République tchèque : vie politique depuis 1993

Vue des ponts de Prague
Vue des ponts de Prague

1. La partition de la Tchécoslovaquie

Pendant les années qui suivent la « révolution de velours » de 1989, l'inégalité entre les parties tchèque et slovaque du pays se fait de plus en plus sentir. Moins riche, la Slovaquie est également traversée par un mouvement de réformes politiques. Le chef du gouvernement slovaque, Vladímir Mečiar, leader du Mouvement pour la Slovaquie démocratique (HZDS), se prononce en faveur d'un cadre confédéral, puis, en juillet 1992, avance l'idée de la création de deux républiques indépendantes.

Son homologue tchèque, Václav Klaus, leader du parti civique démocrate (ODS), issu du Forum civique, ne s'y oppose pas et accélère le processus de séparation. Ainsi, en novembre 1992, le Parlement fédéral vote la dissolution de la République fédérative tchèque et slovaque à compter du 31 décembre 1992 : l'indépendance de la République tchèque est proclamée le 1er janvier 1993.

2. La présidence de Václav Havel (1993-2003) et l'ancrage occidental

Le 2 janvier 1993, Václav Havel, ancien président de la Fédération tchécoslovaque, est élu à la présidence du nouvel État. Le chef de l’exécutif a cependant des prérogatives limitées et c’est le Premier ministre, V. Klaus, leader de l'ODS, qui engage le pays dans un processus de réformes économiques ultralibérales, dont la mise en place est d'autant plus efficace que la séparation d'avec la Slovaquie permet à la République tchèque de s'ancrer plus facilement à l'Europe occidentale.

Pendant les trois premières années, les bons indicateurs macroéconomiques, la stabilité de la monnaie, le développement d'un secteur privé et une croissance soutenue permettent de qualifier la République tchèque de « bon élève » de la transition.

2.1. Un régime parlementaire stable

Mais, dès 1995-1996, le pays est agité par des mouvements sociaux et des grèves qui profitent au parti social-démocrate tchèque (ČSSD) ainsi qu'à son leader, Miloš Zeman. L'année 1997 est celle d'une grave crise politico-financière : en effet, n'ayant pu éviter une dévaluation de la couronne ni empêcher le départ des ministres des Finances, de l'Industrie et de l'Intérieur, V. Klaus annonce de nouvelles mesures d'austérité, lorsque, mis en cause dans une affaire de financement occulte de son parti, il est contraint de démissionner, entraînant la chute du gouvernement en novembre.

Peu après sa démission, plusieurs membres de l'ODS font dissidence et forment l'Union de la liberté (US) ; V. Hável désigne Joseph Tosovsky pour former un nouveau gouvernement et charge celui-ci de préparer les élections législatives anticipées prévues en juin 1998. Ces dernières sont remportées par le ČSSD de M. Zeman (32,3 %), mais les partis de droite – ODS du Premier ministre sortant, V. Klaus, et l'Union de la liberté (US) – restent majoritaires au Parlement avec 82 sièges. En juillet, M. Zeman et V. Klaus décident de faire alliance pour contrer le président V. Havel (réélu à la tête de l'État en janvier), qui appelait de ses vœux une coalition ČSSD-KDU-US. Finalement, le 22 juillet, le président nomme les membres du gouvernement du Premier ministre M. Zeman. Minoritaire au Parlement (où il ne dispose que de 74 sièges sur 200), le gouvernement Zeman sort encore affaibli des élections sénatoriales de novembre, en ne remportant que 3 des 27 sièges soumis à renouvellement.

L'année 1999 voit la multiplication des signes de lassitude de la population, touchée par une récession brutale, déçue par les maigres résultats du gouvernement et par son alliance avec l'ODS, lassée par la corruption, les malversations financières et la criminalité économique. Les Tchèques célèbrent dans la morosité les dix ans de la « révolution de velours » et, à partir de novembre, manifestent pour réclamer la démission de leurs dirigeants et l'organisation d'élections anticipées.

Les élections législatives des 14 et 15 juin 2002 voient la victoire du parti social-démocrate (ČSSD) – conduit depuis avril 2001 par Vladimír Špidla –, qui obtient 70 sièges devant son principal rival, l'ODS de V. Klaus (58 sièges). La surprise est créée par le parti communiste (KSČM), qui devient la troisième force politique du pays avec 18,5 % des suffrages et 41 sièges. V. Špidla forme un nouveau gouvernement avec les chrétiens démocrates du KDU-ČSL et les libéraux de l'Union pour la liberté, ces deux formations s'étant réunies au sein de Koalice (Coalition).

Sur le plan extérieur, la République tchèque est, avec la Hongrie et la Pologne, l'un des trois premiers États issus de l'ex-bloc communiste à entrer dans l'Alliance atlantique (12 mars 1999). Les négociations d'adhésion à l'Union européenne progressent : Prague demande une vingtaine de périodes transitoires (dont dix ans pour l'achat de terres et de forêts par des étrangers) et, conformément à un accord signé avec l'Autriche (décembre 2001), s'engage à appliquer dans la centrale nucléaire de Temelín les recommandations de sécurité formulées par l'Union européenne.

3. La présidence eurosceptique de Václav Klaus (2003-2013)

Après treize ans et un mois de règne, l'ex-dissident V. Havel quitte ses fonctions le 2 février 2003. Le 28, après deux scrutins infructueux, le Parlement élit le candidat de l'ODS, Václav Klaus, grâce au soutien d'une dizaine de sociaux-démocrates et à celui de la majorité des communistes, par 142 voix contre 124 au candidat de la coalition gouvernementale, Jan Sokol, philosophe, chrétien et ex-dissident.

3.1. L'adhésion à l'Union européenne

Václav Klaus déclare aussitôt son opposition à la guerre en Iraq, allant ainsi à contre-courant de son prédécesseur, qui a signé le mois précédent, à titre personnel, la « Lettre des Huit » soutenant la coalition américano-britannique. Opposé à l'euro et au processus d'intégration politique, le nouveau président ne donne pas de consigne de vote à ses concitoyens lors du référendum des 13 et 14 juin sur l'adhésion de la République tchèque à l'Union européenne. Approuvée par 77,3 % de « oui », elle devient effective le 1er mai 2004. Toutefois, lors de l'élection de leurs 24 députés au Parlement européen cinq semaines plus tard, les quelques Tchèques qui participent (72 % d'abstention) votent majoritairement pour des partis et des listes eurosceptiques – l'ODS (9 sièges), le parti communiste (6 sièges), l'Association des indépendants-démocrates chrétiens (3 sièges) – et sanctionnent très sévèrement la coalition gouvernementale de centre gauche proeuropénne, qui peine à obtenir 4 sièges.

V. Špidla est contraint de démissionner de ses fonctions de chef du parti social-démocrate (ČSSD) et du gouvernement, provoquant ainsi la chute de son cabinet. Stanislav Gross, ministre de l'Intérieur et leader de l'aile gauche du ČSSD, forme un nouveau gouvernement sur la base de l'ancienne coalition de centre gauche, malgré sa fragilité.

Une nouvelle défaite des sociaux-démocrates lors des élections régionales et sénatoriales de novembre (à l'issue desquelles l'ODS dispose désormais de 36 sénateurs), puis des révélations sur la provenance douteuse de la fortune personnelle du Premier ministre plongent, dès février 2005, le pays dans une grave crise politique s'achevant, le 24 avril, par la démission de S. Gross. Le vice-président du ČSSD, Jiří Paroubek, lui succède à la tête d'un cabinet presque identique au précédent.

3.2. De fragiles coalitions de centre droit

Les élections législatives de juin 2006 voient la courte victoire de l'ODS et de son leader Mirek Topolánek avec 35,3 % des voix devant le ČSSD (32,3 %). Les communistes obtiennent 12,8 % des voix, les chrétiens-démocrates (KDU-ČSL), 7,22 %, suivis des écologistes (Strana Zelených, SZ) qui, en atteignant 6,2 % des voix, sont les premiers à faire leur entrée au Parlement dans un ancien pays communiste d'Europe centrale. Fait unique, la Chambre basse comporte, à gauche comme à droite, cent députés. Refusant de s'associer aux sociaux-démocrates pour former une grande coalition selon le modèle allemand, Mirek Topolánek constitue, en septembre, un gouvernement minoritaire ODS, mais sa tentative échoue dès octobre à la suite du refus des députés de lui accorder leur confiance.

Sortie renforcée des élections sénatoriales, à l'issue desquelles elle détient désormais la majorité absolue, l'ODS est à nouveau chargée de former un gouvernement. En janvier 2007, à la suite d'un accord de coalition ODS-KDU-ČSL-SZ, Mirek Topolánek parvient à constituer un gouvernement de centre droit, aussitôt investi. Le gouvernement met en œuvre un projet de réforme budgétaire, fiscale et sociale, nécessaire pour pouvoir prétendre entrer dans la zone euro en 2012. Il est toutefois rapidement fragilisé, à la suite des élections régionales et sénatoriales d'octobre 2008, qui voient l'opposition social-démocrate victorieuse dans les 13 régions en jeu et l'ODS perdre la majorité au Sénat. Quelques jours plus tard, il échappe, à une voix près, à la motion de censure votée par la Chambre basse.

Alors que la République tchèque est le dernier pays de l'Union européenne à ne s'être pas encore prononcé sur l'adoption du traité de Lisbonne, la Cour constitutionnelle juge le texte conforme à la loi fondamentale tchèque en novembre 2008. Toutefois, Mirek Topolánek (réélu à la tête de l'ODS), obligé de ménager l'importante aile eurosceptique de sa formation tout en parvenant à une sorte de marchandage avec l'opposition, repousse la ratification du texte européen à laquelle il est personnellement favorable.

Réélu pour un second quinquennat en février 2008, le président Václav Klaus affiche, en revanche, résolument son opposition à la Constitution européenne, se présentant comme un « dissident » de l'UE, dont il est le seul chef d'État à refuser d'arborer le drapeau communautaire dans son bureau. C'est dans ce contexte que la République tchèque accède à la présidence de l'UE en janvier 2009, tout en devant faire face à la situation créée par l'offensive israélienne dans la bande de Gaza et à une nouvelle crise du gaz entre la Russie et l'Ukraine.

Une motion de censure déposée par l'opposition sociale-démocrate (mars 2009) renverse le fragile gouvernement de coalition et sanctionne le Premier ministre Mirek Topolánek pour ses interventions dans les affaires judiciaires et les médias. Contraint de démissionner, M. Topolánek est remplacé par Jan Fischer, dirigeant de l'Institut tchèque des statistiques. Au terme d'un accord entre les principaux partis politiques, cet économiste sans étiquette forme un gouvernement intérimaire d'experts pour mener à terme la présidence tchèque de l'UE et gérer le pays jusqu'aux élections législatives anticipées prévues à la mi-octobre.

Largement boudées par les électeurs (71,81 % d'abstention), les élections européennes des 5 et 6 juin 2009 consacrent la victoire de l'ODS de l'ex-Premier ministre Mirek Topolánek avec 31,45 % des voix (9 sièges). Les électeurs sanctionnent le ČSSD qui ne recueille que 22,38 % des suffrages (7 sièges). Avec 14,18 % des suffrages, les communistes (KSČM) obtiennent 4 sièges, devant les chrétiens démocrates du KDU-ČSL, 7,65 % (2 sièges). Les écologistes (Strana Zelených, SZ), qui n'obtiennent que 2,05 % des voix, sont les grands perdants du scrutin

À l'issue des élections législatives des 28-29 mai 2010, les deux grandes formations traditionnelles arrivent en tête mais perdent 41 sièges à elles deux : le parti social-démocrate (ČSSD) de J. Paroubek obtient 56 sièges (22 % des voix, son plus mauvais score depuis 1996) et l'ODS, mené par Petr Nečas, 53 sièges (20,2 % des voix). Le parti communiste (KSČM) de Vojtech Filip, parvient à conserver ses 26 sièges (11,3 %). TOP 09 (Tradition, Responsabilité, Prospérité 09) – un parti pro-européen et ultra-libéral créé récemment par le prince Karel Schwarzenberg (ex-ministre des Affaires étrangères) – sait mobiliser les jeunes générations en renouvelant le discours politique et recueille 41 sièges (16,7 %).

Petr Nečas, le leader de l’ODS, réussit à constituer avec TOP 09 et VV, le parti Affaires publiques (24 sièges, 10,9 % des suffrages) une majorité de coalition (118 sièges à la Chambre basse) approuvée par le président V. Klaus. Constitué en juillet 2010, le nouveau gouvernement (dans lequel K. Schwarzenberg retrouve les Affaires étrangères), se définit comme un cabinet « de responsabilité budgétaire et de lutte contre la corruption » et se fixe pour objectif de ramener le déficit public en-deçà de 3 % du PIB en 2013, grâce à la mise en œuvre de mesures d’austérité (réduction des dépenses courantes des ministères, suppression des subventions et gel des salaires dans la fonction publique). Mais, tiraillé par des dissensions internes, éclaboussé par des affaires de corruption, de mauvaise gestion et de malversations, il connaît une impopularité croissante et se heurte, à partir de juin 2011, à une mobilisation sociale croîssante contre ses projets de réforme.

Le gouvernement poursuit cependant dans la voie de la rigueur mais ne s’associe pas au « pacte fiscal » européen signé par 25 États de l’UE en mars 2012, considérant qu’il en remplit déjà les critères en maîtrisant ses comptes publics. En octobre 2012, infligeant une lourde défaite à l’ODS, les sociaux-démocrates du ČSSD remportent largement les élections régionales avec 30,37 % des suffrages, suivis des communistes du KSČM (26,96 %), une victoire confirmée aux élections sénatoriales partielles qui ont lieu en parallèle.

4. La présidence de Miloš Zeman et la montée de la défiance

En janvier 2013, après l’adoption en 2012 d’un amendement constitutionnel, l’élection présidentielle se déroule pour la première fois au suffrage universel direct. Ce scrutin met ainsi fin à la présidence controversée de V. Klaus – dont l'impopularité s'est encore accrue à la suite de l’amnistie décrétée et cosignée par le Premier ministre à l’occasion du 20e anniversaire de l’indépendance de la République tchèque : concernant quelque 7 000 détenus et annulant certaines procédures judiciaires en cours, elle est jugée trop clémente pour les auteurs de malversations financières et fragilise la coalition au pouvoir qui survit à une cinquième motion de censure depuis son entrée en fonctions. Les 25-26 janvier, deux candidats proeuropéens s’affrontent au second tour de scrutin : l’ancien Premier ministre social-démocrate Miloš Zeman l’emporte avec près de 55 % des voix face à son adversaire de droite, le prince Karel Schwarzenberg. Mais en juin-août, une nouvelle crise politique provoquée par la démission du Premier ministre Petr Nečas, à la suite de l’inculpation de sa chef de cabinet Jana Nagyova pour corruption et abus de pouvoir, conduit à l’autodissolution de la Chambre qui a refusé auparavant sa confiance au nouveau gouvernement de Jiří Rusnok. Ce dernier est chargé d’expédier les affaires courantes dans l’attente des élections anticipées prévues en octobre.

4.1. Une alternance sans adhésion

Les élections législatives des 25-26 octobre (qui ne mobilisent que 59 % des électeurs) se soldent par la défaite cinglante de l’ODS qui s’effondre (7,7 % des voix, 16 députés) et par la courte victoire des sociaux-démocrates du ČSSD qui recueille 20,45 % des suffrages et 50 sièges. Mais ces derniers sont talonnés par le mouvement Action des citoyens mécontents (ANO) créé par l’homme d’affaires d’origine slovaque Andrej Babiš qui, avec près de 19 % des voix et 47 sièges, devance le parti communiste (15 % des suffrages et 33 députés). Le vote protestataire – qui se traduit aussi par l’entrée au Parlement d’une autre formation populiste, Usvit (Aube de la démocratie directe, 14 sièges), de l’entrepreneur tchéco-japonais Tomio Okamura – progresse ainsi fortement au sein d’une population lassée par les affaires de corruption et l’austérité. Avec près de 7 % des voix et 14 députés, les chrétiens-démocrates reviennent à la chambre dont ils avaient été chassés en 2010, tandis que TOP 09 parvient à limiter sa chute en conservant 26 sièges. Dans cette nouvelle configuration, la formation d’une coalition s’avère longue et ardue. Après la signature d’un accord de gouvernement par le parti social-démocrate, le mouvement ANO et les chrétiens-démocrates, un nouveau cabinet de coalition dirigé par Bohuslav Sobotka, président du ČSSD, est finalement nommé par M. Zeman le 2 janvier 2014. Ne mobilisant que 20 % des électeurs, les élections européennes de mai confirment les équilibres des précédentes législatives : l'ANO, TOP 09 et les sociaux-démocrates obtiennent 4 sièges chacun, devant les communistes, le KDU-ČSL (3 sièges chacun) et l'ODS (2 sièges).

4.2. La percée populiste et l’effondrement des sociaux-démocrates

Les élections législatives d’octobre 2017 sont marquées par une nouvelle progression du vote protestataire et nationaliste qui se traduit en premier lieu par la percée du parti ANO d’A. Babiš qui vient largement en tête du scrutin avec près de 30 % des suffrages et 78 sièges devant l’ODS (11,3 % et 25 sièges). De plus, ce dernier est talonné par l’extrême droite représentée par « Liberté et démocratie directe », nouveau parti islamophobe et antieuropéen de T. Okamura qui, avec 10,6 % des voix, obtient 22 sièges, à égalité avec le parti pirate fondé en 2009 (10,7 %), autre formation bousculant également la scène politique tchèque. Sévèrement sanctionnés, les sociaux-démocrates du ČSSD s’effondrent avec 7,2 % des suffrages et 15 députés, autant que le parti communiste. Viennent ensuite les chrétiens-démocrates (KDU-ČSL, 10 sièges), TOP 09 et le mouvement des maires et indépendants (STAN).

Mis en cause dans une affaire de détournement présumé de subventions européennes, A. Babiš doit former un gouvernement minoritaire en décembre mais ne parvient pas à obtenir la confiance de la Chambre des députés malgré le soutien que lui apporte le président de la République.

Très controversé pour ses prises de position de plus en plus populistes et eurosceptiques (en particulier concernant la politique migratoire), affichant son admiration pour le président américain Donald Trump tout en prônant un rapprochement avec la Russie, M. Zeman est réélu pour un second mandat le 27 janvier 2018.

Andrej Babiš reste à son poste et se tourne vers les sociaux-démocrates et les communistes pour trouver un appui parlementaire.