Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

Autre rendez-vous d'importance fixé par l'Opéra de Paris, cette fois à Garnier et en association avec le Festival d'automne, la première française de la Petite Fille aux allumettes de Helmut Lachenmann, artiste visionnaire qui a su trouver sa voie avec autant de lucidité que de témérité, ce qui l'a conduit à susciter tout autant incompréhension et admiration. Achevé en 1996, cet ouvrage a demandé huit ans de travail à son auteur, qui envisage encore d'effectuer quelques modifications, plus particulièrement dans la scène qu'il reprend de Zwei Gefühle. L'écriture de Lachenmann est d'une telle expressivité qu'elle se fait image, dessinant le moindre contour du livret, alors même que le compositeur n'utilise que des instruments traditionnels, dont il dévoie le son. La mise en scène de Peter Mussbach, qui déroule l'action dans la tête de la fillette, est en totale adéquation avec la musique à laquelle elle ajoute en poésie. Exigeant une écoute hors norme, la partition saisit par sa puissance suggestive. Les deux heures de spectacle donné en continu passent sans que l'on ait pu prendre la mesure du temps, l'auditeur étant porté dans une nasse de musique, effectifs vocaux et orchestraux mêlés dans les moindres recoins du théâtre.

Cette première année du siècle aura été fertile en premières françaises d'oeuvres contemporaines, puisque le Théâtre du Châtelet aura proposé deux autres opéras importants de compositeurs vivants, Trois Sœurs de Peter Eötvös et l'Amour de loin de Kaija Saariaho. Créé à l'Opéra de Lyon, son commanditaire, le 13 mars 1998, Trois Sœurs a été reçu dès sa première présentation comme l'un des ouvrages majeurs du xxe siècle, l'ouvrage le plus significatif du théâtre lyrique depuis Die Soldaten de Zimmermann. Eötvös a tenté de retrouver l'esprit du madrigal, découpant son opéra en vingt-cinq numéros distribués en trois séquences qui ne suivent pas la chronologie de la pièce de Tchékhov mais reprennent la même action abrégée vue à travers le regard de chacune des sœurs. Malgré son grand raffinement, la partition est immédiatement intelligible. À cela s'ajoute une réelle connaissance de la voix et du chant, exploités sur tous les registres expressifs, Eötvös évitant de passer violemment d'un registre à l'autre, suivant en cela la moindre inflexion de la langue russe, qu'Eötvös a incroyablement su pénétrer alors qu'il s'agit pour ce Hongrois d'une langue naturellement honnie. Œuvre sans concession, mais trahissant un rapport au théâtre acquis au contact des comédiens et des dramaturges, ne cessant de ménager la surprise, Trois Sœurs est à la fois exigeant et flatteur pour ses interprètes et pour le public. Concentrée et délicate, la mise en scène du chorégraphe japonais Ushio Amagatsu évite le malaise qu'aurait pu engendrer la prééminence des rôles travestis. Sur le modèle du théâtre japonais dont est issu Amagatsu, les trois sœurs et Olga sont campées par des contre-ténors. Le spectateur a ainsi un regard (et une oreille) distancié et il ne peut qu'être ébloui par cette beauté surnaturelle.

Toujours au Châtelet, la production venue du Festival de Salzbourg 2000 du premier opéra de Kaija Saariaho, l'Amour de loin. S'inspirant de la vie de Jaufré Rudel dont Armin Maalouf a tiré le livret, mis en scène par Peter Sellars, ce spectacle permet à la compositrice finlandaise d'exprimer pleinement son art, très personnel, tout en puisant dans les musiques du passé et traditionnelles, et en travaillant la symbolique de la symétrie, du cercle, le miroir.

Nouveaux répertoires

Quantité de manifestations ont rendu hommage à Xenakis

Parmi les autres rendez-vous lyriques, Peter Grimes de Benjamin Britten. Composé en 1945 sur un livret de Montagu Slater tiré d'un récit de George Crabbe, le Bourg, Peter Grimes a pour pivot une société haineuse, obscurantiste, hypocrite qui accable et persécute un être élémentaire et brutal. Sous l'impulsion de Britten, Slater a fait du personnage dessiné par Crabbe un marginal ambigu qui parvient à inspirer davantage la compassion que le rejet. Camper Grimes exige de la part de son interprète un engagement total, c'est pourquoi le rôle reste marqué par son créateur, Peter Pears, et son exact opposé, Jon Vickers. Ténor héroïque, Ben Heppner se rapproche du second, et s'impose comme un grand Grimes. Tant et si bien que l'on en oublie ses limites vocales, l'aigu un rien serré. Face à lui, Susan Chilcott campe une touchante Ellen, Ian Caley un capitaine de grande classe, Stéphanie Blythe déploie avec aplomb son timbre de braise, et ses nièces sont excellentes, particulièrement Marie Dellevereau. La scénographie place l'action dans une Angleterre contemporaine polychrome, noyée sous un fatras de poissons surgelés, de filets de pêche, de tables à repasser et de tombes. Mais cette production a le mérite de ne pas trahir l'ouvrage et il n'y a pas là matière à aviver les lazzis lancés par le public le soir de la première.