émotivisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Trad. de l'anglais emotivism.


Doctrine méta-éthique développée par A. J. Ayer et C. L. Stevenson. Dominante dans les années 1950, avec le prescriptivisme, elle reste l'une des positions majeures de la philosophie morale contemporaine.

Philosophie Contemporaine, Morale

Doctrine selon laquelle les jugements moraux expriment l'attitude du locuteur (approbation ou blâme) face à certains faits ou actes, et son intention de la faire partager. Il explique aisément la nature motivante des jugements moraux, mais rend problématique le statut du raisonnement pratique.

Dire : « C'est mal de voler », c'est manifester une intention, sincère ou non, d'agir et d'inciter les autres à agir. Les jugements moraux ont une force de motivation que les jugements de fait n'ont pas. L'émotivisme se présente comme la seule thèse apte à l'expliquer sans abolir la distinction entre fait et valeur, dont il soutient deux versions.

Motivation et croyance

En premier lieu, il affirme avec Hume(1) que les croyances seules, sans désir, n'ont aucune force de motivation. Les jugements moraux doivent donc exprimer, outre des croyances en certains faits (le vol désorganise la société), une attitude (l'approbation du lien social).

Se pourrait-il toutefois que le jugement moral énonce un type particulier de faits : nos désirs ? « Il est bon de lapider les voleurs » pourrait signifier : « Il est désirable pour le plus grand nombre que les voleurs soient lapidés » (utilitarisme). C'est l'option du naturalisme éthique qui fait de l'éthique une science empirique.

L'irréductibilité de l'éthique

L'émotivisme répond par une seconde version de la distinction entre fait et valeur : l'argument de la question ouverte, repris à G. E. Moore(2). Supposons qu'un acte soit désirable pour le plus grand nombre : la question de savoir s'il est bon reste ouverte. « Bon » n'est donc pas analytiquement équivalent à « désirable pour le plus grand nombre ». Cette difficulté vaut pour toute analyse des termes éthiques en termes factuels.

L'argument de Hume permet à l'émotivisme de rejeter la conclusion de Moore (les jugements moraux énoncent des faits non naturels – cf. « Intuitionnisme ») et de réaffirmer que les jugements moraux n'ont pas de valeur cognitive. « Le vol est puni par la loi », « le vol me dégoûte » énoncent des faits, vrais ou faux. Mais « c'est mal de voler » n'est qu'en apparence l'énoncé d'un fait. Il équivaut à « à bas le vol ! », qui n'est ni vrai ni faux.

L'émotivisme explique ainsi la motivation morale sans recourir à une raison pratique, et maintient la distinction entre fait et valeur en évitant les difficultés de l'intuitionnisme.

Le problème de la rationalité pratique

Selon l'émotivisme, on ne discute que des faits (« c'est mal de voler, mais je n'ai pas volé ») ou de la cohérence d'un système éthique (« c'est mal de voler, donc c'est mal de voler les riches »). P. T. Geach a toutefois objecté au second point le problème dit « des contextes non assertifs »(3). Dans des énoncés comme : « si c'est mal de voler, alors c'est mal de voler les riches », le locuteur emploie un terme éthique sans endosser l'attitude correspondante : il peut dire cela et approuver le vol. Mais si c'est le fait d'endosser une attitude qui donne à ce terme sa signification, alors de cet énoncé on ne peut déduire cet autre : « c'est mal de voler les riches », où la signification de « mal » ne serait plus la même. L'émotivisme rend donc difficilement compte de la logique de type cognitif que nous appliquons aux jugements moraux.

De plus, l'émotivisme ne semble pas être en mesure de distinguer propagande et argumentation rationnelle dans la résolution des conflits de valeur. Il diminue plutôt la place de ceux-ci, affirmant que les membres d'une même communauté réagissent de la même façon aux mêmes choses. Mais il reste que les valeurs ne sont pas rationnelles.

Julien Dutant

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Hume, D., Traité de la nature humaine, livre III, I, 1.
  • 2 ↑ Moore, G. E., Principia Ethica (1903), Cambridge, Univ. Press, trad. fr. 1998, PUF, Paris.
  • 3 ↑ Geach, P. T., « Assertion », Philosophical Review, 74 (4), 1965, pp. 449-465.
  • Voir aussi : Ayer, A. J., Language, Truth and Logic, chap. 6, Gollancz, Londres, 1936.
  • Stevenson, C. L., Ethics and Language, Yale Univ. Press, New Haven, 1944.
  • Gibbard, A., Wise Choices, Apt Feelings, Mass., Harvard Univ. Press, Cambridge, 1990, trad. « Sagesse des choix, justesse des sentiments », PUF (répond aux objections faites à l'émotivisme), Paris, 1996.

→ descriptivisme et expressivisme, externalisme et internalisme, intuitionnisme, prescriptivisme