Journal de l'année Édition 2004 2004Éd. 2004

L'Amérique livre tous les ans son quota de films sociaux, « engagés », et cela même dans les périodes politiques les moins favorables. Avec la Vie de David Gale, Alan Parker réalise un film ambigu sur la suppression de la peine de mort. Un journaliste jusqu'au-boutiste se fait condamner pour un crime qu'il n'aurait apparemment pas commis. Le système judiciaire est ébranlé lorsqu'on apprend que sa victime s'est suicidée. Mais s'est-elle vraiment suicidée ? Si Parker n'arrive pas à nous convaincre à un niveau social ou moral, il démontre de manière insidieuse que la manipulation est toujours possible et que des innocents paient toujours.

Ron Shelton réalise, en revanche, avec Dark Blue, un film de contestation sociale « classique ». Alors qu'on juge les meurtriers présumés de Rodney King (un Noir assassiné dans des conditions troubles en 1992), un policier des brigades spéciales, qui a lui-même trempé dans des affaires louches, s'aperçoit que son chef couvre les crimes de deux de ses indicateurs afin d'avoir un contrôle sur les délinquants de Los Angeles, et aussi pour en tirer des profits financiers. Suspense et démonstration sont rondement menés dans ce film nécessaire.

Avec Elephant de Gus Van Sant et Ken Park de Larry Clark et Ed Lachman, nous entrons dans un territoire que les Américains ont souvent privilégié dans leurs films : le mal de vivre de la jeunesse. S'inspirant d'une tuerie qui eut lieu dans un lycée de Columbine (États-Unis) en avril 1999, Gus Van Sant en tire un film choral où les divers protagonistes (des collégiens ordinaires) sont longuement scrutés dans leurs occupations quotidiennes jusqu'au moment où la violence surgit, soudaine, inexplicable. La fascination exercée par le film de Van Sant provient du fait qu'il refuse l'explication sociologique. Il y a, de-ci de-là, quelques clés éparses, mais pas de vision globale. À notre avis, Elephant n'est pas vraiment un film achevé, mais un brillant exercice de style qui laisse en suspens un grand nombre de questions. Ken Park est très différent dans la mesure où ce film s'attache, en profondeur, à décrire la vie de quelques adolescents dont l'ami vient de se suicider. Si l'œuvre jongle avec les clichés – peut-on faire autrement en traitant ce type de sujet ? –, il « surdramatise » les situations et nous montre, en fin de compte, des personnages très fragiles qui, par manque de critères, en arrivent au meurtre.

Ailleurs

Les productions en provenance d'Asie arrivent toujours nombreuses sur le marché français. Le vétéran japonais Takeshi Kitano demeure un des cinéastes préférés de la critique. Deux de ses films furent à l'affiche en 2003 : le superbe et onirique Dolls, et le très lourd et surestimé Zatoichi, remake d'une série populaire nippone des années 1960 qui décrit les aventures d'un masseur aveugle très fin bretteur. On est frappé par le fait que Kitano aborde son sujet au premier degré sans sa distance et son humour habituels. Le film japonais le plus marquant est certainement 19, une première œuvre due à Kazushi Watanabe. Cynisme, sens de l'absurde dominent ce film qui décrit la saga de trois « voyous philosophes » qui prennent un adolescent en otage dans leur voiture. Ce dernier finit par éprouver de la sympathie pour ses tyrans.

Après une longue éclipse due à de grandes difficultés politiques et sociales, l'Amérique latine refait parler d'elle. Si la Cité de Dieu du Brésilien Fernando Meirelles aborde à nouveau, avec un très grand réalisme, le problème des adolescents tueurs des favelas, il en va autrement du film argentin de Diego Lerman, Tan de repente. C'est un long road-movie, où deux filles homosexuelles prennent en charge une vendeuse de grande surface. L'univers antagoniste des trois personnages se dilue au fur et à mesure qu'une série d'intrigues vient se greffer sur le canevas de base. Mais c'est Japon, du Mexicain Carlos Reygadas, qui nous paraît l'œuvre la plus aboutie et la plus intrigante du lot. Un homme arrive dans un village perdu pour se donner la mort. Il vivra une très étrange passion charnelle avec une vieille femme.