Journal de l'année 1er juillet - 31 décembre 1982 1982Éd. 1982

Synthèse

La rigueur de la gauche

Le second semestre de l'année 1982 s'est tout entier situé sous le signe de ce que François Mitterrand a appelé pudiquement « la deuxième phase du changement ». La dévaluation de juin, la seconde du septennat, a en effet déclenché un brusque recentrage de la politique économique gouvernementale. Les six premiers mois de l'année relevaient encore d'un socialisme conquérant, optimiste, ambitieux et largement redistributif, avec, par exemple, les décisions de réduire la durée hebdomadaire du travail, d'accorder une cinquième semaine de congés payés, d'ouvrir le droit à la retraite dès 60 ans.

Nouvelle ligne

À partir de juillet, au contraire, le ministère Mauroy opère une substantielle rectification. La rigueur de gauche devient la ligne officielle. On s'efforce désormais de limiter les déficits budgétaires et sociaux ; on repousse à plus tard les réformes coûteuses ; la bataille du franc et du commerce extérieur est engagée ; le ton à l'égard des chefs d'entreprises se fait soudain plus amène. La France socialiste ne se soucie plus seulement de faire reculer le chômage et les inégalités ; elle entend s'attaquer désormais aux racines de l'inflation, elle se préoccupe de productivité, de compétitivité, de charges sociales. Les salaires et les prix bloqués pour quatre mois doivent donner le ton. On croit dorénavant moins aux vertus de la relance nationale par la consommation, on regarde davantage du côté du retour aux grands équilibres classiques.

La nouvelle ligne tente en somme de concilier la solidarité sociale avec une relative orthodoxie financière. Un an après la victoire historique de 1981, l'heure du « changement dans le changement » sonne déjà. Le parti socialiste applique maintenant la ligne Mauroy-Delors. Tout s'ordonne, dans le champ politique, autour de cette réorientation qui se veut plus pragmatique et plus efficace. Sa première et prévisible conséquence est pourtant de provoquer un désenchantement profond dans l'opinion. La majorité de gauche est déçue. L'opposition de droite n'est pas apprivoisée. Le recentrage économique suscite un mécontentement politique et social.

Politique extérieure

L'environnement international n'a pas pesé de façon décisive durant ce second semestre sur l'état d'esprit des Français. Que d'événements d'importance se sont cependant produits : la bataille de Beyrouth s'est achevée par la défaite militaire de l'OLP, qui a dû accepter d'évacuer ses troupes sous la protection d'une force d'interposition comprenant des soldats français. Mais la victoire d'Israël a été ruinée sur le plan politique par les massacres des camps de Sabra et de Chatila que Tsahal a laissé se produire. Des controverses passionnées en ont résulté. L'assassinat du jeune président élu du Liban, Béchir Gemayel, chef de file des milices chrétiennes, confirme la précarité de la situation : les Palestiniens affaiblis n'écartent plus l'hypothèse d'une négociation avec Jérusalem, mais l'État hébreu n'admet pas de pourparlers avec l'OLP. La guerre Iraq-Iran s'enlise. Le Moyen-Orient demeure une poudrière.

Les rapports Est-Ouest, eux, sont d'abord marqués par la mort, le 10 novembre, de Leonid Brejnev et la prise du pouvoir immédiate par Youri Andropov. Jusque-là, on avait surtout relevé des tiraillements entre les États-Unis et leurs alliés européens, singulièrement la France. Le commerce Est-Ouest (notamment avec l'embargo controversé consécutif à la signature du contrat du gazoduc sibérien et les rivalités entre sidérurgistes du Vieux et du Nouveau Continent) a été un gros sujet de contentieux. Les propos du ministre de la Culture, Jack Lang, s'en prenant, à Mexico, à « l'impérialisme financier et culturel américain » ont soulevé beaucoup d'émoi, à Paris comme à Washington. Tout cela est balayé par la relève du Kremlin. Youri Andropov entreprend, sans attendre, de relancer les négociations sur la réduction des armements nucléaires et joue habilement des sentiments pacifiques populaires pour rendre plus attrayantes les thèses de son pays. Les Occidentaux serrent les rangs. François Mitterrand n'apparaît pas moins vigilant que Ronald Reagan lui-même. La normalisation polonaise, qui se poursuit avec la dissolution de Solidarité et la suspension très limitée de l'état d'exception, incite d'ailleurs à la lucidité.