Journal de l'année Édition 2003 2003Éd. 2003

Fable allemande : le lièvre de Bavière défait par la tortue de Basse-Saxe

Mal en point au printemps, le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder a conservé le pouvoir en devançant de 8 000 voix son adversaire chrétien-social Edmund Stoiber.

Jamais dans l'histoire récente de la jeune république allemande, un scrutin n'avait eu une issue aussi serrée que celui du 22 septembre 2002. Dans les 298 circonscriptions que compte l'Allemagne réunifiée, 61,5 millions d'électeurs étaient appelés aux urnes. À la fermeture des bureaux de vote, les instituts de sondage laissaient entrevoir un très faible écart entre les deux principaux partis, avec un léger avantage pour la coalition conservatrice CDU-CSU conduite par le président du Land de Bavière Edmund Stoiber. Celui-ci en profita pour rapidement faire une déclaration publique dans laquelle il se proclama le vainqueur du scrutin. Quelques heures plus tard, l'opposition au chancelier devait déchanter. Une nouvelle fois, l'homme du Sud avait fait preuve de trop de confiance et, à l'image de sa campagne électorale, il était intervenu mal à propos. En effet, au-delà des préventions possibles que nourrissent de nombreux électeurs d'Allemagne du Nord pour le catholique bavarois, c'est bien la suffisance et le dogmatisme libéral d'une certaine droite que l'électorat allemand a choisi de rejeter in extremis. En effet, au début de l'été, tous les signaux étaient au rouge pour la coalition rouge-verte au pouvoir depuis 1998 : le SPD Schröder était à plusieurs points derrière la CDU-CSU de Stoiber et on s'interrogeait sur la capacité des Verts (Die Grünen) du ministre des Affaires étrangères Joschka Fischer à franchir la barre des 5 % des voix exprimées aux prochaines élections.

Les inondations et George W. Bush au secours de Schröder

Tout allait mal pour le chancelier jusqu'au mois d'août et aux grandes inondations qui ont ravagé l'est et le sud du pays. Très réactif, Schröder fit admirer ses qualités de chef d'État, déploya une énergie débordante pour mettre les ressources de l'État à la disposition des sinistrés et profita d'une large couverture médiatique. D'un naturel plus réservé que son rival au pouvoir, Stoiber continua à dénoncer le bilan économique et social catastrophique du chancelier. Démontrant moins d'empathie pour les malheurs de millions d'Allemands, Stoiber commença à perdre du terrain. Fin août, Schröder talonnait désormais son rival. Puis vinrent septembre et... le président américain Bush. Schröder et Fischer décidèrent de résister à la pression américaine qui voulait enrôler l'Allemagne – allié particulièrement docile depuis 1945 – dans la croisade contre l'axe du mal. Quand Schröder et Fischer disent non à Bush, Stoiber attaque l'irresponsabilité des dirigeants du pays et... perd des électeurs. La menace de guerre fait renaître le sentiment pacifiste fortement ancré dans une partie de la population de l'Ouest ainsi que l'antiaméricanisme dans lequel ont vécu les « Ossis » (ceux de l'Est). Les bruits de botte de la nouvelle croisade conservatrice américaine ont pour conséquence le renforcement du ministre des Affaires étrangères (depuis plusieurs mois en tête des sondages de notoriété nationaux) et l'effondrement électoral à l'est des anciens communistes du PDS au profit des sociaux-démocrates.

Vainqueurs et vaincus

La lecture des résultats dès lors devient plus claire. Même si le SPD reste le premier parti d'Allemagne pour quelques milliers de suffrages, la CDU-CSU a été le grand triomphateur du scrutin en augmentant son pourcentage de 3,4 %. Elle est encore loin (près de 3 points) de son pourcentage de 1994 (41,4 %). Le deuxième vainqueur est sans conteste les Verts, qui ont augmenté leur capital de près de 2 %, passant de 6,7 % en 1998 à 8,6 %. Paradoxalement, le parti sorti le plus meurtri du scrutin est le Parti libéral de MM. Westerwelle et Möllemann (ce dernier ayant vu dès le mois de juin sa réputation et sa crédibilité ternies par des propos jugés antisémites par l'opinion publique et par des financements douteux de sa campagne électorale) qui en 2001 avait nourri un projet insensé : ne représentant que 6,2 % de l'électorat, les deux dirigeants déclaraient vouloir atteindre 18 % ! La déception n'en fut que plus dure pour les militants : le gain de 1,2 % passe pour ridicule. Autres victimes, les ex-communistes du PDS : ils passent sous la barre des 5 % qu'ils n'avaient que légèrement franchie en 1998 (5,1 %) et ne doivent le maintien de deux députés qu'aux deuxièmes voix. Ils subissent l'hémorragie de voix la plus importante, perdant 28 sièges au total. Au Bundestag, la chambre basse du Parlement, la SPD dispose désormais de 251 mandats contre 248 à la CDU-CSU. Comparé aux dernières élections, celles de 1998, cela signifie une perte de 47 sièges (et pour la CDU-CSU un gain de 3 sièges seulement). Mais le recul social-démocrate fut en grande partie compensé par la progression des Verts, qui grâce à leur « locomotive » Joschka Fischer ont remporté 55 sièges, contre 47 en 1998.