Par-delà ces inévitables et protéiformes turbulences, c'est tout simplement une mutation économique et sociale de grande ampleur qui poursuit son développement. Enrichissez-vous et protégez-vous. Serait-ce le triomphe du matérialisme ultra-libéral ?

Réputées déclinantes, les idéologies spiritualistes persévèrent. L'Amérique encore très croyante constate la mécréance des Européens en rupture avec Dieu. L'année voit se développer un débat international sur l'existence du fondamentalisme islamiste. Est-il mort ? Prépare-t-il une seconde vie, sous d'autres formes, avec d'autres moyens. Force est de constater que, de par le monde, les madrasa regorgent de jeunes hommes, formant un réservoir d'énergies disponibles. Tout dépendra des orientations données. Pour sa part, le pape Jean-Paul II aura fait preuve d'un activisme remarquable. Saisissant l'occasion du Jubilé, il aura organisé la grande repentance catholique, mobilisé en masse la jeunesse et réunit la catholicité politique pour la rappeler à ses devoirs et aux indiscutables valeurs de l'Église.

Cinq ans après le sommet de Pékin, le mouvement mondial des femmes fait le bilan autour de Mme Nana Konadou Rawlings, épouse du président ghanéen.

Partout le pouvoir des femmes se renforce. Hillary Clinton arrache aux républicains le siège de sénateur de l'État de New York. En France, tout le monde prend l'affaire au sérieux : le RPR se dote d'une secrétaire générale comme le fit l'Académie française. Au sein du parti socialiste Ségolène, Élisabeth et Martine contemplent déjà les sommets du pouvoir. Par-delà un thème à la mode, c'est bien une mutation de la société politique occidentale sous l'œil narquois de l'Inde et du Pakistan, où depuis fort longtemps les femmes – il est vrai chefs de clans – ont pris l'habitude d'accéder au pouvoir.

La fin des méchants et la stabilité stratégique

En dépit d'une sorte de « remake » de la controverse sur la défense antimissiles de 1983, la grande stratégie nucléaire ne retrouve pas un second souffle. En revanche, les petites guerres locales, meurtrières et atroces continuent leur petit bonhomme de mort. Durant l'année 2000, on aura assisté à la quasi-disparition de ces « États scélérats » fustigés depuis 1993 par les autorités américaines.

Rien n'aura été plus spectaculaire que le rapprochement entre les deux Corées. Visites mutuelles, gestes amicaux, et délégation commune aux jeux Olympiques de Sydney. Le président du Sud, Kim Dae Jung, reçoit le prix Nobel de la paix tandis que Madeleine Albright se rend à Pyongyang pour jeter les bases d'un accord sur les missiles. Cependant, la route de la réunification de la péninsule paraît encore semée d'embûches : aucun des deux États n'a cru devoir ralentir ses programmes militaires.

Les élections de février en Iran suggèrent une évolution « thermidorienne » de la révolution iranienne dirigée par Khatami. Mais le président Ali Khamenei dispose encore d'importants leviers de pouvoir et l'année se termine par un repli des partisans de l'ouverture.

Une rafale d'élections dans les Balkans : Macédoine, Kosovo et Serbie raniment la démocratie. Slobodan Milosevic disparaît en douceur. Mais la révolution démocratique n'aura pas eu lieu. M. Kostunitsa est-il un démocrate ? Le futur Premier ministre, M. Djindjic, prépare avec les militaires serbes et, en principe, en accord avec l'OTAN les modalités de pacification de la vallée de Presevo, menacée par l'irrédentisme kosovar albanais. L'assassinat de l'adjoint d'Ibrahim Rugova en dit long sur la violence latente, au moment où M. Kouchner achève son mandat onusien.

Recherche de stabilisations continentales

Secouée par une prospérité encore fragile, l'Asie recherche avec une meilleure cohérence économique une plus forte stabilité politique. Après la crise du Timor-Oriental, l'Indonésie ne parvient pas à se stabiliser : l'indépendantisme de l'île d'Aceh suggère un processus de réactions en chaîne difficilement contrôlable. Même incertitude dans le détroit de Taïwan. Le Guomindang perd le pouvoir présidentiel pour la première fois depuis 1949 au profit du Parti du progrès démocratique de M. Shui-Bian Chen. Ce changement inquiète Pékin qui craint, avec la remise en cause du principe d'« une seule Chine », la marche vers l'indépendance. Pour autant chacune des parties semble soucieuse d'éviter l'affrontement. En dépit des efforts de Bill Clinton qui effectue une visite spectaculaire au Vietnam, la réunion de l'APEC en novembre ne marque pas de progrès significatifs ; pas plus que ne progresse la coopération entre l'ASEAN et l'Union européenne. La grande affaire reste l'adhésion chinoise à l'OMC. Pékin a reçu le soutien de Washington tandis que les Européens se montrent moins empressés. La mondialisation ne doit-elle pas elle aussi avoir son calendrier au même titre que l'élargissement de l'Union européenne que M. Prodi, président de la Comission et grand ami de Bill Clinton, appelle de ses vœux ? Le sommet de Nice de décembre montre combien le passage de l'économique au politique reste difficile.