coexistence pacifique

Nikita Khrouchtchev
Nikita Khrouchtchev

Principe selon lequel deux États ou groupes d'États, aux idéologies opposées, acceptent de ne pas entrer en conflit armé.

1. Portée de la coexistence pacifique

Au delà de son sens général, le terme de coexistence pacifique s’applique avant tout à la doctrine politique soviétique prônant l'abandon de la course aux armements et des perspectives de confrontation militaire avec les pays capitalistes tout en maintenant le combat contre ceux-ci sur les plans idéologique, scientifique, culturel et économique.

1.1. Priorité à la négociation

La formule fut lancée par Khrouchtchev au XXe Congrès du parti communiste de l'URSS (PCUS) en février 1956. Selon le dirigeant soviétique, il fallait que les pays ayant des systèmes sociaux différents apprennent à vivre ensemble sur la planète, à « coexister » pacifiquement : « La reconnaissance de deux systèmes différents, la reconnaissance à chaque peuple du droit de régler lui-même tous les problèmes politiques et sociaux de son pays, le respect de la souveraineté et l'application du principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures, le règlement de tous les problèmes internationaux au moyen de pourparlers, voilà ce qu'implique la coexistence pacifique sur une base raisonnable ».

1.2. Maintien de la lutte

Mais, dans l'esprit de Khrouchtchev, cette nouvelle ligne de la politique étrangère ne signifiait ni que l'URSS renonçait à son idéologie, ni qu'elle abandonnait sa lutte contre le capitalisme. La fin restait la même, mais pas les moyens employés pour y parvenir : « Quant aux questions idéologiques, nous nous en sommes tenus et nous nous en tiendrons, inébranlables tel un roc, aux principes du marxisme-léninisme. […] Nous, citoyens d'États socialistes, nous n'approuvons pas le régime capitaliste et l'idéologie bourgeoise. Mais, il nous faut vivre en paix et régler les problèmes internationaux qui se présentent par des moyens pacifiques seulement ».

La coexistence pacifique ouvrit la voie à une nouvelle ère dans les relations internationales. À la guerre froide succéda la détente (1962-1975), période durant laquelle les rapports américano-soviétiques connurent une certaine embellie.

2. Les causes de la coexistence pacifique

2.1. De nouvelles conditions internationales

L'adoption par l'URSS de la doctrine de la coexistence pacifique s'explique par divers facteurs : changement du personnel politique en URSS (mort de Staline en 1953, remplacé par Khrouchtchev), émergence du tiers-monde et du mouvement des non-alignés (conférence de Bandung en 1955), fin des conflits armés en Corée (1953) et en Indochine (1954), départ des Soviétiques d'Autriche (1955).

2.2. L'impasse stratégique et militaire

Mais ce sont surtout les causes stratégiques et militaires qui sont à l'origine de ce revirement : après la Seconde Guerre mondiale, les Américains étaient les seuls à posséder l'arme atomique, ce qui leur conférait une supériorité militaire sans précédent. Les Soviétiques mirent fin à ce monopole en se dotant de la bombe A (1949), de la bombe H (1953), puis en lançant Spoutnik (1957), ce qui eut un retentissement considérable aux États-Unis.

Étant parvenus à un niveau technologique équivalent, les deux Grands se devaient, pour éviter un affrontement nucléaire général, de cohabiter et de reconnaître leurs sphères d'influence respectives.

2.3. La coexistence pacifique à l'épreuve des faits (1956-1962)

Mais les effets de cette nouvelle politique ne furent pas immédiats. Si, après 1956, les contacts entre l'Est et l'Ouest se multiplièrent (voyage de Khrouchtchev aux États-Unis en 1959, rencontre de celui-ci à Vienne avec le président américain John F. Kennedy en 1961), l'épreuve de force se poursuivit (répression de l'insurrection hongroise par les chars russes en 1956, érection du mur de Berlin en 1961) et en 1962, la tension américano-soviétique atteignit son paroxysme avec la crise de Cuba qui fit craindre à tous un affrontement nucléaire généralisé. À cette date-là, la coexistence pacifique cessa d'apparaître comme un thème ou un argument de propagande, et il devint évident qu'elle était une nécessité qu'il fallait absolument traduire dans les faits.

2.4. Les conséquences de la rupture sino-soviétique (1962)

Un autre événement survint alors : la rupture sino-soviétique, entamée dès la fin des années 1950 et portée sur le devant de la scène internationale en 1962. Cette question était d'autant plus préoccupante pour les Soviétiques que, le 16 octobre 1964, les Chinois avaient fait éclater leur première bombe atomique (fabriquée sans l'aide de l'URSS). Craignant que les Chinois ne fassent usage d'une arme nucléaire sur laquelle ils n'exerceraient aucun contrôle, les Soviétiques préférèrent s'entendre avec leurs ennemis – les Américains –, plutôt que de traiter avec la Chine, ce qui aurait risqué de bouleverser l'équilibre entre les deux superpuissances.

2.5. Doctrine transitoire ou nouveau partage du monde ?

Mais, pour les dirigeants du Kremlin, cette nouvelle politique soumise à une logique nucléaire ne devait pas, à terme, mener à la réconciliation avec le camp adverse. L'URSS ne renonçait ni à sa lutte contre le système capitaliste ni à l'expansion de sa sphère d'influence. La coexistence pacifique n'était pas la paix, mais une doctrine transitoire dictée par les circonstances du moment : c'était la poursuite de la guerre froide sous une autre forme. Les Américains, en revanche, percevaient la coexistence pacifique comme une nouvelle forme de partage du monde dans la continuité de Yalta, chaque pays restant maître dans la sphère d'influence qui était la sienne.

3. Les aspects de la coexistence pacifique : la détente (1962-1975)

Après la crise de Cuba, les relations américano-soviétiques s'améliorèrent. Dès juin 1963, un « téléphone rouge » fut instauré entre la Maison Blanche et le Kremlin, permettant aux deux Grands de maintenir un lien permanent afin d'éviter le déclenchement d'une guerre nucléaire par « accident ». Les deux Grands signèrent par la suite toute une série d'accords stratégiques et militaires visant à limiter la course aux armements, ainsi que d'autres concernant les domaines politiques et économiques. Cette nouvelle phase des relations internationales qui succède à la guerre froide est appelée « la détente ».

3.1. Les accords de désarmement

Les accords de Moscou (1963)

Les accords de Moscou signés le 5 août 1963 par les ministres des Affaires étrangères de l'Union soviétique, du Royaume-Uni et des États-Unis furent les premiers à proscrire les essais nucléaires (à l'exception cependant des essais souterrains).

Le traité de non-prolifération nucléaire (1968)

Ils furent suivis par un traité de non-prolifération (TNP) des armes nucléaires (1968) qui interdisait aux détenteurs de l'arme nucléaire de fournir à quelqu'État que ce soit des armes de ce type, des composantes ou des matières premières permettant d'en construire, ou d'inciter les États qui n'en n'étaient pas dotés à en fabriquer. Ces derniers s'engageaient, de leur côté, à ne pas chercher à produire ou à acquérir ces armes. Le traité favorisait également le développement du nucléaire civil. Il ne fut signé ni par la France, ni par la Chine, ni par l'Inde.

Les accords SALT I (1972) et SALT II (1979)

Les accords SALT (Strategic Arms Limitations Talks) furent conclus le 26 mai 1972 par Richard Nixon et Leonid Brejnev dans un tout autre contexte. En raison des progrès considérables de la technologie – telle la mise au point des missiles anti-missiles et des missiles à tête multiple (les MIRV, Multiple Independently Targeted Return Vehicle) –, la préoccupation principale des négociateurs fut de limiter l'armement stratégique.

Le fait que l'apparition de nouvelles armes n'entraint pas dans les catégories définies par SALT I conduisit les dirigeants soviétiques et américains à ouvrir de nouvelles négociations en 1973. Elles aboutirent en 1979 à la signature des accords SALT II, que le Sénat américain refusa de ratifier, en raison notamment de l'invasion de l'Afghanistan par les troupes soviétiques.

3.2. Les accords politiques et commerciaux

L'Ostpolitik (1970-1973)

En Europe, la coexistence pacifique se manifesta par la politique d'ouverture à l'Est, l’Ostpolitik, menée par le chancelier allemand Willy Brandt : en 1970, Bonn concluait avec l'URSS, puis avec la Pologne, des traités qui reconnaissaient définitivement la ligne Oder-Neisse comme frontière occidentale de la Pologne. En 1972, le traité fondamental organisait les relations entre la RFA et la RDA : les deux États se reconnaissaient mutuellement et échangeaient des représentations diplomatiques permanentes. L'année suivante, les deux Allemagnes étaient admises simultanément à l'ONU.

Le rapprochement sino-américain (1971-1972)

En Asie, la détente permit le rapprochement entre Pékin et Washington. En 1971, la Chine populaire entra à l'ONU et, l'année suivante, le président américain Richard Nixon se rendit en Chine.

Les accords d'Helsinki (1975)

Mais c'est en 1975, avec les accords d'Helsinki, que la détente atteignit son apogée. Signés à l'issue de la première session de la Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE) par 35 pays dont l'URSS, les États-Unis, le Canada et tous les États européens (à l'exception de l'Albanie), ces accords reconnaissaient l'inviolabilité des frontières des États participants ainsi que leur intégrité territoriale.

Les signataires s'engageaient également à respecter les droits de l'homme et les libertés fondamentales, à développer la coopération, surtout dans les domaines de l'économie, de la science et de la technique, de l'environnement, de l'aide humanitaire, de la culture et de l'éducation.

Les accords commerciaux

Cette entente fut complétée par des accords commerciaux entre l'Est et l'Ouest, notamment entre les États-Unis et l'URSS : le commerce entre les deux pays décupla entre 1970 et 1975, les États-Unis livrant des céréales et des produits industriels non stratégiques, l'URSS, du pétrole. Quant aux autres pays du bloc communiste, ils bénéficièrent de crédits provenant des pays occidentaux.

4. Les limites de la coexistence pacifique et la fin de la détente

4.1. Les conflits périphériques

Toutefois, malgré cette très nette amélioration des relations entre les deux blocs, de nouveaux conflits vinrent alimenter les tensions : guerre du Viêt Nam (1964-1973) en Asie du Sud-Est, guerres des Six-Jours (1967) et du Kippour (1973) au Proche-Orient (→ guerres israélo-arabes).

Parallèlement, l'URSS maintenait fermement son emprise sur sa sphère d'influence en Europe : en 1968, elle envoya les forces du pacte de Varsovie à Prague (Tchécoslovaquie) pour mettre fin au régime libéral d'Alexander Dubček ; elle appliquait ainsi sa doctrine de la « souveraineté limitée » qui justifiait une intervention armée dans le bloc soviétique si le communisme y était menacé.

Les intérêts des deux Grands s'opposèrent également au Cachemire (1965-1966) et au Bangladesh (1971).

4.2. Le retour à la guerre froide

Mais ce fut surtout à partir de 1979 que les rapports américano-soviétiques se dégradèrent, du fait, d'une part, de l'installation par les Américains de fusées Pershing et de missiles de croisière en Europe occidentale et, d'autre part, de l'invasion de l'Afghanistan – pays qui n'appartenait pas au pacte de Varsovie – par les Soviétiques. C'était la fin de la détente et le retour de la guerre froide.

4.3. Bilan de la coexistence pacifique

Les profits retirés de la coexistence pacifique par les États-Unis furent sans doute moins importants que ceux retirés par l'URSS.

Pour l'URSS

En effet, tout en renforçant son arsenal stratégique et en bénéficiant des apports technologiques et commerciaux de l'Ouest, l'URSS développait son économie, étendait sa sphère d'influence dans le tiers-monde et soutenait les mouvements contestataires occidentaux. Les objectifs de l'URSS restaient les mêmes – lutte contre le capitalisme et exportation du communisme –, la stratégie, seule, avait changé. Il s'agissait d'éviter que n'éclate une Troisième Guerre mondiale.

Pour les Occidentaux

Ces déséquilibres, qui s'accrurent au cours des années 1970, conduisirent un certain nombre d'Occidentaux à se méfier de la stratégie russe et à la percevoir finalement comme un marché de dupes.