Poussés par Tony Blair à mener la bataille diplomatique pour une 2e résolution qui joue les arlésiennes, les Américains s'évertuent à rallier la coalition la plus vaste possible, qui leur permettrait, quand bien même les Français, les Russes et les Chinois opposeraient un veto, de se prévaloir de l'aval de la majorité des 15 membres du Conseil de sécurité de l'ONU. Une mission d'autant plus difficile que les sceptiques ne manquent pas et que les « preuves » avancées par Colin Powell le 5 février pour les convaincre de la menace de l'arsenal irakien, et de la collusion du régime de Bagdad avec Ben Laden, ne sont guère de nature à avoir raison de leur scepticisme, alors que, dans le même temps, l'administration américaine ignore les conclusions de la commission d'inspection, au risque de fouler aux pieds le principe et la légitimité mêmes de cet organisme.

La guerre des mots se durcit le 14 février quand, au détour du nouveau rapport de Hans Blix, le ministre français des Affaires étrangères Dominique de Villepin, plaidant devant la tribune de l'ONU en faveur de la poursuite des inspections, sera applaudi par l'assistance, provoquant la colère des États-Unis.

Alors que des millions de personnes manifestent contre la guerre à travers le monde, G.W. Bush ne désespère pourtant pas d'élargir une audience limitée jusque-là à la Grande-Bretagne et à la Bulgarie. Multipliant les pressions sur les pays alliés, notamment en Europe, où coup sur coup se sont fait entendre des déclarations de soutien à Washington, isolant ainsi le couple franco-allemand, G.W. Bush fait monter la pression le 6 mars en appelant les pays membres du Conseil de sécurité à choisir leur camp. J. Chirac relève le défi en annonçant que le texte proposé au vote se heurtera à un veto s'il se résume à un ultimatum. Quand le groupe des six « indépendants » du Conseil de sécurité, dont le Mexique et le Chili, annonce des abstentions en bloc pour échapper aux pressions des deux camps, il apparaît nettement que le camp de la guerre ne pourra pas obtenir la majorité formelle de 9 voix qui lui aurait permis de sauver la face.

La partie prend fin le 17 mars, quand Américains, Britanniques et Espagnols, après un sommet aux Açores, retirent leur projet de 2e résolution, mettant ainsi un terme à une longue passe d'armes diplomatique qui cède la place à une veillée d'armes. De fait, l'ultimatum de 48 heures lancé par G.W. Bush à Saddam Hussein pour qu'il quitte le pouvoir ne laisse plus place au doute, d'autant que l'on recommande aux inspecteurs de l'ONU, dont le dernier rapport avait pourtant fait état de la coopération accrue du régime de Bagdad, et à tout le personnel onusien de plier bagage. Le président irakien ayant refusé de désarmer – c'est-à-dire, dans l'esprit des Américains, de rendre les armes –, les premiers raids aériens sont lancés le 20 mars sur Bagdad, sur des cibles témoignant de la volonté de Washington de l'éliminer. L'opération américano-britannique pour la « libération de l'Irak » a commencé, sans l'aval de l'ONU, et avec la réprobation d'une grande partie de la communauté internationale et tout particulièrement du monde musulman, même si l'administration américaine se flatte d'avoir réuni une coalition d'une quarantaine de pays, dont la participation se réduit le plus souvent à un soutien purement verbal.

Si la France cristallise la colère des Américains, qui la rendent responsable de l'échec diplomatique pour avoir fait obstruction aux procédures de légitimation, l'hostilité à la guerre est manifeste jusque chez leurs alliés les plus proches, comme la Turquie, qui confirme le 21 mars son refus de laisser les forces américaines utiliser son territoire pour ouvrir un front du Nord qui prendrait en étau Bagdad depuis le Kurdistan irakien autonome. Cet autre revers n'entame pourtant aucunement la détermination des Américains à livrer une guerre dont les premiers dommages collatéraux auront frappé l'ONU, en en ébranlant durablement la crédibilité, provoqué de profondes fractures dans l'UE et l'OTAN en voie d'élargissement, et renforcé le sentiment d'humiliation et les rancœurs dans le monde musulman.

L'ONU en quête de crédibilité

G.W. Bush n'a cessé de répéter que l'ONU s'était discréditée dans l'affaire irakienne. La France porterait une part de responsabilité majeure dans l'échec diplomatique qui a réduit l'ONU au rôle de spectateur d'un conflit dont elle devrait être, par vocation, l'organe de règlement. Un procès qui fait pourtant bon marché des mécanismes onusiens sur lesquels la France, et derrière elle une grande partie de la communauté internationale, de la Ligue arabe aux non-alignés, comptait s'appuyer pour gérer la crise irakienne. Soucieux de garder le contrôle de la « partie », les États-Unis, pour leur part, n'ont pas vraiment voulu jouer le jeu, en ignorant le travail de la commission d'inspection, avançant leurs propres preuves de l'existence d'un arsenal irakien d'armes de destruction massive, fussent-elles peu convaincantes. Ils donneront ainsi l'impression d'avoir voulu utiliser l'ONU à seule fin de démonter les suspicions d'unilatéralisme que leur vaut l'application d'une doctrine de guerre préventive mise au service de leurs intérêts politiques et économiques. Dans la logique américaine, l'ONU aurait donné des gages de son sérieux en cautionnant la guerre plutôt qu'en débattant de sa légitimité. Pourtant, en refusant de devenir la caisse de résonance de l'hyperpuissance américaine, l'ONU ne s'est pas désavouée sur le fond. Mais il lui reste à surmonter l'épreuve en jouant dans l'après-guerre irakien un rôle que lui conteste déjà Washington, notamment en reprenant la main sur la question clef de l'inspection des armes de destruction massive, qui a été le moteur de la guerre et qui commande la levée des sanctions.