Néphrologue à l'université Zhongsan de Canton, le Dr Liu Jianlun est invité à Hongkong pour le mariage d'un parent. Âgé de soixante-quatre ans, ce médecin a aidé à soigner, à l'hôpital Kwong Wah de Canton, des personnes atteintes de la pneumonie atypique qui flambe depuis novembre. Avec son épouse, il prend l'autocar le 21 février 2003 jusqu'à Hongkong. Un trajet de trois heures au terme duquel le couple descend à l'hôtel Métropole, dans le quartier de Kowloon. Au cours des vingt-quatre heures de son séjour à l'hôtel, le Dr Liu va à son tour présenter les signes de la pneumonie atypique et devenir une source de contamination.

L'enquête épidémiologique rétrospective permettra de constater que l'agent infectieux, le coronavirus encore inconnu à l'époque, a été transmis à 16 clients et visiteurs de l'hôtel Métropole. Des prélèvements effectués sur la moquette devant la chambre 911 et les ascenseurs montraient une forte présence du coronavirus, probablement dans des sécrétions respiratoires ou du vomi. Du matériel génétique du virus – mais pas de virus vivant – était encore présent dans des prélèvements effectués trois mois après le séjour du Dr Liu.

L'hôtel Métropole

Un foyer de 200 cas dans une résidence de Hongkong

Parmi les 16 personnes contaminées au Métropole, plusieurs vont « exporter » la maladie. Mme Kwan Sui-Chu, soixante-dix ans, est venue de Toronto le 18 février avec son mari rendre visite à l'un de leurs fils. Deux jours après son retour au Canada, le 25 février, Mme Kwan commence à présenter les signes de la maladie. Son état s'aggrave et elle meurt le 5 mars à son domicile. Son décès est alors imputé à une crise cardiaque. Un autre de ses fils, Tse Chi Kwai, qui partage le même domicile à Toronto, tombe à son tour malade et va être hospitalisé au Scarborough Grace Hospital, avec une suspicion de tuberculose. Il y décédera, mais son autopsie sera décisive. C'est par l'intermédiaire de cette famille que la maladie se répand dans plusieurs hôpitaux de Toronto, décimant patients et soignants, trois semaines avant que l'OMS ait lancé son alerte mondiale.

Le même phénomène va se produire avec d'autres personnes ayant fréquenté l'hôtel Métropole : un visiteur habitant Hongkong et le beau-frère du Dr Liu, qui seront hospitalisés sur place, une hôtesse de l'air qui sera admise dans un hôpital de Singapour, et Johnny Chen. Ce dernier est un homme d'affaires sino-américain de quarante-huit ans, travaillant dans l'import-export de textiles à Hongkong. Du Métropole, il se rend à Hanoi. Sur place, fiévreux, toussant, il se présente le 26 février à l'Hôpital français de Hanoi, une clinique privée qui est l'établissement le mieux équipé de la capitale vietnamienne. Il est placé sous assistance respiratoire. Plusieurs médecins et infirmières vont s'occuper de lui jusqu'à son décès. Ils le paieront, pour certains, de leur vie. L'un d'entre eux, cardiologue exerçant dans le nord de la France, rentre précipitamment, contaminant vraisemblablement au moins trois personnes ayant voyagé dans le même avion que lui. Il décédera finalement à l'hôpital de Tourcoing plusieurs semaines après son retour. Parmi les médecins qui ont soigné Johnny Chen figure le Dr Carlo Urbani. Il a fait partie en 1999 de la délégation de Médecins sans frontières venue chercher à Stockholm le prix Nobel de la paix décerné à l'organisation humanitaire. À Hanoi, il est présent au titre de l'OMS. Le Dr Urbani craint d'avoir affaire à une grippe aviaire, autrement dit à un virus mutant passé de l'oiseau à l'homme. Le virus baptisé H5N1 a été à l'origine de la grippe du poulet à Hongkong et les épidémiologistes redoutent qu'il entraîne une épidémie particulièrement sévère chez l'homme. Carlo Urbani avise donc l'OMS à Genève, qui renforce alors son système d'alerte.

Parallèlement, l'OMS a envoyé une équipe en Chine. Arrivée à Pékin, celle-ci n'est cependant pas autorisée par les responsables chinois à se rendre dans la province du Guangdong. Ce qui retardera d'autant l'enquête pour s'assurer d'une intuition qu'ont à Genève les responsables de l'OMS : l'épidémie dans le sud de la Chine et ce qui commence à se passer à Hongkong et à Hanoi sont des phénomènes liés.

Alerte mondiale

Le responsable : un coronavirus différent de ceux déjà connus