Face à une critique xénophobe qui s'en prend, comme Camille Mauclair, aux « métèques de l'art » et « naufrageurs » de l'art français, les acteurs engagés dans le soutien de la modernité vont défendre le caractère proprement international et cosmopolite de la création. Dans son ouvrage sur la Jeune Peinture française, le critique André Salmon défend le « droit du sol ». Pour lui sont français non pas les artistes justifiant d'un passeport national, ni ceux qui émargent au très officiel Salon des artistes français, mais tous ceux qui travaillent et exposent dans la capitale et font de Paris la scène artistique incontournable de la modernité. À ce « droit du sol » est opposé le « droit du sang ». On suspecte les artistes étrangers de vouloir attenter à l'esprit de la « France éternelle ». C'est le credo de Maurice Barrès, pour qui, comme le rappelle Éric Michaud dans le catalogue de l'exposition, « tout étranger installé sur notre territoire, alors même qu'il croit nous chérir, hait naturellement la France éternelle, notre tradition, qu'il ne possède pas, qu'il ne peut comprendre et qui constitue précisément la nationalité ».

C'est l'application qu'en fera, dans les pas de Barrès, le critique d'art Waldemar George en opposant une « école de France » à l'« école de Paris » : « L'école de Paris, avec son long cortège de préjugés primaires, de rites, de croyances et de superstitions, avec sa légende de l'art indépendant [...] s'écarte, malgré les apparences qui plaident en sa faveur, des voies principales de la pensée française. Brisons l'élan factice de l'école de Paris, cette éphémère, cette étoile filante et restaurons dans ses prérogatives l'école de France, cet emblème de durée ! » On l'aura compris, la « détermination ethnique » traverse largement le débat critique de l'époque et nourrit les nombreuses diatribes antisémites contre les œuvres dégénérées des peintres juifs de l'école de Paris : la hantise d'une dissolution des frontières est l'un des ferments les plus forts de l'antisémitisme.

C'est à ce jeu des frontières que s'est confrontée l'exposition. Le parti pris de cette altérité, « la part de l'Autre », est favorable dans les débuts de l'exposition, qui nous donnent à voir des œuvres trop oubliées de l'histoire de la modernité. Il s'épuise cependant dans la fin du parcours. L'exposition se clôt ainsi avec une salle consacrée à Soutine et ses épigones expressionnistes (Kikoïne, Krémègne, Mané-Katz, Balgley...). Le tourment des années de crise se lit dans les convulsions du sujet et de la matière, très dense, boursouflée à l'envi. On ne nous fera pourtant pas croire au génie devant ces empâtements trop rhétoriques, qui peinent à retrouver la violence du Vlaminck de 1900. Les débuts de l'exposition aiguisaient vraiment la curiosité ; sa dernière salle nous laisse plus perplexe face à un exercice de style où l'« école » se fait trop laborieuse.

Pascal Rousseau,
critique d'art