C'est ainsi qu'un hebdomadaire profane, le Matin-Magazine, n'a pas hésité à consacrer huit pages à ce qu'il appelle « le pouvoir protestant » en France. On y lit que, depuis longtemps implantés dans les grands corps de l'État, les ambassades ou les entreprises publiques, les protestants ont investi, en douceur, les instances du nouveau pouvoir. Leur flirt avec la gauche française ne relève pas de l'opportunisme : de tradition républicaine, ils ont toujours nourri les thèses socialistes. « Cette communauté de 2,3 millions de membres (chiffres un peu optimistes) reste une minorité nostalgique qui défend son droit à la différence. »

En prise sur les questions sociales et politiques, les protestants n'ont cessé de l'être au cours des derniers mois de l'année 1982, non point tant par souci de faire de la politique qu'à cause de l'exigence attachée à leur conviction religieuse qui les rend, avec tous, coresponsables du monde dans lequel ils vivent.

Pacifisme

Ils ont donc été amenés à prendre position, par exemple sur la question de l'école privée, en rappelant leur attachement à la laïcité de l'État et en estimant que la querelle école publique-école privée était une querelle dépassée, dans la mesure où l'essentiel reste la nécessité de repenser l'ensemble des problèmes scolaires dans le pays ; mais aussi sur le problème de l'invasion du Sud-Liban par Israël et, dans un télégramme qu'elle a adressé le 1er juillet 1982 à M. Begin, la Fédération protestante de France (qui regroupe une grande partie du protestantisme français) le suppliait de « renoncer à poursuivre l'action militaire à Beyrouth » et demandait « à Dieu de vous donner d'être un artisan de la paix ».

Être « artisan de la paix », cela signifie également s'engager personnellement dans une démarche en faveur de la paix, et si les protestants français, contrairement à leurs homologues allemands ou hollandais, se sont peu mobilisés pour participer aux manifestations pacifistes, ils n'en ont pas moins approuvé, dans leur majorité, la prise de position d'une Église sœur à Tahiti qui, cet été 1982, a demandé au gouvernement français l'arrêt des expériences nucléaires au centre de Mururoa, et invité tous les fidèles à s'associer activement au Dimanche de la paix, le 12 décembre.

Identité

L'attention portée aux problèmes contemporains n'épuise pas le champ de réflexion du protestantisme français. Une fois de plus, cette année, il a eu l'occasion de s'interroger sur son identité. Certains n'hésitent pas à affirmer qu'une trop bonne intégration dans la société risque de lui faire perdre sa saveur propre, d'autant que l'effritement démographique qu'il subit depuis plusieurs années pourrait l'amener à se replier sur lui-même. Qu'est-ce qu'être protestant aujourd'hui ? demeure une question permanente et ouverte, face notamment à un catholicisme bien différent de celui du xvie siècle, qui a vu naître la Réforme.

Tentés comme tout ce qui est français, de ne lire l'histoire qu'à partir de l'Hexagone, les protestants ont néanmoins suivi avec intérêt les travaux de l'Alliance réformée mondiale (ARM), organisation internationale qui regroupe 150 Églises réformées, représentant 70 millions de membres dans le monde. Deux points forts ont marqué cette rencontre internationale : la participation de plus en plus importante des Églises issues des pays du tiers monde et la suspension « du privilège d'être membre de l'ARM » de deux Églises blanches d'Afrique du Sud qui pratiquent l'apartheid, condamné comme contraire à l'Évangile. C'est d'ailleurs un pasteur noir d'Afrique du Sud, Allan Boesak, qui a été élu président de l'Alliance réformée mondiale.

L'Afrique australe occupe depuis de longues années une place importante dans les préoccupations des protestants, ne serait-ce que parce que les Églises — catholiques et protestantes — des pays membres du Groupe de contact sur la Namibie, créé par l'ONU, ont décidé de travailler ensemble pour favoriser le processus d'indépendance de ce pays limitrophe de l'Afrique du Sud. Enfin, au cours de l'automne, une délégation d'Églises protestantes de France s'est rendue en République démocratique allemande pour rencontrer des Églises sœurs, peu libres dans leur témoignage mais tout entières mobilisées dans la recherche de la paix, qui passe par une détente des relations Est-Ouest.