Loin de la mode du plein-airisme et du culte de la vie moderne, le peintre allemand Arnold Böcklin (1827-1901) cultive une certaine forme d'anachronisme qui a suscité bien des mésinterprétations sur un travail très novateur malgré ses airs classiques. Böcklin, pourtant tenu pour une des figures majeures de la fin du xixe siècle, n'avait jamais eu d'exposition en France. Cette rétrospective qui célèbre le centième anniversaire de sa mort est donc une première, plutôt attendue, très motivante. L'exposition d'Orsay, conçue par les musées de Bâle et de Munich, permet déjà d'en finir avec le mythe d'un peintre wagnérien, typiquement germanique.

C'est à nouveau la chair, dans son indolence sexuelle, qui est convoquée dans l'exposition que le Jeu de paume consacrait au « Picasso érotique ». Des dessins modernistes de Barcelone aux dernières peintures, esquissées quelques jours avant sa mort à plus de quatre-vingt dix ans (1973), cette exposition nous fait découvrir l'œuvre à travers le prisme des deux personnages centraux dans l'univers picassien : Éros et Thanatos. Les femmes, bien plantées, ont la chair dense et légère comme sous le pinceau de Toulouse-Lautrec. L'érotisme y est noir, inquiétant, confiné dans les ruelles des bas-fonds, avec en toile de fond la peur obsédante d'une syphilis. Picasso mène une enquête sur le trouble du sexe. Vient ensuite l'oeuvre d'un homme plus mûr qui convoite la femme avec une fougue plus assurée. Éros prend alors des formes mythologiques. L'artiste Minotaure s'accouple avec ses maîtresses, Dora ou Marie-Thérèse, dans des poses orgiaques qui, à mesure que le spectre de la guerre menace, se transforme en guerre des sexes dont la cruauté dialogue avec le surréalisme triomphant. Il y a enfin les dernières années du grand âge accompli, où le voyeurisme revitalise la tension érotique entre l'artiste et son modèle. « Picasso érotique » offre au regard l'appétit d'un génie insatiable.

La même soif passionnelle pour la peinture nourrit l'œuvre de Jean Dubuffet (1901-1985) auquel le Centre Georges-Pompidou consacre une importante rétrospective à l'occasion, cette fois, du centenaire de la naissance de l'artiste. Contrairement à Böcklin, il ne s'agit pas d'une première, même si jusqu'à présent l'ensemble du parcours n'avait jamais été présenté. C'est ici chose faite, avec brio, dans un parcours magistralement mené par Daniel Abadie, par ailleurs directeur du Jeu de paume. Venu très tard à la peinture, à l'âge de quarante et un ans, Dubuffet s'affranchit très vite des poncifs stylistiques de son époque pour s'engager dans une peinture de la contestation. C'est l'enflure de matière qui l'emporte sur le dessin et fait de Dubuffet l'un des grands martres du matiérisme. Cela le conduit vers la série des Sols et Terrains, où bitume, sable, feuillages et graviers font leur apparition dans la palette incongrue de l'artiste. La surface s'anime des aspérités accidentelles de matériaux, bruts, sales, denses ; la forme apparaît au hasard des conglomérats de pigments. Puis, avec le cycle de l'Hourloupe, où réapparaît une gamme de couleurs vives (rouge et bleu), Dubuffet construit des édifices. Curieusement, la salle consacrée aux maquettes de ces sculptures monumentales est la plus faible de l'exposition. Le parcours se termine avec les œuvres des dernières années auxquelles le Jeu de paume avait, il y a quelques années, consacré son exposition inaugurale.

Modernités : Paris, Barcelone, Londres et New York

L'exposition « Paris-Barcelone. 1888-1937 » rappelle, par son titre, le cycle ouvert, il y a près de vingt ans, par le Centre Pompidou avec les grandes fresques consacrées à « Paris-New York », « Paris-Moscou », « Paris-Berlin », ou plus récemment, sous l'égide cette fois du musée d'Orsay, à « Paris-Bruxelles ». Ces expositions racontaient les chassés-croisés entre deux capitales européennes. Ici, il est toujours question d'échanges, mais le regard se focalise plus ouvertement sur l'un des pôles, en l'occurrence Barcelone. L'exposition s'ouvre sur les années d'explosion économique et urbanistique de Barcelone, la fin des années 1880, à un moment crucial de l'émergence d'une identité politique, le catalanisme. Pour s'opposer au centralisme madrilène, les Catalans ont pris l'habitude de regarder du côté de Paris et du nord en général, d'où souffle le vent de la modernité. C'est la grande époque de l'art nouveau, ce que l'on appelle « modernismo » en deçà des Pyrénées. Durant la Grande Guerre, la neutralité espagnole renforce le rôle de Barcelone, lieu d'exils et de refuges. On y rencontre certains peintres de l'avant-garde parisienne, Albert Gleizes, Sonia et Robert Delaunay, Francis Picabia ou le boxeur, non moins aventurier, Arthur Cravan. Après l'armistice, le sens migratoire s'inverse : Miró vient à Paris en 1919, Dalí fait le voyage dix ans plus tard. Mais Picabia – auquel l'exposition réserve une part bien importante – et Breton font aussi le voyage vers Barcelone en 1922, tout comme Gala, Eluard et Ernst qui rejoignent Dalí à Cadaqués en 1930, quatre ans avant que Masson fasse son séjour à Montserrat, l'un des hauts lieux de l'identité catalane. Le parcours se clôt avec le pavillon de la République espagnole pour l'Exposition universelle de 1937 – où est présenté le fameux Guernica de Picasso.