Débutée à l'été 2002, l'offensive américaine contre la CPI repose d'abord sur une loi interdisant toute forme de coopération américaine avec la Cour (American Service Members' Protection Act). Dans la foulée, l'administration Bush a fait voter par le Conseil de sécurité des résolutions interdisant à la CPI de poursuivre les membres des opérations onusiennes de maintien de la paix, ressortissants des pays qui n'ont pas ratifié le Statut de Rome. Cette pression apparaît d'autant plus problématique que la Cour négocie actuellement un accord de coopération avec l'ONU selon lequel les forces sous mandat onusien devraient prêter main-forte au personnel de la CPI : protection, sécurité des témoins, arrestation des suspects. Enfin, les États-Unis ont fait signer de nombreux accords bilatéraux octroyant aux citoyens américains une exemption de poursuites devant la CPI. Soixante-huit pays approchés, dont la moitié sont des États parties au Statut de Rome à l'instar de la Colombie, avaient été sensibles aux arguments de Washington à l'automne 2003, les autres perdant le bénéfice de l'aide militaire américaine. « La Cour a été créée de manière permanente. Les environnements politiques, eux, évoluent », estime toutefois Philippe Kirsch pour nuancer cette opposition américaine actuelle.

La question de la compétence universelle

Les États parties de la CPI étaient au nombre de 92 en 2003.
Les 25 membres de l'UE reconnaissent les statuts de la CPI.

L'autre obstacle que la Cour devra franchir pour asseoir sa crédibilité est tout aussi politique. Dépourvue de moyens coercitifs pour contraindre un pays récalcitrant à coopérer, la CPI, loin d'abolir la souveraineté des États, entend fonctionner en complémentarité avec les juridictions nationales. La CPI, en effet, n'a aucune priorité sur les justices nationales. Elle n'intervient que si les États ne peuvent pas, le plus souvent à la suite d'un conflit, ou ne souhaitent pas exercer leur compétence – deux occurrences définies à l'article 17 du Statut, et soumises à l'appréciation du procureur. Or, jusqu'à présent, cette complémentarité n'est possible qu'avec 20 États parties, ceux qui ont achevé la transposition du Statut de Rome dans leur législation nationale. Une opération d'autant plus importante qu'elle inclut des mécanismes de compétence universelle, selon lesquels un pays ayant ratifié les Conventions de Genève de 1949 (sur les crimes de guerre) et de 1984 (contre la torture) doit poursuivre ou extrader tout auteur de crimes internationaux et ce, indépendamment de sa nationalité.

Au sein de l'Union européenne, la Belgique a été le premier pays à mettre en œuvre la compétence universelle dans une loi votée en 1993. Des victimes rwandaises du génocide de 1994 se sont saisies de ce texte pour faire condamner à Bruxelles quatre de leurs compatriotes en 2001. C'est également en vertu de cette loi belge qu'ont été déposées plusieurs centaines de plaintes visant des personnalités politiques de haut rang, au nombre desquelles l'actuel Premier ministre israélien Ariel Sharon, pour sa responsabilité présumée dans les massacres commis à Sabra et Chatila en 1982. Mais devant les complications diplomatiques, et notamment sous la pression des États-Unis alertés par une plainte visant l'actuel secrétaire d'État Colin Powell pour sa participation en tant que général en chef des armées américaines à la première guerre du Golfe (1991), le texte a été amendé en août 2003 dans un sens beaucoup plus restrictif. L'Espagne apparaît également en pointe en matière de compétence universelle : en juillet 2003, le juge Baltasar Garzon a réussi à convaincre le Mexique d'extrader l'ex-militaire argentin Ricardo Cavallo, afin qu'il réponde devant la justice madrilène de crimes commis pendant la dictature (1976-1983). Une première, suivie en septembre par la mise en accusation d'une trentaine de membres d'al-Qaida.

En France, plusieurs affaires sont actuellement instruites au titre de la compétence universelle : l'une d'entre elles vise le général tortionnaire mauritanien Ely Ould Dah ; une autre, des hauts dignitaires du « Congo-Brazzaville », dont l'actuel président Denis Sassou Nguesso. Mais le projet de loi d'adaptation au Statut de la CPI, en cours de discussion interministérielle et qui entend (enfin) inclure les crimes de guerre dans le Code pénal français, est critiqué. La Commission nationale consultative des droits de l'homme lui reproche notamment de réserver « au Ministère public l'exclusivité du déclenchement des poursuites pour les infractions commises à l'étranger », sans que les victimes aient leur mot à dire. En clair, ce projet contiendrait en germe la mort de la compétence universelle en France.

Rwanda

À Arusha (Tanzanie), les procès du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), créé en 1994, manquent également de lisibilité. Certes, dès 1998, l'ancien Premier ministre rwandais Jean Kambanda a été condamné à perpétuité. Et Théoneste Bagosora, ex-directeur de cabinet du ministre de la Défense et considéré comme le principal « cerveau » d'un génocide qui a fait plus de 800 000 morts, est actuellement en cours de jugement. Mais là aussi, l'accusation du procureur Carla Del Ponte patine. Dans un pays où les anciens génocidaires sont nombreux, la protection des témoins est difficile, ce qui encourage le mutisme. Et le gouvernement rwandais est peu enclin à coopérer : à terme, le président Paul Kagamé, ancien chef du Front patriotique rwandais (FPR), pourrait lui aussi être inquiété par le TPIR pour les massacres commis à la fin de l'année 1994, en représailles au génocide. Afin de clarifier la stratégie de l'accusation, Carla Del Ponte a été remplacée en septembre par le Gambien Hassan Boubacar Jallow.

Le dossier congolais

En dépit des nombreuses difficultés qui s'annoncent, la Cour a toutefois commencé à travailler. Après avoir étudié les quelque 500 communications parvenues à La Haye depuis le 1er juillet 2002, le procureur Ocampo a décidé de s'intéresser, dans un premier temps, au conflit qui ensanglante l'Ituri, en République démocratique du Congo (RDC). Rassemblant une panoplie d'atrocités, allant des exécutions sommaires aux viols collectifs en passant par les mutilations et le cannibalisme, il implique, en outre, un certain nombre d'entreprises africaines, européennes et moyen-orientales qui profiteraient du conflit pour exporter illégalement des ressources minières. Se fondant sur une lecture ambitieuse de l'article 25 du Statut précisant que la CPI est compétente pour juger toute personne physique qui « apporte son concours à la commission » d'un crime connu par la Cour, « y compris en fournissant les moyens de cette commission », Luis Moreno Ocampo entend remonter toute la chaîne des responsabilités dans un crime de masse, sans omettre les responsables financiers. En insistant sur le rôle de ceux-ci, le procureur de la CPI semble également soucieux de montrer que sa juridiction n'est pas l'expression d'un néo-impérialisme judiciaire qui se limiterait à faire tomber les ressortissants d'États faibles. Le gouvernement de transition de la RDC, constitué le 30 juin sous la pression du Conseil de sécurité et auquel participent les principaux chefs des mouvements rebelles impliqués dans des massacres, a certes déclaré sa volonté de coopérer avec la communauté internationale en vue de rétablir la paix. Mais il n'a pas pour autant exprimé sa volonté de saisir la CPI dans le cas de l'Ituri.

Yougoslavie

Depuis une dizaine d'années, le Conseil de sécurité des Nations unies a mis en place trois tribunaux spéciaux pour connaître des crimes de génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre commis dans des conflits internes au cours des années 1990.