Il n'est pas davantage question d'une réforme structurelle du système éducatif. George W. Bush entend subventionner le privé et Al Gore soutenir le public par les fonds fédéraux tout en augmentant le nombre des enseignants. C'est sur les problèmes dits « de société » que la campagne aura finalement pris quelque relief. Il y va, il est vrai, de la vie et de la mort : violence des très jeunes adolescents, libre accès aux armes de poing dans une Amérique chaque année secouée par des tueries.

Non sans relation intervient le débat sur la peine de mort. Donnant l'exemple dans son propre État du Texas, G. W. Bush a clairement indiqué qu'il n'entendait pas priver les États du droit de recours à la peine capitale. Finalement, la boucle se referme sur la question de l'avortement. Si Gore est resté dans tous ces domaines fidèle aux positions de son parti, Bush s'est refusé de se démarquer du sien. L'immobilisme l'a donc, là aussi, emporté.

La place consentie à la politique étrangère fut donc mesurée avec parcimonie. La défense antimissile du territoire national avait été habilement bottée en touche par Clinton, dossier qui n'intéresse guère les Américains. En 1996, Robert Dole, voulant en faire un enjeu majeur, s'était fourvoyé, à ses dépens. Quant aux réductions des forces nucléaires stratégiques, elles ont la faveur des deux candidats.

L'engagement américain en Europe et le rôle des Nations unies auront fait l'objet d'un véritable faux débat. Gore accuse les républicains d'isolationnisme. Il a tort et le sait. Car ses adversaires n'entendent nullement se retirer d'un monde où les intérêts américains sont de plus en plus importants. Si différence il y a, elle porte sur les voies et moyens de la stratégie d'action américaine dans le monde. La tentation républicaine n'est autre que l'unilatéralisme. Mais personne, et pour cause, n'entendait faire un débat public de ce sujet.

... mais le tonnerre, à la fin

Pour toutes ces raisons cumulées, l'écart électoral ne pouvait être que très réduit. C'est de cette situation attendue qu'est paradoxalement venue la surprise.

En Floride, fief de Jeb Bush, frère du candidat, rien ne va plus. L'écart est trop faible pour n'être pas contesté. Il en va du résultat final puisque les grands électeurs de Floride feront le président. Il faut donc traquer les erreurs, vérifier les soupçons de fraude. Il faut recompter. Mais où, comment et dans quels délais ? S'engage une course contre la montre dans des lieux parfois célèbres (Palm Beach), ou totalement inconnus (Dead County). Bataille d'avocats et de juges. Le juridisme américain qui ronge la société apparaît en pleine lumière et, un mois après le vote, les États-Unis attendent encore le nom de leur président. Les deux candidats auront joué à celui qui apparaîtra comme le plus beau joueur et le plus respectueux de la volonté populaire.

Contradiction dans les termes puisque finalement le système des grands électeurs fait la véritable différence bien que Gore devance Bush de quelque 300 000 voix sur l'ensemble des votes exprimés. Du coup, on a peu prêté attention au résultat des législatives partielles qui crée au Sénat une situation inconnue depuis plus d'un siècle : une égalité 50-50 entre républicains et démocrates.

Fait remarquable dans ce pays réputé violent, chacun est resté calme, comme si, tout compte fait, ce n'était pas si important que cela. Cette victoire du civisme et du fédéralisme marque aussi l'affaiblissement du pouvoir présidentiel. Que reste-t-il de la crédibilité d'un président élu dans de telles conditions ? Immense malaise pour la démocratie américaine. Et pour le leadership des États-Unis dans le monde.

François Géré