Le calme qui précède la tempête

Début septembre, on attend une rentrée chargée, l'économie continuant de donner des signes de fatigue. Les sondages indiquent que le président Bush n'a pas su se défaire de son image de fils à papa besogneux qui ne doit son élection qu'à un concours de circonstances favorables.

L'été qui précède les événements du 11 septembre paraît tout à fait calme. Depuis le printemps, les médias survivent en exploitant jusqu'à l'usure un nouveau scandale mêlant mœurs privées et politiques et qui rappelle étrangement l'affaire Lewinsky. Ce nouvel imbroglio implique encore une jeune stagiaire, Chandra Levy, qui a disparu subitement sans laisser de traces et un représentant à la chambre du Congrès, Gary Condit, dont le sourire mièvre ne semble jamais quitter un visage qui se crispe au fil des semaines.

Une rentrée difficile

Les observateurs prédisent au président Bush une rentrée difficile avec plusieurs dossiers lourds, dont celui de l'économie et celui de la défense antimissile, à la base de sa nouvelle politique de défense qu'il tarde à définir. L'Amérique, quant à elle, se porte plutôt bien en surface. Les signes avant-coureurs d'une possible récession n'ont pas trop entamé l'optimisme partagé, du moins en apparence, par une grande partie du peuple américain depuis la fin de la guerre froide et le succès de la guerre du Golfe. Justement, d'ailleurs, ce calme qui précède la tempête rappelle celui qui avait précédé la guerre du Golfe onze ans auparavant, alors que le premier Bush avait encore du mal à se débarrasser du « wimp factor » (un hebdomadaire l'avait taxé de « mauviette ») qui lui collait à la peau depuis la campagne présidentielle. Considéré alors comme un sous-Reagan – tout comme son propre fils sera perçu par une ironie de l'histoire comme un George Bush de deuxième zone – le père façonnera sa présidence, aujourd'hui jugée favorablement par les historiens, à travers son action dans le Golfe.

Cette action réussie sera néanmoins tronquée par la décision de se retirer sans avoir éliminé Saddam Hussein. Un choix qui, aggravé par une mauvaise santé économique, coûtera l'élection à George Bush en 1992. Ce souvenir laissera un goût amer au président, et à son fils, George W. Bush, qui saura très probablement en tirer les enseignements, notamment lorsqu'il prendra la décision de bombarder l'Afghanistan.

Une société coupée du monde

Depuis les événements du 11 septembre, la presse internationale n'a cessé de ressasser à quel point l'Amérique était peu préparée à faire face à une telle catastrophe, resservant à diverses sauces les clichés habituels sur le repliement sur soi d'une société à la fois infantile, coupée du reste du monde, et vivant dans une bulle dont elle ne sortait que pour aller donner des leçons aux étrangers. De là à dire que les attaques étaient peut-être méritées, il n'y avait qu'un pas facile à franchir. À la question de savoir si le pays s'attendait à un tel choc, nous répondrons qu'aucun pays habitué à vivre en paix n'est préparé psychologiquement à un tel acte de barbarie, les États-Unis pas plus que d'autres et probablement pas moins non plus. Longtemps à l'abri du terrorisme, les États-Unis avaient subi les premiers attentats dans les années 1990, avec une attaque à la bombe en 1993, déjà au World Trade Center, qui avait fait six victimes et, surtout, la catastrophe d'Oklahoma City qui avait entraîné la mort d'une quarantaine de personnes. Cet attentat avait marqué les esprits, plus profondément que les attaques lointaines contre deux ambassades américaines en Tanzanie et au Kenya, attribuées comme celle de 1993, à Oussama Ben Laden. Mais ces actes n'avaient pas entamé l'optimisme qu'avait engendré la « victoire contre l'Empire du mal (l'URSS) », victoire qui fondait dans les esprits le début de l'hégémonie absolue de l'Amérique.

Néanmoins, les médias avaient timidement abordé le sujet du terrorisme, y compris les risques futurs auxquels pourrait être confrontée l'Amérique. Mais les scénarios catastrophes envisagés par les journalistes semblaient trop proches des films de science-fiction pour être pris au sérieux. En revanche, le travail de prospective effectué par l'État était beaucoup plus rigoureux. On a beaucoup glosé depuis le 11 septembre sur l'inefficacité des services de renseignement américains. Il est vrai que la mise en place de moyens technologiques s'était faite au détriment du travail de terrain. Mais il n'est pas moins vrai que ces services avaient beaucoup progressé dans le domaine de la lutte antiterroriste au cours des dernières années alors que de gros efforts avaient été entrepris par la Défense affronter le terrorisme.

Une lutte à plusieurs niveaux

La lutte antiterroriste s'est construite sur plusieurs niveaux. Le travail consistait d'abord à remonter à la source du mal, dans ce cas, clairement, Oussama Ben Laden, que les Américains cherchaient à neutraliser depuis un moment déjà. En aval s'effectuait le démantèlement des réseaux, dont plusieurs membres ont été découverts et arrêtés. Enfin, la sécurité globale devait être renforcée. Mais dans un pays immense comme les États-Unis, la sécurité absolue n'existe pas car il y aura toujours des failles dans ce système volontairement ouvert et décentralisé. Finalement, le 11 septembre, le plus surpris aura peut-être été le président George W. Bush. Lui qui avait parié sur la haute technologie pour se protéger contre une attaque (improbable) d'un « État bandit » devait désormais faire face à la nébuleuse terroriste. Par chance, celle-ci allait rapidement se découvrir un visage. Car, pour l'Amérique, l'ennemi désigné incarne toujours le mal défini dans des termes bibliques. Cet ennemi se doit d'avoir un nom et un visage. C'est à partir de là que toutes les ressources sont mises en œuvre pour éliminer les forces du mal dans ce combat manichéen auquel se livrent les États-Unis à intervalles réguliers.

Un énorme électrochoc

Au lendemain de la catastrophe, George Bush s'adressait en ces termes à la population : « Ce sera un combat monumental du Bien contre le Mal. Mais le Bien l'emportera. » Si le xxie siècle a commencé ce 11 septembre 2001, comme on l'a dit depuis, il n'en rappelait pas moins le siècle qui l'avait précédé : tout comme après le torpillage du Lusitania en 1915 et l'attaque japonaise contre Pearl Harbor en 1941, l'Amérique recevait un énorme électrochoc, en plein cœur de Manhattan cette fois, alors qu'elle se sentait en parfaite sécurité.