l'esthétique est dépassée ». Dans ce droit fil, en établissant un classement des formes de comédies, il place au sommet le vaudeville, l'utilisant à nouveau dans la Reprise(2), sous la dénomination de « farce-vaudeville », pour démontrer que ce comique joue un rôle de passeur entre un « monde artificiel » et la réalité.
Une telle proposition place la comédie loin du mépris traditionnellement attaché à la réception des différents genres comiques. Dès l'Antiquité pourtant, les Grecs conféraient aux pitreries du « drame satyrique » le soin d'être la cauda bouffonne de la tétralogie, la porte de sortie du tragique. Dans ce contexte, on regrette d'autant plus la disparition des chapitres de la Poétique d'Aristote consacrés à l'étude du comique. Le malentendu, qui dure pourtant, tient au fait qu'il est malaisé de cataloguer et de différencier les composantes contrastées d'un nuancier comique allant, par exemple chez Molière, d'un trait d'esprit de Célimène aux bastonnades de Scapin. Si l'analyse désespère de venir à bout de l'observation de tous les rouages, c'est aussi que le comique n'est pas réductible à la seule comédie et que les solutions proposées par exemple par Schopenhauer(3) d'expliquer le risible par un désaccord entre le sujet et le monde, ou par Bergson(4) de caractériser le rire par du « mécanique plaqué sur du vivant », restent, par leur généralité même et malgré leur pertinence, insatisfaisantes. En effet, au-delà de l'opposition du concept et de l'intuition, ou d'une simple automatisation des comportements, la comédie, quelle qu'elle soit, propose de vivre dans un lieu et un temps protégés, hors des ultimes conséquences du quotidien qu'elle dépeint. Pour elle, ce qui compte, rappelle Gouhier(5), c'est « moins de finir que de bien finir ».
Cette prise de distance à l'égard du monde extérieur, qui adopte souvent l'alibi de la peinture et de la correction des mœurs (castigat ridendo mores est la devise traditionnelle de la comédie) n'est, en somme, qu'une façon de se positionner dans un espace cerné de vide pour quérir une vérité ou du moins chercher un sens. Nietzsche(6) rappelle ainsi qu'à la mort de Platon, on trouva sous son oreiller un exemplaire d'Aristophane : « Comment un Platon, commente Nietzsche, aurait-il pu supporter la vie – cette vie grecque à laquelle il disait non – sans Aristophane ? »
Jean-Marie Thomasseau
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Kierkegaard, S., Papiers, 4, C, 127, cité dans la Reprise, éd. de N. Viallaneix, note 85, Flammarion, Paris, 1990.
- 2 ↑ Kierkegaard, S., la Reprise, op. cit.
- 3 ↑ Schopenhauer, A., le Monde comme volonté et comme représentation, trad. Burdeau, PUF, Paris, 1966.
- 4 ↑ Bergson, H., le Rire. Essai sur la signification du comique (1900), PUF, coll. Quadrige, Paris, 2000.
- 5 ↑ Gouhier, H., le Théâtre et l'existence, Vrin, Paris, 1973.
- 6 ↑ Nietzsche, F., Par-delà le bien et le mal, § 28, trad. H. Albert, revue par M. Sautet, le Livre de Poche, Paris, 1991.