classification
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin classis, pour « classe ». Du latin médiéval classificatio, « je fais (facio) des classes (classis) ». Le terme de « classification » apparaît au milieu du xviiie siècle.
On sait depuis Michel Foucault que classer ne consiste pas en une attitude passive face au monde et à sa représentation. Ainsi la recherche d'une articulation des êtres qui soit au plus près des desseins de la nature répond à l'un des plus anciens problèmes de la philosophie : comment accorder le multiple, l'effroyablement divers de la création des êtres naturels, et l'un, principe ou cause. L'histoire des classifications est aussi celle des principes requis pour penser la diversité des êtres qui sont dans le monde. Aristote, Leibniz puis les grands biologistes qui interviennent sur cette scène donnent avec l'idée de classification une justification de la création du monde qui est souvent de l'ordre de la rationalisation du divers.
Histoire des Sciences, Logique, Philosophie des Sciences
Opération de l'esprit consistant à ranger par catégories les multiples objets qui s'offrent à la connaissance de l'homme afin d'y mettre de l'ordre.
Si le terme n'apparaît qu'au xviiie s., l'activité de classification est pratiquée dès la philosophie grecque et semble être inhérente à la raison. Aristote est le premier philosophe à construire, par sa distinction des genres, des substances secondes (espèces) et des substances premières (êtres individuels), une classification ou un système de concepts qui permet d'élaborer une théorie de la définition : une substance seconde est définie par la mention du genre duquel elle relève et de la différence spécifique qui la caractérise(1). Par exemple, l'homme est un animal raisonnable. Quant à l'individu, si on peut le ranger sous telle espèce et sous tel genre en ce qu'il est le support de toute classification en genres et en espèces, il échappe toujours, en tant qu'être individuel, à une définition : on ne peut définir Socrate, mais on peut dire que Socrate est un homme (qu'il appartient à l'espèce homme et au genre animal).
Aristote, s'il est l'auteur des Catégories, est aussi l'auteur de la première histoire naturelle, qu'il a appelée les Parties des animaux. Il exprime ainsi, dans son œuvre, la corrélation d'un système logique de classification et d'une pratique effective de classification des êtres qui se double, comme toute classification, d'une hiérarchisation des êtres. Aristote distingue les êtres naturels (qui ont un principe interne de mouvement) des êtres artificiels (qui ont un principe externe de mouvement), puis, au sein des êtres naturels, il distingue les êtres animés (dotés d'une âme, c'est-à-dire d'un principe de vie) des êtres inanimés et, enfin, au sein des êtres animés, il sépare les espèces végétales (qui ont une âme seulement végétative ou nutritive) des espèces animales (qui ont une âme dotée en plus d'une fonction sensitive ou motrice, au sein desquelles il isole l'espèce humaine, qui est la seule à posséder une âme dotée d'une fonction rationnelle).
La classification devient aux xviie et xviiie s. une discipline à part entière, mais qui, paradoxalement, n'a pas de contenu disciplinaire : elle vise tout objet, aussi bien les êtres vivants, les concepts, les connaissances que les sciences, les arts ou les métiers. Elle répond, avec l'entreprise encyclopédique, au projet cartésien d'une mathesis universalis, d'une science universelle de l'ordre et de la mesure, dotée d'une double exigence d'unité (qui dit classification dit hiérarchie et unité donnée par l'objet premier ou la valeur première, que ce soit un être transcendant – Dieu [pour les métaphysiciens du xviie s.] ou l'Esprit ou la Raison [pour Hegel] – ou une science [les mathématiques, par exemple]) et d'exhaustivité – on cherche à classer tous les êtres vivants, d'où l'émergence de la taxinomie qui est la science de classification des êtres vivants.
Linné, au xviiie s., construit un système de classification qui est aujourd'hui encore incontournable(2). Il invente la classification des êtres par nomenclature binominale en latin (un substantif dont la première lettre est en majuscule pour le genre, un adjectif pour l'espèce : par exemple, tout botaniste reconnaît derrière Brassica rapa la plante qu'on appelle communément en français le chourave). Le système de Linné, qui donnait une langue pratique, simple et universelle aux botanistes, s'est révélé tellement économique qu'il s'est étendu à toutes les espèces, y compris les espèces paléontologiques (Homo habilis, par exemple). Cette extension du système de classification de Linné à la paléontologie s'explique par la proximité de la taxinomie et de la théorie de l'évolution : c'est au cours de la classification des Invertébrés et par sa mise en ordre que Lamarck a commencé à construire sa théorie de l'évolution(3). On pourrait dire la même chose de Darwin, qui a effectué pendant plusieurs années, lors de son voyage à bord du Beagle, un immense travail d'observation et de classification des espèces avant d'écrire l'Origine des espèces(4).
La classification permet dorénavant de ranger les êtres vivants selon une perspective synchronique, mais également diachronique. Aujourd'hui, la distinction des caractères apomorphes (évolués, dérivés) et plésiomorphes (ancestraux et primitifs) permet un raisonnement classificatoire et phylétique. Un caractère apomorphe indique que l'espèce s'est engagée dans une spécialisation, et cette dérive est irréversible : si les caractères apomorphes d'une espèce A n'existent pas chez une espèce plus récente B, alors A ne peut être à l'origine de B. Au contraire, un trait plésiomorphe est un trait archaïque au sens d'ancestral, il peut être retenu par une espèce, mais n'apporte pas d'information d'ordre phylétique : que les caractères plésiomorphes d'une espèce A existent ou n'existent pas chez une espèce plus récente B, on ne peut rien en conclure. Par exemple, Homo neandertalensis (espèce A) a le trait plésiomorphe d'une main à cinq doigts ou d'un pied à cinq orteils ; l'espèce actuelle du Cheval (espèce B) ne possède pas ce trait (il a un pied à seul doigt, caractère apomorphe), et Homo sapiens (autre espèce B), en revanche, le possède, mais aucune information classificatoire entre A et B n'émane de ces constats ; si, à présent, on appelle A l'espèce du Cheval archaïque qui vivait il y a 200 000 ans, cet ancêtre du Cheval actuel avait déjà le trait apomorphe d'un pied à un seul doigt, et, si l'on prend pour espèce B Homo neandertalensis (qui a vécu entre 150 000 et 30 000 ans) ou Homo sapiens (apparu il y a environ 120 000 ans), on en conclut que A, le Cheval archaïque, ne peut être à l'origine de B, Homo neanderthalensis ou Homo sapiens.
Véronique Le Ru
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Aristote, Les Catégories, trad. Tricot, Vrin, Paris, 1959 ; Les Parties des animaux, trad. J.-M. Leblond, livre premier, Aubier, Paris, 1945.
- 2 ↑ Linné, C. (von), L'équilibre de la nature, textes traduits par B. Jasmin, Vrin, Paris, 1972.
- 3 ↑ Lamarck, J.-B. (de), La philosophie zoologique, 1809, Garnier-Flammarion, Paris, 1994.
- 4 ↑ Darwin, Ch., L'origine des espèces, 1880, trad. E. Barbier, La Découverte, Paris, 1989.
- Voir aussi : Coppens, Y., Pré-ambules : les premiers pas de l'Homme, Odile Jacob, Paris, 1988.
- Mayr, E., « Classification », in Dictionnaire du darwinisme, PUF, Paris, 1996.
- Tort, P., La raison classificatoire, Aubier, Paris, 1989.
→ encyclopédie, encyclopédisme, méthode, ordre
Biologie
En biologie, distribution d'êtres naturels dans des classes logiques (ordre, genre, espèce, etc.).
L'essor des classifications du monde vivant au xviiie s. a ravivé les anciennes querelles des universaux. Nominalistes et essentialistes se sont opposés, les uns proposant des « systèmes » artificiels utilisant le moins de critères possibles et revendiquant des qualités heuristiques ; les autres décrivant des « méthodes », souvent « naturelles », réunissant le plus de critères possibles pour affirmer la naturalité des regroupements effectués.
La classification linnéenne (1758), dite « descendante », repose sur l'absence / présence d'un ensemble de caractères diagnostiques, et ne prend pas en compte une potentielle parenté.
La classification phylogénétique, s'appuyant sur l'hypothèse darwinienne d'ancêtre commun, reflète les parentés entre les organismes grâce à des critères morphologiques.
La méthode cladiste (W. Hennig, 1950) fonde sa classification sur des groupes dits « monophylétiques », c'est-à-dire comprenant tous les descendants d'un même taxon (groupe d'organismes désigné comme unité formelle dans un cadre classificatoire : classe, genre, famille, etc.) ancestral.
Les nouvelles méthodes d'investigation du vivant permettent de prendre en compte, entre autres, des caractères moléculaires qui complètent ainsi les données morphologiques.
Cédric Crémière
Notes bibliographiques
- Dagognet, Fr., le Catalogue de la vie. Étude méthodologique sur la taxinomie. PUF, Paris, 1970.
- Daudin, H., De Linné à Jussieu : méthodes de la classification et idée de série en botanique et en zoologie (1740-1790), F. Alcan, Paris, 1926 (Éditions des archives contemporaines, Montreux, 1983).
- Daudin, H., Cuvier et Lamarck : les classes zoologiques et l'idée de série animale (1790-1830), F. Alcan, Paris, 1926 (Éditions des archives contemporaines, Montreux, 1983).
- Simpson, G. G., « The principles of classification and a classification of mammals », in Bulletin of the American Museum of Natural History, 1945, 85 : 1-350.
- Tassy, P., l'Arbre à remonter le temps. Les rencontres de la systématique et de l'évolution, Bourgois, Paris, 1991.
- Tassy, P. (coord.), l'Ordre et la diversité du vivant, Fayard-fondation Diderot, Paris, 1986.